Régis Sauder : « Annie Ernaux et moi »

Régis Sauder : « Annie Ernaux et moi »

04 octobre 2021
Cinéma
Régis Sauder raconte la ville de Cergy à l'aide de la plume de la romancière Annie Ernaux dans J'ai aimé vivre là.
Régis Sauder raconte la ville de Cergy à l'aide de la plume de la romancière Annie Ernaux dans "J'ai aimé vivre là". Shellac

Avec son quatrième long métrage documentaire, J’ai aimé vivre là, Régis Sauder raconte la ville nouvelle de Cergy en s’appuyant sur les textes d’une de ses habitantes les plus renommées, Annie Ernaux. Pour le CNC, il raconte son rapport à cette autrice majeure et la manière dont elle a été essentielle à ce projet.


À quand remonte votre premier contact avec Annie Ernaux ?

Il s’est fait à travers son œuvre, que j’ai dévorée puis appris à connaître au fil des années. Annie Ernaux m’a d’ailleurs énormément inspiré pour mon documentaire précédent, Retour à Forbach, qui s’inscrivait pleinement dans le sillon qu’elle a creusé avec cette écriture sociobiographique. Je m’étais d’ailleurs replongé dans son travail pour toute la préparation. À la sortie du film, Annie Ernaux a été le voir et l’a beaucoup aimé. Elle a même écrit le texte qui accompagne son édition DVD. Et quand je suis allé le présenter à l’Utopia de Saint-Ouen-l’Aumône, la salle à côté de Cergy où elle va au cinéma, elle m’a proposé qu’on se rencontre dans l’après-midi.

Comment s’est déroulée cette rencontre ?

Comme elle avait découvert Forbach à travers mon film, Annie Ernaux me proposait de me rendre la pareille avec cette balade dans la ville où elle avait choisi de vivre. Tout au long de l’après-midi, elle m’a parlé de la nécessité de l’écriture des récits de vie et expliqué que c’est ce qui lui permettait de tenir debout. En rentrant chez moi, j’ai vraiment eu le sentiment qu’elle venait de m’offrir un film sur un plateau. Je me suis employé à transformer cette rencontre en long métrage. Je voulais inscrire dans une démarche artistique ce dialogue qui débutait entre nous et qui ne s’est jamais interrompu pendant trois ans. 

Annie Ernaux a été présente tout au long de votre processus de création ?

Oui. Je lui ai proposé de participer à ce qui allait devenir J’ai aimé vivre là alors que le schéma du film était encore relativement flou dans ma tête. Le processus va durer deux ans. Deux ans d’un travail d’écriture très précis, nourri par un atelier que j’ai mené avec les lycéens du lycée Galilée de Cergy. Deux ans pour arriver à une structure qui opère sur une double temporalité : l’histoire des cinquante ans de cette ville, et celle d’un été d’aujourd’hui, le dernier que ces jeunes lycéens passent à Cergy avant de quitter la ville après le bac. Durant cette période, j’effectue aussi des repérages à Cergy et, à chacune de mes visites, je rends visite à Annie, lui parle de mes rencontres, lui montre des photos. Alors qu’elle a de plus en plus mal à se déplacer, elle revisite un peu ce territoire qu’elle connaît si bien à travers mes images. 

Comment a fini par se dessiner la colonne vertébrale de J’ai aimé vivre là ?

Longtemps, j’ai cru que cette colonne vertébrale reposerait sur mes échanges avec Annie. C’est là-dessus je me suis appuyé pour écrire le film. Et puis j’ai fini par les soustraire parce qu’il s’opérait quelque chose de beaucoup plus fort et qui dépassait notre seule relation : le dialogue entre l’œuvre littéraire d’Annie Ernaux et les images, quand j’ai commencé à faire circuler ses textes – dispositif que j’avais déjà utilisé il y a dix ans pour Nous, princesses de Clèves – auprès des habitants de Cergy. Au final, ne subsiste à l’écran que notre premier échange. Mais Annie est présente à travers des fragments de textes – extraits de Journal du dehors, La Vie extérieure et Les Années – dits par elle et d’autres protagonistes de ce documentaire. Ce geste s’inscrivait pleinement dans la manière dont j’ai tissé la trame de J’ai aimé vivre là : en installant le fruit de nos échanges dans un récit choral de la ville de Cergy et cette utopie urbanistique en avance sur son époque - avec ce parti pris de privilégier les piétons aux voitures et la verdure aux grands ensembles - qui lui a donné naissance voilà plus de cinquante ans.

Mes images n’illustrent jamais les mots d’Annie Ernaux mais cherchent à les prolonger en leur offrant un contrechamp.

Dans votre documentaire, vous filmez donc Annie Ernaux. Comment avez-vous vécu ces moments-là ?

Comme une immense responsabilité. D’abord parce qu’être à l’image n’est pas quelque chose d’évident pour elle. Et ensuite parce que j’ai bien conscience que c’est peut-être la dernière fois qu’Annie apparaît dans un film. Je devais donc tout mettre en œuvre pour que sa présence soit à la fois solaire et singulière. M’offrir ce moment a été un geste éminemment généreux de sa part et je devais me montrer à la hauteur. J’ai eu la chance d’être accompagné par Tom Harari, le chef opérateur d’Onoda, 10 000 nuits dans la jungle (Arthur Harari, 2021). Tom est un artiste avec une sensibilité dont je me sens proche. Quelqu’un qui possède une grande culture documentaire et dont j’admire depuis longtemps le travail sur la lumière et la texture des images. Son apport à J’ai aimé vivre là a été essentiel.

J’AI AIMé VIVRE LÀ

Réalisation Régis Sauder
Scénario : Régis Sauder, Annie Ernaux
Direction de la photo : Tom Harari, Régis Sauder
Montage : Agnès Bruckhert
Distribution : Shellac