Comment « Tales Up » réinvente le jeu de rôle sur mobile

Comment « Tales Up » réinvente le jeu de rôle sur mobile

28 avril 2023
Jeu vidéo
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"Tales Up" est disponible en téléchargement sur mobile Tales Up

Élu meilleur jeu vidéo mobile aux Pégases 2023, Tales Up oscille entre le jeu de rôle textuel très scénarisé et le « livre dont vous êtes le héros ». Sa particularité : être jouable à plusieurs. Rencontre avec l’un de ses créateurs, Victor Jaffeux, de Périple Studio, jeune studio indépendant de développement de jeux et d’applications mobiles basé à Clermont-Ferrand.


Comment est venue l’idée de Tales Up ?

Le jeu est né de l’envie assez ancienne de rendre les jeux de rôles accessibles au grand public, mais aussi du besoin que l’on avait dans notre groupe d’amis de créer des jeux de rôles sans préparation ou sans engagement sur une période trop longue. À la fin 2018, pendant six semaines, nous avons réalisé un prototype de jeu mobile dans le cadre d’un projet étudiant. Il s’appelait Pick a Story et les retours avaient été très encourageants. C’est au début de l’année 2020 que ce projet étudiant s’est transformé en vrai projet de jeu.

À quel point les « livres dont vous êtes les héros » ont-ils été une inspiration ?

La référence est venue un peu plus tard, alors que le concept était déjà globalement décidé. Ce qui ne nous a pas empêchés de nous inspirer dans un second temps de certaines histoires et structures pour plusieurs aventures.

Sur mobile, le modèle économique est pensé en même temps que le game design. C’est un vrai défi […] Le jeu est un game as a service, perpétuellement en développement avec du nouveau contenu.

La grande différence entre Tales Up et les autres jeux du même genre est le multijoueur. Pourquoi ce choix ?

Effectivement, c’est notre identité. Nous voulions créer un jeu unique car des aventures interactives en solo, il en existe beaucoup sur mobile. On souhaitait également faire évoluer la manière d’utiliser son téléphone, surtout en « société ». Le but était vraiment de transformer Tales Up en jeu de plateau, et pas simplement pour se divertir quelques minutes au cours d’une soirée.

Qu’est-ce que cela change en matière de gameplay ?

À peu près tout. Et d’ailleurs cela se voit avec les difficultés que nous avons eues à proposer un mode solo convainquant. Notre but est d’apporter un vrai sens au mode multijoueur, avec des états qui évoluent individuellement (avec des blessures, l’utilisation d’objets etc.), mais aussi avec des séquences où un joueur ou une joueuse prend seul(e) des décisions pour le groupe. Il y a également des séquences secrètes, qui permettent d’ajouter un système de rôles ou d’objectifs cachés. Toutes les aventures sont construites autour de ces systèmes. Ce qui rend en outre plus difficile le développement de personnages dans Tales Up, puisque les rôles principaux sont en fait les joueurs et les joueuses, et qu’ils prennent beaucoup de place.

Le mode solo permet aux joueurs et aux joueuses de collecter les succès et de découvrir une manière différente d’apprécier le jeu, seul(e) le soir chez soi par exemple.

Comment se déroule l’écriture des scénarios ? Et à qui faites-vous appel pour inventer les scripts ?

Au début, on se laissait énormément guider pas nos idées et nos envies. On ne savait pas trop nous-mêmes ce qu’était Tales Up. En deux ans, on a créé des histoires très différentes, autant en termes de structure que d’univers, et on a pu tirer un certain nombre de conclusions. On essaie donc maintenant d’établir un objectif et une intention à donner aux écrivains avant de se lancer. Ces intentions sont définies par la ligne éditoriale, notre stratégie, mais aussi les envies des joueurs et des joueuses. Nous avons deux écrivains qui fonctionnent chacun en binôme avec une illustratrice. La conception se fait donc aussi en collaboration avec eux et avec mon suivi régulier.

 

Quelles sont les spécificités du développement d’un jeu purement mobile ?

Il y en a beaucoup. Par exemple, le format vertical et les boutons concentrés en bas de l’écran sont pensés pour favoriser l’utilisation à une main. Il y a aussi la nécessité de réfléchir à un système de rétention pour faire revenir les joueurs régulièrement. Néanmoins, le format du jeu est profondément différent de ce qui se fait traditionnellement sur mobile. Les sessions de jeux sont longues, en multijoueur et sans matchmaking. Ces intentions restent, mais se confrontent aux habitudes difficilement changeables de ce public du jeu mobile. Enfin, la plus grande particularité est que sur mobile, le modèle économique est pensé en même temps que le game design. C’est un vrai défi, puisqu’il faut proposer un modèle qui corresponde à nos intentions de design, tout en étant juste et rentable.

Pense-t-on au fait que le joueur pourra aussi bien utiliser l’application chez lui, pendant sa pause au travail ou dans les transports en commun ?

Non, et c’est une intention. Si nous voulons garder notre identité, nous devons continuer de travailler sur des expériences longues, riches et multijoueur, par définition mal adaptées à des séquences de cinq minutes dans le bus. Il existe beaucoup d’autres jeux qui le permettent. En revanche, le mode solo permet aux joueurs et aux joueuses de collecter les succès et de découvrir une manière différente d’apprécier le jeu, seul(e) le soir chez soi par exemple.

La direction artistique étant unique pour chaque histoire, il fallait une interface sobre qui les mette en valeur.

Quels défis avez-vous dû relever ?

Il y en a eu des tonnes, mais le plus gros a été et reste de financer le développement. C’est un jeu hors des normes et ça l’a rendu incompatible auprès de nombreux éditeurs, de structures ou même de subventions. Et ce, alors que nous sommes tous des juniors tout juste sortis de l’école. Il a fallu nous débrouiller et prendre un parcours « start-up » lié à l’innovation. Le reste des défis réside dans le fait de savoir dans quelle direction aller, puisque le concept vise un public large. Nous devons en permanence prendre des décisions assez importantes quant à l’avenir du jeu.

Comment pense-t-on une interface qui soit à la fois évidente et ludique ?

C’est également un défi perpétuel, mais nous avons privilégié la simplicité. La direction artistique étant unique pour chaque histoire, il fallait une interface sobre qui les mette en valeur. Les enjeux résident plus dans la compréhension des différentes interfaces durant les missions que les succès ou encore notre système de vitrine.

Pourquoi avoir décidé de proposer des achats in-app plutôt que de faire payer l’application ?

Le jeu est un game as a service, perpétuellement en développement avec du nouveau contenu. L’achat unique n’était donc pas envisageable. Nous avons aussi pour objectif de toucher un très grand public, et la majorité des joueurs ne payent que très peu voire pas du tout sur mobile. C’est pourquoi nous avons aussi ajouté un système de missions et de publicités à regarder (si on le veut) pour gagner une monnaie annexe qui permet d’acheter la plupart des aventures gratuitement.

Tales Up a bénéficié du Fonds de soutien au jeu vidéo (FAJV) du CNC.