« Le concept art ? Si je devais le définir : arriver à imager une idée ». Cette idée, qui sert de point de départ au concept artist, peut aussi bien être une description d’un personnage, d’un véhicule ou les grandes lignes définissant l’atmosphère. Le concept artist peut ainsi intervenir à différentes phases du processus de création. S’il est essentiel pour la production, en imaginant les différents éléments qui seront ensuite modélisés en 3D, le concept artist peut également aider à déterminer le style général d’un jeu vidéo. « Certains sont engagés dès la pré-production pour s’occuper du « visual development » en étroite collaboration avec le directeur artistique. C’est ce que je fais actuellement pour un jeu qui sort dans deux ans. Je fais des propositions de styles graphiques pour aider le directeur artistique à définir le cahier des charges qui servira ensuite de base à la création de tout l’univers par les artistes et les autres concept artists. La première qualité d’un concept artist est d’être un vecteur de communication entre les équipes », explique ainsi David Alvarez.
Certains concept artists s’appuient sur la 3D pour réaliser des images qui serviront uniquement à la communication marketing tandis que d’autres interviennent lors de la production pour mettre en scène par exemple, en partant du cahier des charges, une arme ou un personnage. « Il y a parfois un pitch très simple expliquant par exemple qu’il s’agit d’un homme qui vit à la Renaissance à une description beaucoup détaillée de son mode de vie, un descriptif de son apparence, etc…. Le matériel de départ pour dessiner est généralement un moodboard (une planche de tendances rassemblant des éléments – images ou objets – donnant une direction créative au projet, ndlr) ou un document DA (direction artistique) réalisé par le directeur artistique avec le directeur créatif qui donne les grandes lignes telles que l’univers dans lequel se passe le jeu. Si je fais le design d’un personnage, cela doit s’appuyer sur son histoire, son vécu. Il doit quand même y avoir une toile de fond, même si on ne la raconte pas au joueur », explique David Alvarez en soulignant la différence fondamentale entre la création d’un personnage pour un film et pour un jeu vidéo : l’interactivité.
Le concept artist doit ainsi prendre en compte les contraintes du gameplay dans ses dessins. « On ne conçoit pas de la même façon un pilote de kart et un personnage qui réalise des acrobaties. Son costume devra être adapté à son mode de déplacement. S’il doit se déplacer et grimper, ses habits doivent lui permettre des mouvements souples et ne pas s’accrocher lors de la montée ». En s’appuyant sur ces différents éléments, le concept artist fait des propositions visuelles au directeur artistique. Il s’ensuit alors des allers-retours entre les deux pour « donner corps » aux personnages et aux différents éléments du jeu.
Une recherche d’univers
Si certains dessinateurs de concept art se sont spécialisés dans un style graphique particulier, ce n’est pas le cas de David Alvarez qui aime « toucher à tout ». « Je suis curieux de nature », confie celui qui intervient aussi bien dans la phase de préproduction et de développement visuel que de production. De la curiosité, il en faut pour passer du Londres des années 1870 pour Assassin’s Creed Syndicate (Ubisoft) à une dystopie nazie dans Wolfenstein Youngblood (GFactory – MachineGames). « J’ai réalisé le design de la locomotive du héros dans Assassin’s Creed Syndicate. Je suis devenu un expert des locomotives du 18e siècle », sourit-il. Pour ce projet, réalisé lorsqu’il était encore salarié d’Ubisoft, David Alvarez a pu collaborer avec des historiens travaillant eux-aussi pour le groupe vidéoludique. « Ils nous donnaient des informations au fur et à mesure mais nous pouvions également les solliciter pour des demandes sur des éléments plus précis ».
Freelance depuis 6 ans, il s’appuie, pour ses recherches, sur une « importante bibliothèque de références graphiques » et va chercher l’inspiration aussi bien dans des livres qu’au cinéma, dans la sculpture ou la musique. « Pour un jeu de Fantasy, j’ai lu la série de romans l’Assassin royal de Robin Hobb qui se déroule dans un Moyen-Âge un peu fantasmé. Elle regorge de références intéressantes. Pour Wolfenstein Youngblood, une dystopie se déroulant dans les années 1980 où le monde est sous la coupe des nazis qui ont gagné la Seconde Guerre mondiale, j’ai beaucoup écouté Carpenter Brut. C’est de l’électro synthwave et ces sonorités alimentaient mon imaginaire. Je me suis beaucoup documenté pour ce jeu sur l’architecture brutaliste que l’on retrouve aussi chez les Siths dans Star Wars : quelque chose de très bétonné, très géométrique et fonctionnel, une sorte de militaire urbain, semblable à ce qui se faisait en URSS à l’époque et qui a été beaucoup démocratisé par l’école du Bauhaus ».
Techniques et conséquences
Si le concept artist doit adapter ses dessins au gameplay et au style du jeu, il devait également faire face à des contraintes techniques avant les dernières évolutions technologiques. « C’est moins le cas aujourd’hui car les moteurs de jeu sont puissants. Mais avant, nous étions souvent contraints par les limitations techniques, le nombre de polygones et les tailles des textures par exemple pour concevoir un personnage. Il fallait être malin et ne pas faire un dessin trop complexe alors que le modeleur n’avait pas assez de polygones pour le reproduire ensuite en 3D », se souvient-il. Travailler en 3D pour les jeux Assassin’s Creed (il a été concept artist et modeleur 3D une partie de son temps, pour les jeux Assassin's Creed Syndicate, Assassin's Creed: Unity, Assassin's Creed IV: Black Flag, Assassin's Creed III, Assassin's Creed Revelations - Collectors Edition, Assassin's Creed Brotherhood et Assassin's Creed II, ndlr) lui a d’ailleurs permis de comprendre les répercussions de ses concept arts sur la réalisation 3D. « J’envisage les choses différemment maintenant. Lorsque je conçois un personnage ou un décor, j’essaie de le faire pour faciliter la tâche de l’artiste 3D. Je vais lui donner des indications ou faire des gros plans pour montrer par exemple ce qui est caché par la perspective ou le cadrage. J’essaie de faire du « concept art clé en main », pour clarifier les choses et éviter des allers-retours ».
Autre élément clé pour réussir selon lui dans ce métier : travailler avec soin son portfolio. Un conseil qu’il rappelle régulièrement à ses étudiants de l’école Emile Cohl où il a lui-même étudié - David Alvarez a d’abord fait un DUT Techniques de commercialisation, puis a travaillé cinq ans afin de pouvoir financer son école de dessin. « Le portfolio est comme une devanture de boutique. Vous avez beau être le meilleur artisan du monde et avoir de beaux outils, si personne ne rentre dans votre boutique, vous n’aurez pas de travail ». Il conseille ainsi de maintenir un portfolio à jour et de partager des dessins sur les réseaux sociaux pour être visible des clients, surtout lorsqu’on travaille en indépendant. « Entre chaque production, je prends du temps pour faire le portfolio du projet que je viens de terminer même si le jeu ne sortira que dans 3 ou 4 ans (les concept arts ne peuvent être publiés avant la sortie du jeu, ndlr). Je prépare les dessins pour pouvoir les publier dès qu’il est possible de le faire », détaille David Alvarez en ajoutant qu’il est important également de réaliser des dessins personnels, hors commandes. « J’ai réalisé récemment des concept arts de véhicules pour un jeu qui sort dans quelques années. En attendant de pouvoir les publier, j’ai dessiné d’autres véhicules pour mon portfolio personnel. Comme j’ajoutais une autre corde à mon arc, je voulais la mettre en avant le plus vite possible ».
Autre idée pour décrocher des contrats : prospecter directement auprès des clients. « J’aimerais travailler pour les cartes Magic. Je réalise donc sur mon temps libre des images qui rappellent l’univers de Magic et je leur envoie ». Rester visible est essentiel dans une industrie concurrentielle. S’il y a des milliers de sorties chaque année, le concept art ne représente qu’une faible proportion au sein d’une équipe de création. « Dans une équipe d’une cinquantaine de personnes, il n’y a souvent qu’un seul concept artist. Pour les jeux Assassin’s Creed, nous étions une dizaine de concept artists sur 300 à 800 personnes (en fin de production) travaillant sur le projet. La proportion reste la même. Il faut sortir du lot », explique ce passionné de jeux vidéo depuis son enfance. « J’adorais voir dans les magazines de jeux vidéo les dessins des personnages et des décors… La conception m’intéressait presque plus que le jeu en lui-même. J’étais fasciné par le fait que les dessins prennent vie et que le joueur puisse se déplacer ensuite dans ce qu’on a créé ».