Arnaud et Jean-Marie Larrieu : « Le Roman de Jim nous a confrontés au romanesque »

Arnaud et Jean-Marie Larrieu : « Le Roman de Jim nous a confrontés au romanesque »

14 août 2024
Cinéma
Le Roman de Jim
« Le Roman de Jim » réalisé par Arnaud et Jean-Marie Larrieu Pyramide Distribution

Les réalisateurs de Tralala reviennent sur leur travail d’adaptation du roman de Pierric Bailly. Un récit centré sur la relation pleine d’amour et de rebondissements entre un homme et le fils de sa compagne qu’il élève comme le sien, jusqu’à ce que le père naturel de l’enfant vienne le chercher pour l’emmener au Canada avec sa mère.


Quand est née l’idée d’adapter le roman de Pierric Bailly ?

Jean-Marie Larrieu : On avait commencé à réfléchir à notre film suivant avant la sortie de Tralala, un projet qui devait se dérouler dans la montagne. C’est à ce moment-là que P.O.L. nous a fait parvenir le roman de Pierric Bailly. Nous avons appris plus tard que c’était une suggestion de Pierric lui-même, car c’est quelqu’un de très cinéphile qui connaît bien nos films. On a lu le livre assez vite et on s’est dit pourquoi pas ? Mais la signature des droits a pris du temps. Donc nous sommes partis sur une autre idée, celle d’un western. Sauf que le projet était vraiment très lourd, trop lourd, et qu’on a choisi finalement de revenir au Roman de Jim, dans lequel, de manière presque inconsciente, on a ajouté quelques éléments de western.

Pourquoi avoir eu envie de porter ce roman à l’écran ?

JML : On y a perçu des choses très nouvelles pour nous. Le Jura tel que décrit par Pierric, habité, vivant, très différent des Pyrénées aux ambiances plus désertiques, voire métaphysiques, qu’on a l’habitude de filmer.

Arnaud Larrieu : Et puis il y a cette question sociale qui traverse le livre. Une thématique qui nous passionne mais sur laquelle on ne serait pas allé de nous-mêmes avec un scénario original. Dans nos films, on a pour habitude de parler de milieux plus en marge. Avec Le Roman de Jim, on se situe vraiment dans le monde du travail. Les personnages du film sont intérimaires, infirmières, professeurs… tous ancrés dans une réalité professionnelle. C’est ce qui permet à cette histoire de paternité d’être traitée de manière à la fois très réaliste et extrêmement romanesque, à travers un récit qui va s’étaler sur vingt-cinq ans.

JML : On ne se situe pas du tout dans le drame social. Il y avait chez nous cette envie de nous confronter au romanesque et à l’émotion si présents dans le livre, avec ces personnages qui avancent à vue, ce temps qui passe et qui donne une ampleur si romanesque à leurs vies.

Et ce, sans jamais prendre parti dans les choix qu’ils font. On sent que vous aimez l’ensemble de ces personnages pour ce qu’ils sont, qualités et défauts compris…

JML : C’était vraiment dans l’esprit du livre. Notre travail a été de le traduire en cinéma, de ne jamais abîmer ce fil essentiel. Tout cela passe beaucoup par le choix des comédiens et la manière dont ils jouent.

 

Ils arrivent donc forcément très tôt dans le processus, non ?

AL : Ceux qui sont dans le film au final, pas du tout ! (Rires.)

JML : Cette question de l’incarnation arrive souvent très tôt dans notre réflexion, mais à tous les coups ou presque, on rencontre des soucis de calendrier avec les uns et les autres et c’est toujours Mathieu Amalric qui finit par jouer des rôles qui n’ont pas été écrits pour lui ! (Rires.) Sauf que pour Le Roman de Jim, ça ne fonctionnait pas avec Mathieu pour des questions d’âge.

Qu’est-ce qui vous a donné envie de confier à Karim Leklou le rôle d’Aymeric, cet homme qui élève comme son fils Jim, l’enfant de sa compagne, avant d’en être violemment séparé par le retour du père naturel ?

JML : On nous parlait assez souvent de Karim, mais on s’était fait une image de lui très « cliché » et à mille lieues de ce qu’il est vraiment. On le trouvait ainsi un peu triste, un peu mélancolique et on craignait que ce soit un peu ton sur ton avec cette histoire. Et puis on l’a rencontré après trois mois d’auditions. On a pris un café et au bout de dix minutes, on s’est regardé avec Arnaud : on avait trouvé notre Aymeric. Il en possédait naturellement toute la charge émotionnelle et la bonté. Sur le plateau, on a constaté l’immense acteur qu’il est dès les premiers jours puisqu’il a dû jouer la scène essentielle du film, celle des retrouvailles d’Aymeric avec Jim de retour du Canada après des années. On avait quand même demandé à la production de nous laisser l’opportunité de refaire cette scène à la fin du tournage au cas où. Mais on n’en a pas eu besoin. Karim nous a bluffés !

Dans cette scène, il fait face à Andranic Manet. Qu’est-ce qui vous a incité à le choisir pour incarner Jim adulte ?

AL : Il se trouve que le jour où l’on a rencontré Karim pour le rôle d’Aymeric, on devait déjeuner avec Andranic. On avait alors l’idée d’une autre version d’Aymeric qu’on aurait fait vieillir à l’écran. Mais comme Jean-Marie l’a dit, avec Karim, on avait notre Aymeric. Et de la même manière, il fut évident qu’Andranic, avec sa taille immense, jouerait le fils. Puisqu’il n’y avait pas de lien biologique entre les deux personnages, l’idée a tout de suite été de faire contraste. Que Karim soit le père de quelqu’un qui lui ressemble le moins possible.

Comment avez-vous construit le reste du casting ? Vous retrouvez notamment Bertrand Belin que vous avez dirigé dans Tralala

JML : Bertrand a apporté quelque chose de très réel, très ancré au personnage du père biologique de Jim, Christophe, qui revient le chercher des années après sa naissance. Il ne jouait pas du tout le beau gosse, même si une séduction naturelle émane de lui.

AL : Comme on est beaucoup plus elliptique que dans le livre et que le temps passe beaucoup plus vite, énormément de scènes ont disparu. Il fallait donc que Christophe ait un charme immédiat. Ce personnage est symbolique de l’écriture de Pierric. Dans ses livres, les gens ont des métiers mais aucun des clichés qui vont avec. L’aide-soignant que joue Bertrand, ça peut être un beau gosse !

JML : Comme Sara Giraudeau qui joue la professeure qui aime sortir dans les soirées électro. Laetitia Dosch, elle, a apporté sa musique si singulière à ce personnage d’infirmière rock…

Avec Le Roman de Jim, on se situe vraiment dans le monde du travail. Les personnages du film sont intérimaires, infirmières, professeurs… tous ancrés dans une réalité professionnelle. C’est ce qui permet à cette histoire de paternité d’être traitée de manière à la fois très réaliste et extrêmement romanesque, à travers un récit qui va s’étaler sur vingt-cinq ans.
Arnaud Larrieu


Le plus compliqué pour vous a-t-il été de raccourcir l’intrigue par rapport au roman ?

JML : Oui, à toutes les étapes, de l’écriture au montage. Le scénario était beaucoup plus développé que le film terminé, il y avait plus de voix off. C’est d’ailleurs la première chose qu’on a dite à notre fidèle monteuse Annette Dutertre. On savait qu’on avait fait plus long sur certaines scènes au tournage, mais qu’on avait besoin d’en passer par là pour faire naître l’émotion et qu’on peaufinerait tout cela au montage. On n’a donc jamais été dans le deuil de ce qu’on coupait. Même s’il fallait prendre garde de ne pas trop enlever de choses pour ne pas simplifier l’intrigue et permettre au spectateur de se lier à chaque personnage.

Vous répétez avec vos comédiens ?

AL : Absolument pas car on aime le moment où ils vont jouer, en situation. On fait certes quelques lectures mais juste pour leur permettre de faire connaissance.

JML : On les écoute à ce moment-là lire le texte car on tient vraiment à ce que chacun ait sa propre musique. C’est ce qui permet de créer la variété de jeu qu’on voit à l’écran. Et sur le plateau, on commence par regarder leurs premières propositions et on ajuste. Le texte ne bouge pas mais on peut modifier des intonations par exemple.

Si ce film vous permet de vous confronter à des choses inédites, on peut aussi le voir dialoguer avec Tralala qui parlait déjà de paternité…

JML : Quand Pierric nous a envoyé son roman, Tralala n’était pas encore sorti. Mais c’était troublant pour nous qui étions alors en plein montage d’une histoire dont le héros déboulait dans une famille qui avait décidé qu’il serait le fils disparu aux États-Unis depuis vingt ans. Tout cela n’est cependant pas le fruit du hasard. On aime profondément travailler à revisiter des relations qui sont fondées sur les liens du sang en montrant que ce n’est absolument pas ça qui compte. N’oublions jamais qu’au fond, les pères ne savent pas trop d’où viennent les enfants, à part du ventre de leur mère. D’où cette idée qu’il faut toujours adopter son fils ou sa fille…

Le Roman de Jim est un grand film de montage. Un véritable travail de broderie […] Ici, le vrai défi était de parvenir à créer l’émotion sans verser dans la manipulation. Et ne pas l’esquiver.
Jean-Marie Larrieu


Vous avez pris l’habitude de travailler avec des directeurs de la photographie différents à chaque film. Pourquoi avoir choisi Irina Lubtchansky pour Le Roman de Jim ?

JML : Cela fait un moment qu’on se croisait avec Irina. Notre monteuse avait travaillé avec elle récemment sur La Grande Magie de Noémie Lvovsky

AL : … et pour Le Roman de Jim, on avait envie de travailler avec une femme.

JML : On trouvait que pour cette histoire père-fils avec nous deux derrière la caméra, cela faisait beaucoup d’hommes ! On a vu trois directrices de la photographie. Mais avec Irina, ce fut une grande rencontre. C’est une vraie cadreuse comme Arnaud qui jusque-là cadrait sur tous nos films. On a évidemment toujours eu cette réflexion en amont sur le cadre, mais on a adoré lâcher au moment de la prise pour le confier à Irina. Ce fut un travail vraiment enrichissant. Irina a grandi sur les plateaux où son père William [le chef opérateur des films de Jacques Rivette, NDLR] était en charge de la lumière et on sent en elle cet héritage. Nous, sur un plateau, on cherche, tout n’a pas été décidé en amont du tournage. Ça a pu rendre inquiets ou perplexes certains chefs opérateurs. Mais pas Irina ! Elle est dans cette même logique de recherche sur le plateau.

Quelles grandes directions lui avez-vous données ?

AL : Des réponses à des questions très concrètes. À commencer par la taille du cadre. Après Tralala, tourné en Scope, on n’avait plus envie de ce format. Comme le personnage d’Aymeric prend des photos, on voulait jouer avec leurs représentations à l’écran, parfois plein cadre, parfois comme dans un album. Et puis on a trouvé cette idée avec Irina qu’à partir du retour de Jim, on passerait du 4K au 6K. Ce qui rend toutes les focales plus larges et apporte une sorte d’hyperréalisme. Une parfaite manière de symboliser le présent qui débarque.

Votre manière de travailler à deux a évolué sur ce film ?

AL : Non, elle a été identique si ce n’est qu’elle a été rendue plus simple et plus souple grâce à la présence d’Irina.

JML : Comme elle cadrait, c’est vraiment la première fois que l’on s’est retrouvé côte à côte sur le plateau avec Arnaud. C’était un peu bizarre au début. Mais ça a bien fonctionné. Comme notre trio de montage avec Annette Dutertre. Le fait de bien se connaître et d’avoir l’habitude de travailler ensemble a été un atout majeur. Comme on le disait plus tôt, Le Roman de Jim est un grand film de montage. Un véritable travail de broderie où il fallait bien garder notre ligne par rapport aux remarques de nos différents interlocuteurs.

Comment sait-on quand on en a fini du montage ?

AL : Nos interlocuteurs, au fur et à mesure de la fabrication d’un film, ont toujours de grandes idées : vous avez essayé de mettre le début à la fin ? Est-ce que tout le film ne devrait pas être en flash-back ? Mais dans ces échanges ou, plus largement, quand on se sent nous-mêmes perdus, on en revient toujours à ce qui est écrit. Au scénario. Donc, pour répondre à votre question, je dirais qu’on sait surtout… quand ce n’est pas fini !

JML : Ici, le vrai défi était de parvenir à créer l’émotion sans verser dans la manipulation. Et ne pas l’esquiver. Et puis à un moment, on sent que le film est là. Dans la foulée, il y a toujours des coupes fondamentales qui tombent d’elles-mêmes pour cette raison.

AL : Oui, il y a un moment où le film éjecte des choses tout seul ou en demande de nouvelles.

JML : C’est le film qui commande. Toujours.
 

LE ROMAN DE JIM

Affiche de « LE ROMAN DE JIM »
Le Roman de Jim Pyramide

Réalisation et scénario : Arnaud et Jean-Marie Larrieu d’après le roman de Pierric Bailly
Photographie : Irina Lubtchansky
Montage : Annette Dutertre
Musique : Bertrand Belin et Shane Copin
Production : SBS Productions
Distribution : Pyramide
Ventes internationales : Pyramide International
Sortie le 14 août 2024

Soutiens du CNC :  Aide au développement d’œuvres cinématographiques de longue durée, Avance sur recettes avant réalisation, Aide à l'édition vidéo (aide au programme éditorial), Aide sélective à la distribution (aide au programme 2024)