Bien avant Joli joli, vous avez coécrit en 2008 Le Bruit des gens autour, le tout premier long métrage de Diastème. Comment vous étiez-vous rencontré ?
Alex Beaupain : Par Christophe Honoré ! L’un et l’autre avaient sorti leur premier livre aux Éditions de l’Olivier et ils avaient fait dans la foulée une petite tournée des librairies. Ces deux garçons qu’a priori tout opposait dans leurs goûts de cinéma – Christophe Honoré, grand lecteur des Cahiers du Cinéma et Diastème, ex-journaliste chez Première – sont devenus les meilleurs amis du monde. Christophe m’a donc présenté Alex, et à partir de ce moment-là, et on a formé une petite bande.
Quand et comment naît l’idée de Joli joli ?
Diastème a lancé l’idée il y a une bonne dizaine d’années maintenant. Un jour, il est venu me dire : « On va faire une opérette et ça va s’appeler Joli joli. » S’il me le propose, c’est bien évidemment parce que j’ai déjà fait Les Chansons d’amour avec Christophe (Honoré), mais aussi parce qu’il pense que ça pourrait m’intéresser d’aller sur un terrain plus proche de la comédie que du drame, où j’évolue habituellement. Et j’accepte immédiatement sa proposition !
Quelles sont les premières pistes de travail ?
Chez lui, Diastème installe un piano pour moi et se met derrière son ordinateur. Un travail à l’ancienne façon Jacques Demy-Michel Legrand ! Je repartais de chaque séance avec des devoirs à faire : écrire les chansons. Mais ces rendez-vous réguliers m’ont aussi permis d’intervenir un peu dans les rebondissements du scénario et à Diastème d’écrire certaines chansons. Finalement, je ne suis réellement crédité comme coscénariste que pour les paroles des chansons qui participent de l’action, la colonne vertébrale et le texte de ce récit sont, eux, l’œuvre de Diastème.
À quel moment arrive l’idée d’une histoire d’amour entre un écrivain fauché et une star montante du cinéma ?
Dès le départ, on sait qu’il s’agit d’un marivaudage. Un film choral réunissant des couples qui vont faire fi de différents obstacles pour finir ensemble. Parce que quand Diastème parle d’opérette, il est très sérieux. On va donc s’évertuer à en suivre les règles très précises. À savoir : quatre actes avec un rebondissement à la fin de chacun, une histoire romantique peuplée de quiproquos, un happy end et la reconstitution d’une époque.
Pourquoi avoir choisi la fin des années 70 et plus précisément 1977 ?
C’est toujours un peu empirique mais avec 1977, il y avait cette idée d’une certaine légèreté. Mais aussi que le cinéma italien restait suffisamment puissant pour qu’on puisse s’amuser quand l’action se déroule à Cinecittà. Et l’idée que musicalement, on se situait à une période charnière, entre la fin de la musique californienne, le punk et le disco qui monte en puissance. Avec ce que cela implique dans les costumes et les décors. La raison de ce choix est toute bête : si on rajoute un téléphone portable dans cette histoire, tout s’arrête au bout de trois minutes. Si les gens peuvent communiquer aussi facilement qu’aujourd’hui, aucun quiproquo n’est possible ! On a pris aussi très tôt la décision de tourner Joli joli en décors artificiels, rappelant dans nos rêves les plus fous la MGM des années 50. Même si, à l’arrivée, on est sans doute plus proche d’un film de Resnais, avec l’utilisation de la fausse neige – qu’on n’a pas voulu rajouter en VFX – et le désir d’effets spéciaux mécaniques comme on n’en fait quasiment plus. Je n’avais qu’une peur : que le film soit cheap ou qu’on ait le sentiment que son côté factice ne soit pas volontaire de notre part. Je pense qu’on a su éviter cet écueil.
Quel plaisir avez-vous pris à aller sur ce terrain de la comédie qui vous est a priori peu familier ?
Ça m’est évidemment plus difficile que des ambiances plus dramatiques mais la contrainte m’amusait. Et Diastème m’a énormément aidé. Quand il me dit que la première chanson du film parlera d’un écrivain raté, que je lui propose de l’appeler Nul car je trouve ça rigolo et qu’il adhère tout de suite, ça m’ouvre le champ des possibles. À savoir cette idée qu’on va pouvoir se permettre plein de choses y compris un peu grossières car on est dans l’opérette. Quand il écrit La Chanson des éboueurs aves des « bi bidibim boum bam », je comprends qu’on peut s’amuser à faire des onomatopées. Et j’écris dans la foulée la chanson mettant en scène des huissiers en suivant la même logique. Il y avait entre nous ce jeu génial de s’épater mutuellement.
Vous n’aviez encore aucune idée du casting ?
Non, et on a d’ailleurs écrit Joli joli en pensant qu’on pourrait indifféremment le monter sur scène ou au cinéma. Si on le créait sur scène, on appellerait ça une opérette et si on le faisait au cinéma, ça deviendrait une comédie musicale !
Quand la décision finale a-t-elle été prise ?
Bien longtemps après avoir fini d’écrire. On avait entre-temps essayé régulièrement de le monter sur scène mais sans y parvenir. Alors un jour Diastème a fini par décider d’en faire un film. Et c’est là que la question du casting s’est posée.
C’est une réflexion à deux ?
À plusieurs. C’est Maxime Delauney, notre producteur qui propose le nom de Clara (Luciani) car il sait que j’ai travaillé avec elle. Et cette idée me séduit tout de suite. Diastème propose aussi spontanément les noms de José Garcia, Thomas VDB… Vincent Dedienne, c’est notre idée à tous les deux car on le connaît bien. Mais la majorité des choix vient de Diastème. Moi, je devais m’assurer qu’ils soient capables de chanter. J’ai déjà travaillé avec des acteurs qui ne sont pas des chanteurs professionnels mais pour Joli joli, il fallait des chanteurs plus aguerris. Les mélodies sont un peu plus écrites, un peu plus compliquées à chanter que de la chanson pop comme dans les films de Christophe Honoré. Donc on n’allait pas jouer ici – ce qui peut être très joli par ailleurs – sur l’émotion, sur du parler-chanter.
Pourquoi avez-vous tout de suite aimé l’idée de Clara Luciani ?
Très clairement à cause des chansons. Miséricorde, par exemple, exige une grande amplitude – la note la plus basse et la note la plus haute étant très éloignées – et Clara s’y emploie brillamment. Et puis avant qu’elle sorte son premier album, j’avais déjà fait un spectacle avec elle, Les Gens dans l’enveloppe, et j’avais pu constater que sa voix parlée était aussi très belle et gracieuse. Elle possède par ailleurs une vraie cinégénie et ce personnage de jeune actrice en plein boom pouvait résonner avec ce qu’elle vivait en tant que vedette de la chanson. Diastème a fait avec Clara ce que j’ai fait de mon côté avec les acteurs par rapport aux chansons : il a vérifié sa capacité à jouer. Très vite, il s’est rendu compte que c’était possible.
Comment construisez-vous les enregistrements des chansons ?
On s’en occupe évidemment avant le tournage pour que les comédiens puissent jouer le play-back sur le plateau. Il faut compter deux à trois jours de studio par comédien. Pour faire chanter les acteurs, j’ai deux ou trois techniques. Ça passe d’abord et avant tout par énormément de travail, de répétitions, de prises, car on ne leur demande pas de chanter à la perfection une chanson du début à la fin. On fait du montage. Mon travail consiste à trouver une technique par acteur et par personnalité. Ça ne peut pas être la même chose pour tout le monde. William (Lebghil), par exemple, fonctionnait beaucoup par références de chanteurs, de Reggiani à Souchon. Avec Victor (Belmondo), ça passait par beaucoup de répétitions. José (Garcia) par une émotion car il était très touché par les chansons qu’il interprétait. Et on espace les séances pour que j’ai le temps de réécouter, de réfléchir.
Une fois sur le plateau, que devient votre rôle ?
Un truc assez barbant. (Rires.) Je devais vérifier les play-back et donc dire parfois que ça n’allait pas, alors que tout le monde était content du long plan-séquence qui venait de s’achever ! Je devais continuer à jouer les professeurs en quelque sorte en rappelant aux comédiens de chanter réellement en play-back. Cette crédibilité était indispensable au film. J’ai vraiment accompagné Joli joli au quotidien, jusqu’à la fin du mixage, ce qui n’est évidemment pas toujours le cas sur les films que je fais. Mais du premier au dernier jour, c’est l’un de ceux sur lesquels je me suis le plus amusé.
Joli joli
Scénario : Diastème et Alex Beaupain
Production : Nolita Cinéma, Ice Films, Hors Champs, Les Canards Sauvages, Ugo&Play, Marcel Films
Distribution : Haut et Court
Ventes internationales : Ginger & Fred
Sortie le 25 décembre 2024
Soutien sélectif du CNC : Avance sur recettes avant réalisation