Misterfox : "J’essaye de casser les clichés sur le doublage"

Misterfox : "J’essaye de casser les clichés sur le doublage"

02 mars 2021
Création numérique
Misterfox
Misterfox DR
Passionné par le doublage de films, Hugo Amizet, alias Misterfox, consacre sa chaîne YouTube à analyser des VF, dévoilant les coulisses de métiers finalement peu connus : comédien de doublage, bien sûr, mais aussi adaptateur ou directeur artistique. Il répond également aux questions des cinéphiles et a récemment visité le plateau de doublage de Parasite, de Bong Joon-ho. Rencontre.

Pouvez-vous nous présenter le concept de votre chaîne YouTube ?

Ma chaîne est principalement tournée sur le doublage et le cinéma, mais je traite aussi de séries et d’animés. « Parlons VF » est son format phare : on y analyse une œuvre ou un thème (Austin Powers, les comédies des Monty Python, les "redoublages" comme pour Amadeus ou Akira) ou on revient sur la carrière d'un acteur/doubleur (Patrick Poivey, la voix de Bruce Willis, par exemple). Chaque vidéo dure entre 20 minutes et 1 heure. C’est l’avantage de YouTube : il n'y a pas d'obligation de format ou de durée limitée.
 
Précisément, qu'est-ce que vous analysez dans ces vidéos ?

On s’intéresse d'abord à celui qui a écrit l'adaptation. Est-elle respectueuse des dialogues originaux ? Reprend-elle les mêmes références culturelles ? Sinon, pourquoi ont-elles été modifiées ? Respecte-t-elle l'humour de l'œuvre originale ? On regarde également qui a dirigé le doublage, car la fonction de directeur de plateau/directeur artistique est un rôle méconnu. Or, c'est bien lui qui choisit les comédiens et les guide pour respecter au maximum la VO. On observe également en détail la synchronisation labiale (le mouvement des lèvres par rapport à la traduction). Enfin, une fois que ces différentes problématiques ont été abordées, on essaye de dresser un bilan, même si je tente de ne pas prendre parti. L’objectif n’est pas de dire aux gens : "regardez ça en VF ou regardez ci en VO". C’est très subjectif un doublage, comme le cinéma en général. J'essaye modestement de changer certaines idées reçues sur la VF.
 
Vous avez aussi un autre format sur la chaîne : « la FAQ du doublage ».

Oui. Comme son nom l’indique c’est un espace où je réponds à des questions très diverses. Des questions qui paraissent futiles mais qui sont au cœur de notre rapport aux films… Comment traduit-on une chanson Disney ? Comment choisit-on entre le vouvoiement et le tutoiement quand on adapte une œuvre anglophone ? Quand est né le doublage ? Pourquoi certains films ou séries sont redoublés ? Je choisis les questions qui reviennent souvent dans les commentaires, et j'essaye d'interviewer un(e) spécialiste. Pour la question du tutoiement, j'ai donné la parole à une adaptatrice, qui m'a révélé une règle implicite : "si les personnages ont eu une relation intime, ils se tutoient", sinon... c'est à l'adaptateur de choisir.

 

Comment est née votre chaîne YouTube ?

Je n'ai pas fait d'études de cinéma. J’ai suivi une licence en communication. Pour tout ce qui concerne l’aspect technique et audiovisuel (montage, tournage…), je suis totalement autodidacte : j’ai acheté un caméscope et je me suis lancé. J'ai conçu le pilote de « Parlons VF » pour la chaîne No Life, en 2010. Il n'a pas été retenu, mais je l'ai gardé et en 2014, quand le site Wakanim était à la recherche d’émissions web, je l'ai retravaillé. Ils ont aimé et c’est comme ça que j’ai lancé ma chaîne. L'équipe me laissait une grande liberté, tant que je parlais régulièrement d'animés japonais, puisque leur service était dédié à cela. Ça a duré le temps de 12 épisodes. Il y a eu un changement de ligne éditoriale et je suis parti en solo - mais je garde de très bons souvenirs de ma collaboration avec eux.

On a l’impression, et le succès de votre chaîne semble le confirmer,  que le public s’intéresse de plus en plus au doublage de films et de séries. Comment l’expliquez-vous ?

Je crois que si on note un regain d’intérêt pour le doublage ces derniers temps, c’est parce qu'il y a plus de films d'animation qu’auparavant. Dans les années 1990, on avait le droit à un Disney par an. Puis progressivement, Pixar (Toy Story, Monstres et cie...), DreamWorks (Shrek, Dragons), Blue Sky (L'Âge de glace...), ont trouvé leur place dans les salles. Aujourd'hui, il y a beaucoup plus de nouveautés sur une année, donc naturellement plus de doublages. Mais l'explosion des plateformes de streaming (comme Netflix), explique aussi cette nouvelle passion pour le doublage. On peut également avoir l'impression – fausse - que les gens ne regardent plus que de la VO. C’est une erreur ! Beaucoup de personnes continuent à regarder des films en VF.

Comment préparez-vous la création de vos vidéos ?

C’est un gros travail, surtout pour la partie documentation. Je serais bien incapable de vous donner la durée moyenne de création d’une vidéo, car je travaille sur plusieurs sujets en même temps. Mais ça se compte en dizaines d'heures : le temps de revoir le film en VO et en VF, plusieurs fois, parfois même en VQ (version québécoise). Je compare tout, je prends des notes, notamment les "timecodes" pour pouvoir récupérer les extraits les plus « parlants ». La phase d'écriture est plus rapide, mais au moment du tournage, j'ai tout écrit de A à Z. Et je mémorise tout ce que je vais raconter car je n'ai pas de prompteur. J'ai une bonne mémoire, mais quand même ! C'est parfois très dense : pour la vidéo en vers sur Roméo + Juliette, j'ai dû faire des coupes et ça se voit ! (rires) Enfin, vient la partie montage. Quand j'ai la chance d'avoir une longue interview, je peux la publier telle quelle, avec très peu de coupes. Ou alors je garde des extraits pour des vidéos à thème.


 
Quel est votre plus gros succès sur la chaîne ?

Les vidéos sur les « doubleurs stars » ont bien marché : de nombreux internautes, qui ne s'y connaissaient pas en doublage, étaient intrigués qu’on puisse faire des sujets sur Jamel Debbouze ou Franck Dubosc. Dans un autre registre, si le reportage sur Parasite ne m'a pas rapporté beaucoup d'abonnés, j'ai eu en revanche de nombreux commentaires d’internautes ravis de découvrir comment se déroulait une session de doublage. Idem avec mon montage sur Astérix ; je crois qu’ils étaient curieux de savoir comment sonnait Astérix en anglais. A titre informatif, mon record reste la vidéo sur One Punch Man. Elle a atteint 280 000 vues depuis sa mise en ligne en décembre 2016. Le manga est très populaire, et c’est le rappeur Orelsan qui double.
 
Quels sont vos projets ?

J'en ai plusieurs en cours : un grand final pour mon format Fox DVD qui est un peu confidentiel, mais le public qui suit ces vidéos est passionné. Je prépare également un documentaire sur Evangelion et une vidéo d'1h30 sur la série Futurama. Tout cela est bien avancé. Conséquence de tous ces projets, je suis moins régulier qu’avant dans ma production YouTube. Je prépare enfin une vidéo sur les nouveaux talents du doublage. Peut-être que dans 20 ans, les enfants qui auront découvert Star Wars 7, 8 et 9 en VF ne jureront que par Valentin Merlet, la voix d'Adam Driver ? Il sera peut-être pour cette génération ce que Richard Darbois (voix du Génie d’Aladdin, de Batman dans la série animée des années 1990, de Harrison Ford dans Indiana Jones 3 et 4) fut à la nôtre.
 
Quel est votre avenir sur YouTube ?

Ma chaîne ne me permet pas de gagner ma vie, je dois régulièrement trouver des métiers alimentaires. Les partenariats, comme je l'ai fait pour Parasite, sont une des solutions que j’envisage aujourd’hui. Mais je ne cherche pas forcément à monétiser mes vidéos... Je crée ce que j'aimerais voir. Je crois que c'est ça le secret. Il ne faut pas se lancer sur YouTube en espérant se faire de l'argent facilement car ça ne marche pas comme ça. J'aime la liberté qu'offre YouTube : on peut y parler de sujets éclectiques, prendre le temps dont on a besoin pour traiter une question en profondeur... Même si je n'y évolue pas professionnellement parlant, je continuerai à faire des vidéos sur le doublage. Parce que c’est vraiment ce qui m’anime.