Comment ont été restaurés « Le Roman de Carpentier » et « La Grande Passion » ?

Comment ont été restaurés « Le Roman de Carpentier » et « La Grande Passion » ?

15 septembre 2023
Cinéma
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Négatif original en 35mm du film "Le Roman de Carpentier" CNC

À l’occasion de l’Olympiade culturelle, le CNC donne une nouvelle jeunesse au Roman de Carpentier et à La Grande Passion, deux films muets emblématiques de l’histoire du sport français, en organisant leurs projections en ciné-concerts dans toute la France. Mais avant de les découvrir en musique sous leur plus belle parure, il a fallu leur redonner un coup d’éclat. Une mission confiée aux équipes du CNC pour Le Roman de Carpentier et au laboratoire Hiventy pour La Grande Passion. Récit.


La Direction du patrimoine du CNC conservait précieusement les bobines quasi centenaires du Roman de Carpentier (1913) et de La Grande Passion (1928) à Bois d’Arcy, dans les Yvelines, forteresse aux mille secrets qui veille sur la mémoire du cinéma français depuis les années 1960. Quand il a été décidé de ressusciter à l’occasion de l’Olympiade culturelle des films emblématiques des valeurs du sport, Le Roman de Carpentier et La Grande Passion se sont imposés comme une évidence. Très novateurs pour leur époque, tous deux témoignent d’un pan majeur de l’histoire du sport français : celle de la boxe avec la figure de Georges Carpentier, grand nom de l’art pugilistique, qui interprète son propre rôle dans le biopic Le Roman de Carpentier et celle du rugby et de l’incroyable ferveur qui animait déjà les supporters du ballon ovale à la fin des années 1920 dans La Grande Passion.

Déjouer les aléas du temps

C’est donc une épopée cinématographique et archéologique, digne des plus grandes fresques historiques, qui attendait les équipes chargées de restaurer ces deux films. Il y a quelques mois, elles se lancent dans une investigation, tels des détectives, pour répertorier le matériel original et rassembler les éléments qui pourront les aider à redonner une seconde jeunesse aux œuvres (journaux de l’époque, script, scénario, photographies…). Recensement des pièces disponibles, inspection minutieuse des bobines, réparation à la main des petits défauts, numérisation, restauration numérique, étalonnage, fabrication des intertitres et des inserts… : la restauration est un processus bien huilé et un redoutable combat contre les marques du passé.

Une bobine du Roman de Carpentier conservée dans les collections du CNC à Bois d’Arcy CNC

C’est en 1973, à la fermeture du laboratoire Kodak Pathé de Joinville, que Pathé dépose le négatif original du Roman de Carpentier au CNC. De son côté, le matériel de La Grande Passion est déposé en 1979. Pour Le Roman de Carpentier, les équipes repartent du négatif original 35 mm pour débuter sa restauration. Un avantage qui assure une meilleure définition finale. C’est aussi le cas pour La Grande Passion, réalisé par André Hugon, restauré une première fois (restauration argentique – ndlr) en 2008 en duo avec la Cinémathèque de Toulouse, et dont la restauration numérique a été cette fois-ci confiée par le CNC au laboratoire Hiventy. Dans le travail d’inventaire et d’identification préalable à toute restauration, les équipes se confrontent fréquemment à des lacunes (séquences, intertitres, inserts ou sons manquants dans le cas des films sonores). Le Roman de Carpentier et La Grande Passion n’échappent pas à la règle : leurs bobines sont incomplètes. Et il manque tout bonnement la fin du film d'André Hugon. Ces éléments ont-ils été perdus ? Oubliés ? Remontés ailleurs ? C’est l’un des grands mystères de cette aventure, tout comme la paternité du Roman de Carpentier qui demeure inconnue.

Gommer les défauts

Rayures, griffures, poussières incrustées… : les pellicules des deux films, usées par le temps, ont nécessité un « nettoyage » à la main. C’est ce qu’on appelle dans le jargon des laboratoires, la remise en état mécanique (REM), seconde étape après l’inventaire des bobines. Là, il faut gommer les aspérités, réparer les perforations et les déchirures avec du scotch, inspecter les collures (celles du Roman de Carpentier datent des années 1910 – ndlr) et nettoyer les moisissures. Le « nettoyage » de la pellicule de La Grande Passion prend davantage de temps au regard de la mauvaise qualité du négatif original, qui fait état de nombreux éclats et poussières.

Un défi de taille s’annonce aux équipes : Le Roman de Carpentier et La Grande Passion comptent de nombreux « stock-shots », à savoir des images d’actualités ou de plans issus d’autres films. Ce qui faisait de ces deux films à l’époque des œuvres avant-gardistes et novatrices dans leur façon de mêler les sources devient la bête noire des équipes du CNC et d’Hiventy. Il faut travailler à une qualité optimale sur tous les plans, régler les contrastes, l’intensité des images (l’étape de l’étalonnage – ndlr) de manière à aboutir à un rendu final harmonieux. Parmi les autres défis rencontrés : la restauration numérique des séquences d’action (combats de boxe, matchs de rugby, fumée…) qu’il a fallu réaliser image par image de manière à obtenir le meilleur résultat possible. 

Comme si l’œuvre était projetée à l’époque

Concernant La Grande Passion, les équipes disposaient déjà du film reconstruit depuis sa restauration argentique en 2008, ce qui n’était pas le cas du Roman de Carpentier et qui explique pourquoi celui-ci n’a jamais été montré au public depuis les années 1910. Il a donc fallu reconstituer entièrement le film plan par plan puis recréer les cartons aux endroits indiqués sur la pellicule par des croix et des amorces. Une tâche que la direction des collections du CNC a mené à partir de sources historiques et bibliographiques de la même manière que pour La Grande Passion. Les inserts et intertitres du film d'André Hugon ont été recréés en s’inspirant, entre autres, de l’ouvrage éponyme La Grande Passion – roman d’amour et de sport (Ed. Gallimard ;1929) tandis que ceux du Roman de Carpentier ont été (re)conçus en collaboration avec l’historien Stéphane Hadjéras, biographe du boxeur star (Georges Carpentier, l’incroyable destin d’un boxeur devenu star ; Ed. Nouveau Monde ; 2021). Dans le cas du biopic de Carpentier, les équipes ont également pu s’appuyer sur une source inestimable : une critique de presse du Courrier cinématographique parue au moment de la sortie du film en salles. Certains inserts ont été fabriqués à partir de vieilles affiches ou de télégrammes. Un soin particulier a été apporté à la police des cartons, qui a été adaptée à la graphie de l’époque. L’enjeu : reconstituer le film tel qu’il aurait été projeté à l’époque de sa réalisation en tenant compte de l'atmosphère et des décors d’alors.

Une séquence de La Grande Passion CNC

Une fois les nouveaux cartons insérés, Le Roman de Carpentier et La Grande Passion ont été remis à la cadence de l'époque. C’est à partir de cette étape que les musiciens ont pu commencer à travailler leur partition. À la manœuvre : Maxime Dangles et Johann Perceval, lesquels signent respectivement les compositions musicales du Roman de Carpentier et de La Grande Passion.

Restituer l’œuvre sans jamais la dénaturer : c’est la ligne qu’appliquent les équipes chargées de redonner une seconde jeunesse aux œuvres cinématographiques. Rendez-vous dès le 15 septembre pour Le Roman de Carpentier, Salle Wagram à Paris, et dès le 17 septembre pour La Grande Passion à la Cinémathèque de Toulouse pour découvrir l’histoire d’une renaissance. Une renaissance conduite en musique et projetée en version 4K sous les meilleurs auspices.

dates des projections 

Le Roman de Carpentier 
15 septembre 2023, Salle Wagram à Paris
22 novembre 2023, Cinémathèque de Toulouse
26 janvier 2024, Lux Scène Nationale de Valence

La Grande Passion
17 septembre 2023, Cinémathèque de Toulouse
25 septembre 2023, Cinémathèque de Tours
12 octobre 2023, Ciné 32 de Auch
25 janvier 2024, Lux Scène Nationale de Valence

D’autres dates sont à venir pour les deux films