Comment et quand avez-vous créé la société de production Furyo Films avec Charles Meresse et Emma Binet ?
Adrien Barrouillet : J’ai rencontré Charles à l’Atelier Ludwigsburg-Paris de la Fémis et il connaissait Emma car ils avaient fait l’école de l’INA ensemble. C’est en échangeant qu’est née l’idée de monter une société commune pour développer nos projets. De mon côté, j’avais déjà à ce moment-là celui d’Au pays de nos frères. Nous avons utilisé le temps long du Covid-19 pour mettre en place cette société que nous avons ouverte en 2020.
Comment aviez-vous entendu parler d’Au pays de nos frères ?
J’avais aussi rencontré Alireza Ghasemi grâce à l’Atelier Ludwigsburg et nous avions fait ensemble deux courts métrages dans ce cadre. Puis Alireza est rentré à Téhéran. Il m’a alors parlé de Solar Eclipse, un projet de court métrage qu’il développait avec Raha Amirfazli. J’ai pu trouver des financements en obtenant l’aide de la Région Île-de-France en postproduction. Ce fut notre première coproduction. Il se trouve que le court a très bien marché en festivals, donc, assez vite, début 2020, Raha et Alireza sont revenus vers moi pour me parler de leur projet de long. Nous avons travaillé ensemble pendant six mois sur le développement du scénario tout en commençant à rechercher des financements. Ils tenaient à tourner en Iran et avaient besoin d’une base financière plus solide que ce à quoi ils allaient pouvoir avoir accès dans ce pays, avec un film disons… assez compliqué politiquement.

Qu’est-ce qui vous avait précisément séduit dans ce scénario ?
La très forte capacité de Raha et Alireza à écrire des scènes dont on peut immédiatement visualiser ce que sera le rendu à l’écran. Quand je referme ce scénario, je suis bouleversé. En particulier par la toute dernière ligne droite du récit qui n’a pas varié depuis la première version. Il était donc évident pour moi qu’ils tenaient quelque chose. Nous avons affiné la structure pour faire en sorte que les trois parties qui composent le film – situées en 2001, 2011 et 2021 – donnent le sentiment d’un film qui fait bloc. C’était la difficulté liée au chapitrage, mais ce chapitrage était important vis-à-vis de la censure car il leur a permis de tourner de manière plus discrète.
Tourner en Iran, c’est en effet prendre le risque qu’à un moment tout s’arrête si le régime s’en mêle. Comment avez-vous vécu ce tournage ?
Nous en avons évidemment beaucoup discuté. Mais rien ne pouvait nous freiner car nous étions mus par la même foi. Ce qui me rassurait, c’était que Raha et Alireza étaient basés à Téhéran où ils avaient étudié (alors qu’aujourd’hui Alireza vit à Paris et Raha à New York) et donc parfaitement connectés à la réalité iranienne. Comme il est très difficile d’avoir de la visibilité sur ce qui se passe dans ce pays de l’étranger, nous avons dû leur faire totalement confiance. À commencer par le fait qu’à leurs yeux, s’ils tournaient ailleurs, le public iranien le percevrait immédiatement. Chose impossible pour eux, même s’ils savaient que le film ne pourrait pas avoir une distribution locale. Et puis ils avaient aussi des exemples de gens qu’ils connaissaient qui leur permettaient de penser que ce tournage était possible. Nous les avons évidemment suivis dans leur décision même si envoyer de l’argent en Iran est très compliqué puisque nous ne pouvons pas faire de virement bancaire. Finalement, nous avons réussi mais cela a parfois tenu du miracle.
Comment s’est construit le financement du film ?
Comme Furyo Films est basé à Orléans, la toute première aide perçue est une aide au co-développement international de Ciclic Centre-Val de Loire qui nous a permis d’avoir 30 000 euros très vite. Mais le parcours de financement d’Au pays de nos frères est vraiment centré sur l’Aide aux cinémas du monde du CNC et de l’Institut français, que nous avons eu la chance d’obtenir dès le premier dépôt de notre dossier. En revanche, nous avons eu des difficultés à trouver des partenaires privés dans la période post-Covid-19. Un premier film iranien, un drame construit en trois chapitres, peinait à attirer distributeurs et vendeurs. Nous avons donc connu une petite traversée du désert qui s’est débloquée sur le tard une fois le film fini. Mais dans cette position un peu délicate, nous avons pu nous appuyer sur l’argent que Raha et Alireza avaient malgré tout pu réunir en Iran et sur notre coproducteur hollandais Frank Hoeve, chez Baldr Film, qui a obtenu des aides dans son pays. Cela nous a donné beaucoup d’air en postproduction. Frank possède aussi une grande expérience des coproductions internationales, ce qui fut un atout majeur pour trouver nos vendeuses internationales d’Alpha Violet, avec qui il avait déjà travaillé.
Comment s’est déroulé le tournage en Iran ?
Alireza Ghasemi et Raha Amirfazli ont connu quelques difficultés car ils sont quand même apparus sur le radar des autorités à un moment. Notamment pour une séquence mettant en scène une voiture de police car il y avait un commissariat dans la rue où ils tournaient. Tout cela reste cependant encore aujourd’hui un peu mystérieux, car nous n’avons jamais su ce que les autorités iraniennes savaient exactement. Mais sur le tournage il y a eu quelques alertes, des moments où Raha et Alireza ont eu très peur. Nous avons eu la chance que tout se termine bien. Mais la pression est montée au point qu’ils ont vraiment dû quitter l’Iran.

Quand découvrez-vous les rushes ?
Ils ne nous les ont pas envoyés au fur et à mesure, d’un point de vue logistique, c’était trop complexe et risqué. Mais nous nous sommes vite rendu compte qu’en passant trop de temps loin les uns des autres, les conversations devenaient de plus en plus compliquées. Donc ils sont venus à Paris entre les phases de tournage. Et à chacune de leur visite, ils nous montraient des images.
Qu’est-ce qui vous a frappé en les découvrant ?
Que le résultat soit à ce point proche de ce que nous attendions. En fait, ma plus grande surprise a été la qualité du jeu. Raha et Alireza avaient souhaité tourner avec des Afghans qui vivent en Iran. Mais dans ce pays, la loi n’autorise les Afghans qu’à exercer des métiers manuels donc il n’existe sur place aucun comédien professionnel. J’ai vraiment été épaté par la composition de ceux que Raha et Alireza ont choisis, alors qu’ils étaient vierges de toute expérience.
À quel moment avez-vous décidé de réaliser la postproduction du film en France ?
Avant même le tournage. Pour équilibrer les travaux et les dépenses dans cette coproduction. Mais artistiquement, nous n’avons rien imposé à Raha et Alireza. Ce sont eux qui ont rencontré le compositeur, Frédéric Alvarez, et ont très vite voulu travailler avec lui. Nous avons fait la production son aux Pays-Bas et le reste, notamment le montage, l’étalonnage et les effets spéciaux en France, la monteuse Hayedeh Safiyari étant venue à Paris pour l’occasion.
Comment s’est déroulée cette étape de montage forcément décisive pour un film construit sous forme de chapitrage ?
C’est assez facile de travailler avec Raha et Alireza sur les aspects créatifs car ils sont tout à la fois très à l’écoute et très précis. Ce qui n’est pas toujours le cas pour un premier film. Nous avons pu aussi nous appuyer sur une monteuse qui a beaucoup d’expérience : elle a notamment travaillé avec Asghar Farhadi. Nous avions donc une grande confiance dans sa vision. Les premières versions de montage étaient déjà assez proches du résultat final. Raha et Alireza avaient vraiment leur film en tête, il a simplement fallu couper dans la première partie pour ne jamais perdre la sensation de cohésion indispensable au film. L’autre défi était que le film puisse autant parler aux Iraniens qu’au reste du monde. Car ils ont fait spontanément plein de références à des choses que les Iraniens allaient tout de suite comprendre mais qui pouvaient échapper à tous les autres. Raha et Alireza étaient donc très contents d’avoir nos retours sur ces points-là car ils avaient envie que le film puisse voyager.

Et ce voyage a commencé par Sundance…
Ce sont nos vendeuses internationales qui nous ont tout de suite dit qu’elles le voyaient à Sundance et elles avaient vu juste. Notre distributeur français, JHR Films, est monté à bord dès l’annonce de la sélection. Nous avons voulu nous associer avec lui parce que JHR sait travailler ce genre de films avec beaucoup de soin. Derrière Sundance, nous avons décroché plus de 45 sélections dans différents festivals. Sans Sundance et le prix de la mise en scène, la trajectoire du film aurait été radicalement différente. Sur place, nous avons été frappés par la manière dont les spectateurs se sont tout de suite emparés du film, comme nous pouvions le percevoir dans les « Q & A » suivant les projections. Tout le monde se sentait très concerné. Le côté universel d’Au pays de nos frères sautait soudain aux yeux.
Avez-vous en tête de recollaborer avec Alireza Ghasemi et Raha Amirfazli ?
Oui, même si pour le moment, nous n’avons pas de projet concret. Nous discutons régulièrement mais nous n’avons pas encore matérialisé une nouvelle collaboration. Je pense que tout le monde a besoin aussi de se libérer de l’expérience de ce film dont l’aventure n’a pas été simple.
AU PAYS DE NOS FRÈRES

Réalisation et scénario : Alireza Ghasemi et Raha Amirfazli
Production française : Furyo Films
Distribution : JHR Films
Ventes internationales : Alpha violet
Sortie le 2 avril 2025
Soutien sélectif du CNC : Aide aux cinémas du monde avant réalisation