Sarah Suco : « J’avais l’histoire des Éblouis en moi depuis 20 ans »

Sarah Suco : « J’avais l’histoire des Éblouis en moi depuis 20 ans »

19 novembre 2019
Cinéma
Les Eblouis
Les Eblouis Pyramide Distribution
Pour son premier long métrage, la comédienne révélée dans Discount revient sur son enfance vécue dans une communauté catholique aux dérives sectaires. Comment raconter à l’écran un sujet aussi proche sans verser dans le voyeurisme ? Elle nous l’explique.

Était-il évident pour vous depuis longtemps que vous consacreriez votre premier long métrage comme réalisatrice au phénomène des dérives sectaires ?

En fait, je n’avais jamais pensé un jour réaliser un film ! Je souhaitais juste écrire une histoire que j’avais en moi depuis longtemps. Puis, j’ai eu la chance de rencontrer Dominique Besnehard. Et je lui ai expliqué qu’à 14 ans, j’ai grandi avec ma famille dans une secte et qu’avec ma sœur, on s’était toujours dit qu’on en ferait un film. Avant de tout de suite lui préciser que bien qu’ayant ce récit dans le ventre depuis 20 ans, je ne savais pas comment le raconter.

Comment a réagi Dominique Besnehard ?

Il m’a juste dit : « On va le faire ! » (rires) Et il avait déjà la certitude qu’au final, je le réaliserais. Son feu vert m’a en tout cas permis de me lancer dans le scénario avec Nicolas Silhol, le réalisateur de Corporate : je voulais à tout prix un partenaire d’écriture pour ne pas tomber dans le film purement autobiographique. Ma grande inquiétude, dès cette étape, était de transformer cette histoire en quelque chose de sensationnel ou de voyeuriste. Et Nicolas a été un partenaire d’écriture rêvé. Il n’a jamais cherché à s’approprier mon histoire, mais m’a, à l’inverse, accompagnée pour me faire accoucher de celle-ci en acceptant mon inexpérience et le fait que souvent je ne savais pas vraiment où j’allais.

La marque de fabrique des Éblouis est votre refus de toute facilité manichéenne. Vous montrez, de prime abord, tout le côté enveloppant de cette communauté pour mieux pointer l’aveuglement pervers et tragique qu’elle crée chez ceux qui la rejoignent de leur plein gré. Comment êtes-vous parvenue à ce recul avec un sujet qui vous tient autant à cœur ?

En prenant le temps d’écrire, en multipliant les pauses pour laisser reposer le scénario. Le processus a donc été très long. Mais seul le temps allait permettre de trouver la bonne distance, de glisser de l’humour dans un sujet qui, spontanément, vous conduit vers le drame. Pour éviter de dériver vers un pathos insupportable, il fallait agrémenter ce récit de moments plus drôles, voire joyeux. C’est pour cela que j’ai choisi qu’on rentre dans cette histoire par le regard des enfants.

Pourquoi avez-vous finalement décidé de réaliser Les Eblouis vous-même ?

Une fois le scénario totalement abouti, Dominique (Besnehard) m’a assuré que le film ne serait jamais aussi vrai que si je le réalisais, moi. J’avais des réticences : je ne suis pas cinéaste, j’avais peur de ne pas en être capable. Il m’a répondu que j’allais apprendre. Alors, je l’ai pris au mot et j’ai tenu à réaliser un court métrage avant pour m’entraîner et me planter dans les grandes largeurs avant d’arriver sur le plateau des Éblouis. Car je n’ai confiance qu’en une chose : le travail. Puis, je me suis lancée, entourée de personnes merveilleuses, mélange de vieux briscards du cinéma français (comme Yves Angelo, à la photographie, ou Manu de Chauvigny, aux décors) et de gens plus jeunes, avec une parité en âge et en sexe.

Comment avez-vous su que Céleste Brunnquell serait celle qui vous incarnerait à l’écran ?

La directrice de casting Elsa Pharaon (La Tête haute, Divines…) a fait un travail fantastique. J’ai dû recevoir mille candidatures. Et puis, un jour, Céleste a débarqué. Au départ, je ne comprenais rien à son accent. Puis, au bout de quelques minutes, ce fut comme une évidence. Parce que, dans son regard, j’ai vu à la fois son écoute et son combat : j’ai adoré sa façon de jouer contre ce qui était demandé. Et sur le plateau, tout ce que j’avais décelé s’est confirmé. C’est le premier film de Céleste. Elle débute, mais c’est déjà une grande. Juste et vraie. Et le seul conseil que je lui ai donné est d’apprendre à dire non. D’abord parce qu’elle aura forcément à travailler avec des réalisateurs qui n’auront pas la même douceur que moi. Et ensuite parce qu’en disant non et en proposant quelque chose de différent, une comédienne rend toujours service à son réalisateur.

Et est-ce que votre propre passé est venu percuter le tournage ?

Je ne suis ni une machine ni un robot. Donc oui, ce que j’ai vécu a resurgi régulièrement tant pendant l’écriture et la préparation que le tournage. Ça crée des moments où tu te sens vraiment mal, au bord du gouffre, en plus de l’angoisse liée à tout premier long métrage. Mais, en même temps, cette aventure m’a permis d’évacuer des choses trop longtemps restées enfouies. Tout s’est donc mélangé en permanence et je crois qu’au final, ça ne pollue jamais le film, mais que, à l’inverse, ça le sert.

Les Eblouis, en salles le 20 novembre, a bénéficié de l’avance sur recettes avant réalisation et l’aide sélective à la distribution (aide au programme).