L’art et essai apparaît officiellement en 1955 avec la création de l’Afcae (Association française des cinémas Art et essai), association qui n’a depuis cessé de promouvoir, soutenir, accompagner, les défenseurs d’un cinéma pluriel, audacieux, inventif, hors normes, provenant de tous les territoires du monde entier. L’Afcae fut créée pour la défense des intérêts des exploitants de salles qui programmaient un cinéma que l’on appelait encore d’« avant-garde ». Une distinction se faisait alors entre le film d’« art » dont la vocation première n’était pas commerciale, et le film d’« essai », désignant la frange la plus radicale de ce type de productions.
En 1955, le nombre de salles « Art et essai » s’élève à cinq sur l’ensemble du territoire, mais l’enjeu est de taille et va servir de socle à la cinéphilie en train de se construire. A cette époque, le public a difficilement accès aux films étrangers et aux œuvres qui sortent des canons en vigueur. Le critique et théoricien André Bazin pouvait ainsi affirmer : « Il ne faut pas simplement défendre des bons films, il faut également créer un bon public. » Dans son esprit, l’exploitant de salles ne doit pas se contenter d’être un programmateur de films, il doit d’abord guider le spectateur dans son rapport aux œuvres. Il doit éditorialiser ses choix, organiser des rencontres et des débats... Les ciné-clubs réservés aux cinéphiles s’institutionnalisent, et le cinéma d’auteur s’échappe des cinémathèques pour toucher de nouveaux spectateurs.
1955 donc. Soit quatre ans avant l’avènement des jeunes loups de la Nouvelle Vague, eux-mêmes anciens critiques au sein des Cahiers du Cinéma (François Truffaut, Claude Chabrol, Jean-Luc Godard...), une revue qui a largement contribué à faire du cinéaste un auteur à part entière. Ce groupe mène depuis quelques années un combat théorique pour anoblir le septième art (héritier en cela des avant-gardes des décennies précédentes - dadaïstes, surréalistes, expressionnistes...). Pourtant, ce combat n’a jamais cherché à exclure mais au contraire à rassembler et à ouvrir les portes des salles obscures à tous.
Politique publique du CNC
Voilà pourquoi dès 1959, André Malraux, le ministre des Affaires culturelles, propose aux établissement labellisés « Art et essai » des déductions fiscales et un soutien financier. A partir de 1962, date du premier classement Art et essai sous André Malraux, ce classement est donc opéré par l’Etat et s’institutionnalise – il devient une politique publique du CNC, visant avant tout à promouvoir une diversité de films sur les écrans.
Ces aides vont favoriser le développement des salles de cinéma d’auteur, passant de cinq à 300 dans les années 1970. Le pic sera atteint dans les années 1990 avec plus de 1000 cinémas labellisés. En 2020, 1244 établissements, soit 60% des cinémas français, sont classés Art et essai par le CNC qui y consacre un budget de 16 millions d’euros.
Pour bénéficier de l’appellation « Art et essai », les salles doivent répondre à des critères très stricts et programmer majoritairement des œuvres « singulières ». Les films présentés doivent présenter d’incontestables qualités, sans avoir obtenu l’audience qu’ils méritaient. Ou bien avoir un caractère très net de recherche ou de nouveauté dans le domaine de la création cinématographique ou encore refléter la vie de pays dont la production est peu diffusée en France. Il peut également s’agir de courts métrages visant à renouveler l’art cinématographique ou de « classiques de l’écran ».
L’Art et essai reste au fond une spécificité française, un réseau unique au monde qui s'élargit d'année en année, et qui s’adapte aux enjeux de notre époque. Cultiver une forte identité, (re)devenir des lieux de paroles, de rencontres et d’animations, offrir une programmation personnalisée face à une consommation de plus en plus ordinaire et quotidienne des films : l’art et essai continue d’opérer sa mue, redonnant au cinéma sa dimension naturelle. Collective, participative et événementielle.