Manuelle Gautrand : « Il est important que l’entrée dans une salle de cinéma soit un moment impressionnant »

Manuelle Gautrand : « Il est important que l’entrée dans une salle de cinéma soit un moment impressionnant »

26 septembre 2018
Cinéma
Manuelle Gautrand
Manuelle Gautrand Harixcalde

Quelles sont les règles pour construire un cinéma ? Manuelle Gautrand, architecte, auteure de nombreux projets culturels, dont le cinéma Gaumont Alesia à Paris et membre du jury du Prix de la salle innovante, livre quelques clés sur la construction d’un cinéma, « véritable marqueur urbain, projet culturel et noble essentiel dans une ville, qui a pour vocation de souder les habitants d’un quartier. »


Le cinéma a-t-il pour vous une place particulière dans le paysage urbain ?

Je suis très sensible au programme culturel dans une ville. Un équipement culturel est un vecteur d’animation et d’attraction. Un cinéma c’est avant tout un projet essentiel, fédérateur, un véritable marqueur urbain. Ce bâtiment que l’on va identifier comme un cinéma est un lieu noble qui a aussi pour vocation de souder l’ensemble des habitants d’un quartier.

Le choix d’un écran de LED en façade d’un cinéma comme vous l’avez réalisé à Paris, participe-t-il de cette volonté d’identifier le cinéma dans la ville, d’en faire un marqueur urbain ?

Le cinéma doit être visible dans une ville, au sein d’un quartier. C’est un bâtiment qui doit être facilement identifiable, repérable, qui se détache de manière originale dans le paysage urbain par rapport à des logements ou à des bureaux. Il a un aspect signalétique. Il doit à la fois montrer que c’est un cinéma et à la fois présenter les films qu’il projette.

Selon le modèle classique, la présentation des films est une présentation basse, constituée d’affiches en papier ou d’un grand format. Avec la façade du Gaumont Alésia à Paris, nous avons voulu changer de siècle, moderniser cette signalétique. Lorsque nous sommes à l’extérieur, nous voyons donc cette sculpture de LED, cette façade plissée recouverte de LED entièrement programmable. On peut y projeter les films à l’affiche, détacher des facettes ou une image unique. Et la nuit venue, les passants peuvent deviner ce qu’il se passe à l’intérieur, derrière ce grand rideau de lumières.

Quelle est la particularité d’un projet tel que la construction d’un cinéma ?

Un cinéma, comme tout équipement culturel, se doit d’être un lieu très accueillant. Nous travaillons donc beaucoup sur la question du parcours du public. Le public doit avoir envie de venir en avance, puis de flâner après le film, nous voulons qu’il passe un véritable moment agréable dans ce lieu. Nous mixons donc les programmes : créer un café qui ne soit pas qu’une simple buvette, instaurer un espace de foyer très « designé », installer des boutiques… Pour le cinéma d’Alésia par exemple, nous avons travaillé aussi sur l’ouverture du lieu, sa flexibilité, afin qu’il puisse être envisagé pour d’autres fonctions et être ouvert en dehors des heures de séances de films.

Quelle est la contrainte la plus forte lors de la construction d’un cinéma ?

Il s’agit davantage d’un ensemble de plusieurs contraintes techniques qu’une contrainte en particulier. Le cinéma se construit au sein d’un centre urbain avec des bâtiments existants tout autour. Nous devons donc nous faufiler entre deux ou trois parcelles et adapter le projet à l’existant. Ce sont donc des contraintes en termes de place, de formes de parcelles (par exemple pour Alésia nous avions comme forme d’espace un double trapèze), ou encore des problématiques d’acoustique par rapport aux riverains.

Construire un cinéma c’est aussi un défi environnemental ?

L’aspect écologique du cinéma est une dimension que nous essayons de développer en minimisant les besoins en matière d’énergie (notamment sur le plan de la climatisation), en recyclant les eaux et en utilisant majoritairement les énergies renouvelables.

Le confort du public est-il tout aussi fondamental que la mise en valeur de l’œuvre ?

La construction d’un cinéma est un projet exigeant vis-à-vis du public et de son confort. Il faut travailler le gradinage, sa géométrie, avoir de belles échappées de tête, de belles courbes de visibilité, un bon confort d’assise. La salle est sculptée en 3D, l’espace des sièges doit être compact mais chaque personne doit pouvoir profiter de la meilleure qualité acoustique, de la meilleure visibilité ainsi que de la meilleure atmosphère. L’expressivité architecturale participe à la mise en valeur du film : elle doit être assez sobre, pour que le spectateur soit immergé dans l’œuvre sans être parasité par son environnement. La couleur des sièges et du fond est codée pour la plupart des enseignes. Le plus important est que l’atmosphère soit sombre et sobre afin qu’il ne subsiste plus que l’écran et la magie du film. Toutefois il est important que l’entrée dans une salle soit un moment impressionnant. L’éclairage de mise en scène, que l’on retrouve également à la fin du film, doit être extrêmement beau, inattendu, original afin de créer un sentiment de grande esthétique pendant ce court laps de temps où l’on rentre dans une salle de cinéma et que l’on choisit sa place. Ensuite tout disparaît et il ne reste plus que le film.

 

Cinémas et espaces culturels construits en France

L’agence Manuelle Gautrand Architecture a été créée en 1991 à Paris. Manuelle Gautrand est lauréate du Prix Européen d’Architecture 2017. Seule lauréate française et seule femme à avoir reçu cette distinction.
  • Gaumont Alesia à Paris : de 2012 (début des études) à 2016 (livraison)/ 3 600m2 Le Palace à Béthune : de 2010 à 2014 / 1 200m2
  • La Gaité Lyrique à Paris : de 2003 à 2011 / 9 500m2
  • Le complexe La Coupole à Saint-Louis : de 1997 à 2000 / 4 800m2 Le Fellini à Villefontaine : de 1992 à 1994 / 1 400m2