« Fiasco » : entretien avec son cocréateur Igor Gotesman

« Fiasco » : entretien avec son cocréateur Igor Gotesman

02 mai 2024
Séries et TV
Fiasco
« Fiasco » créé par Igor Gotesman et Pierre Niney Netflix

Diffusée sur Netflix, la série Fiasco brouille les frontières entre fiction et réel en filmant façon making of un tournage qui vire au cauchemar. Igor Gotesman, son réalisateur et cocréateur [avec Pierre Niney], en détaille les coulisses et démêle, au passage, le vrai du faux.


Comment est venue l’idée du plateau de tournage comme lieu de comédie ?

Igor Gotesman : Le projet de Fiasco est né en 2010. Il s’agit de l’une de mes premières idées quand j’ai commencé à réfléchir à ce que je voulais créer. Pour avoir été, à l’époque, en école de cinéma et sur quelques tournages, je sais qu’un plateau peut être l’endroit idéal pour raconter des histoires avec tous ces individus qui viennent d’horizons socioculturels différents. Les stars un peu capricieuses, les techniciens plus terre à terre, le cantinier dépassé… Il y a matière à fiction. Par ailleurs, ce cadre du plateau de cinéma touche aussi à la notion de famille, inhérente à mon travail : la famille que l’on choisit dans Five, celle dont on hérite dans Family Business, et la famille de travail dans Fiasco.

 

Vos propres expériences dans le cinéma vous ont-elles inspirées pour Fiasco ?

Je suis d’un tempérament anxieux. J’ai déjà imaginé à plusieurs reprises comment tout pourrait virer au cauchemar dans mes propres projets. Ces anticipations m’ont nourri et m’ont aidé à imaginer le pire pour le protagoniste de la série, Raphaël Valande [joué par Pierre Niney – ndlr]. Mais je me suis également inspiré de véritables accidents. Il y a une scène dans Fiasco où un projecteur tombe et commence à prendre feu : le premier jour du tournage de Five, une gélatine pour projecteur s’est enflammée, et nous avons eu le droit aux extincteurs et à l’odeur de plastique brûlé… J’ai projeté dans Fiasco mes propres expériences, mais j’ai aussi regardé Lost in La Mancha et Fucking Kassovitz [le making of de Babylon AD – ndlr] par exemple, afin de voir comment tout peut dérailler sur des tournages qui ont eu la chance d’être documentés.

Pierre Niney tient le rôle principal de Fiasco. Il en est également le cocréateur et le coscénariste. À quel moment est-il arrivé sur le projet ?

J’ai rencontré Pierre en 2010. Je lui ai parlé très vite de mon envie d’écrire une workplace comedy sur un plateau de tournage qui part en vrille. Coïncidence, à ce moment il prépare de son côté un programme court sur l’univers du casting [Casting(s) sur Canal+ – ndlr]. Il m’a proposé de l’écrire avec lui, puis d’y incarner Richard, le directeur de casting, sous sa direction. Nos rôles étaient inversés à l’époque ! Évidemment, mon projet de série a mis plus de temps à se concrétiser. J’ai tourné la saison 2 de Family Business pendant la pandémie de Covid-19. Et c’est à cette époque que j’ai relancé l’idée de Fiasco. Auprès de Pierre d’abord, puis de la plateforme Netflix, qui a tout de suite été intéressée.

Ce cadre du plateau de cinéma touche à la notion de famille, inhérente à mon travail : la famille que l’on choisit dans Five, celle dont on hérite dans Family Business, et la famille de travail dans Fiasco.

En l’espace de dix ans, comment votre manière de collaborer a-t-elle évolué ?

Nous nous connaissons de mieux en mieux avec les années. Nous gagnons en rapidité et en efficacité dans le travail. Nous savons ce qui nous fait rire. Je sais ce qu’il va aimer jouer, je connais les endroits où il est le plus performant. Surtout, nous sommes amis dans la vie, ce qui nourrit notre travail. Fiasco est la première expérience de Pierre comme protagoniste d’une série. J’ai pu le guider dans ce rôle grâce à l’expérience acquise sur Family Business en dramaturgie et structure narrative.

À quoi a ressemblé votre processus créatif en salle d’écriture de Fiasco ?

Il a fallu envisager des situations propices à la comédie dans lesquelles mettre notre héros. L’avantage de collaborer avec Pierre à l’écriture est que nous avons pu incarner les scènes en même temps. Il a joué les séquences et je lui ai donné la réplique afin de voir comment articuler les dialogues. Les lectures avec les autres acteurs ont également beaucoup aidé jusqu’au moment du tournage, qui représente la troisième étape d’écriture. Une fois que nous avons eu le nécessaire pour raconter l’histoire, nous nous sommes permis d’expérimenter, d’improviser, de tester des variations de répliques lors de prises supplémentaires. Avec des compagnons de jeu tels que Pierre Niney et François Civil, Pascal Demolon ou Géraldine Nakache, c’est agréable de prendre le temps de faire ce que j’appelle des workshops, pour travailler une réplique en particulier et en trouver la meilleure version.

Outre la comédie, Fiasco fait aussi la part belle à l’enquête avec la mise en scène de ce protagoniste qui tente de démasquer celui qui sabote son tournage…

Je n’ai surtout pas voulu créer une série montrant les coulisses du monde fantasmé du cinéma, car le sujet n’est pas assez universel. Y incorporer une enquête permet de renforcer l’intérêt du spectateur, de lui donner envie de percer à jour le coupable. C’est une architecture qui me plaît, et qui me rassure : elle m’a permis d’avoir une structure solide de dramaturgie sur laquelle poser des situations comiques et des gags variés, et sur laquelle j’ai pu m’appuyer pour éviter la succession de sketches sans but qui peut lasser... 

Le jeu de regards caméra opéré par Pierre Niney tout au long de la série était-il un autre moyen d’attirer l’attention du spectateur ?

Le regard caméra est totalement interdit dans la fiction traditionnelle. Il y est vu comme une erreur qu’il faut rectifier. Or dans Fiasco, il donne un sens au processus de narration. C’est jouissif de s’autoriser le regard caméra et de pouvoir casser le quatrième mur avec un personnage qui regarde droit dans l’objectif et entre en connivence avec l’audience. De cette manière, le spectateur est directement connecté au héros car un simple regard dans les moments un peu gênants engage l’empathie.

Collaborer avec une plateforme comme Netflix me permet de m’inviter chez les spectateurs, de leur proposer des fictions dont ils peuvent suivre les personnages sur une durée plus longue que celle d’un film.

Les images de la série sont celles d’une caméra « making of », qui implique une forte mise en abîme. Est-ce compliqué de s’y retrouver sur le plateau ?

Pendant la production, il y avait la vraie équipe de tournage, la nôtre, et la fausse équipe du film que tourne Raphaël Valande. Une situation presque schizophrénique. Je connais bien mes équipes techniques car j’ai repris celles qui ont travaillé avec moi sur Family Business et d’autres projets, mais à une ou deux reprises je me suis pris les pieds dans le tapis en confondant quelqu’un de la figuration avec un membre du staff. Il y a surtout eu une contrainte de mise en scène : pour chaque séquence, j’ai dû annoter le scénario afin de préciser si les personnages savaient s’ils étaient filmés ou non de manière à voir si la caméra making of pouvait être proche d’eux ou si justement il fallait adopter un effet « images volées » et être en grande focale avec des zooms et des amorces de plantes ou de murs.

Comment avez-vous abordé cette deuxième collaboration avec Netflix après Family Business ?

Avec Pierre [Niney], nous avons voulu que le « faux film » de Raphaël Valande soit vu comme une production assez importante, pour que la chute n’en soit que plus savoureuse pour le spectateur. Nous avons eu les moyens nécessaires pour concrétiser nos ambitions. Les plateformes représentent en quelque sorte la nouvelle télévision. Et la télévision est un moyen de rentrer dans les foyers. Collaborer avec Netflix me permet de m’inviter chez les spectateurs, de leur proposer des fictions dont ils peuvent suivre les personnages sur une durée plus longue que celle d’un film. Par ailleurs, j’ai plus de temps pour raconter une histoire et faire des détours, ce que je n’aurais pas pu me permettre si Fiasco avait été un film.

Fiasco est l’une des premières séries de plateforme soutenue par le Fonds de soutien sélectif du CNC à la suite de l’ouverture au 1er janvier 2023 des dispositifs de soutien audiovisuel aux projets préfinancés par les plateformes.
 

FIASCO

Affiche de « Fiasco » réalisé par Igor Gotesman
Fiasco Netflix

Une série de 7 x 35 minutes diffusée sur Netflix
Réalisation : Igor Gotesman
Scénario : Igor Gotesman, Pierre Niney, Nicolas Slomka et Tania Gotesman
Photographie : Julien Roux
Musique : Paul-Marie Barbier et Julien Grunberg
Montage : Stéphan Couturier
Costumes : Emmanuelle Youchnovski
Production : Five Dogs et Ninety Films
Sortie le 30 avril 2024

Soutien du CNC : Fonds de soutien sélectif (FSA)