Il était connu pour son sens du verbe et son goût pour l’absurde, aimait s’entourer d’acteurs qui l’inspiraient, de Patrick Dewaere à Miou-Miou en passant par Jean-Pierre Marielle ou son père Bernard, qu’il fit jouer à plusieurs reprises. Metteur en scène férocement anticonformiste, adepte d’un humour noir et cru, Bertrand Blier s’est éteint à l’âge de 85 ans, lundi 20 janvier au soir.
Né le 14 mars 1939 à Boulogne-Billancourt, Bertrand Blier grandit dans un foyer où le cinéma est une religion, avec une figure paternelle en guise de prédicateur. Il est le fils de Bernard Blier, acteur de renom figurant dans un certain nombre de classiques de l’histoire du cinéma français, comme Le Jour se lève (1939) de Marcel Carné, Les Tontons flingueurs (1963) de Georges Lautner et Quai des Orfèvres (1947) d’Henri-Georges Clouzot. C’est par ailleurs ce dernier qui initie Bertrand Blier au cinéma sur le tournage du Mystère Picasso en 1956 alors qu’il vient de souffler ses 17 ans. Le jeune Blier observe deux artistes au sommet de leur art, l’un derrière sa toile et l’autre derrière sa caméra.
À 24 ans, Bertrand Blier entreprend de suivre les traces de son père en se positionnant derrière l’objectif. Armé d’une caméra pour seul outil de travail, il interroge, tel un reporter forcené, une jeunesse française en quête de liberté, fil conducteur de son cinéma. Avec Hitler, connais pas (1963), il débute par le cinéma documentaire pour tenter de percer le secret d’une jeunesse gaullienne au bord de l’insurrection, cinq ans avant la révolte de mai 1968.
Un voyage dans la France pompidolienne
En 1967, il réalise son premier long métrage de fiction, Si j’étais un espion, thriller dans lequel il dirige pour la première fois son père. Il se tourne par la suite vers une autre de ses passions, la littérature. En 1972, il publie son premier roman, Les Valseuses, aux éditions Robert Laffont. Il y raconte le périple de deux voyous aux cheveux longs dans la France pompidolienne. Le livre connaît un succès en librairie, ce qui incite Bertrand Blier à revenir derrière la caméra deux ans plus tard pour l’adapter sur grand écran. Fruit d’une époque, Les Valseuses, film subversif devenu culte, révèle le trio Gérard Depardieu/Patrick Dewaere/Miou-Miou au grand public.
En 1976, Bertrand Blier enchaîne avec Calmos dans lequel Jean-Pierre Marielle et Jean Rochefort partent à la campagne pour échapper à la gent féminine. En 1978, il réunit une nouvelle fois à l’écran le duo Patrick Dewaere/Gérard Depardieu dans Préparez vos mouchoirs, qui lui permet de rafler l’Oscar du meilleur film en langue étrangère l’année suivante. À peine auréolé de ce triomphe, il travaille alors sur son septième long, Buffet froid, modèle d'humour noir et de cynisme couronné du César du meilleur scénario en 1980. Il y dirige pour la troisième fois son père aux côtés de Gérard Depardieu et Jean Carmet.
À la marge de la bienséance
En 1981, Bertrand Blier publie son deuxième roman, toujours aux éditions Robert Laffont : Beau-Père, qui raconte un amour trouble entre un homme de 40 ans et sa belle-fille de 14 ans. Dans la même perspective que Les Valseuses, il adapte cette histoire au cinéma, avec Patrick Dewaere dans le rôle-titre, pour l’un de ses derniers rôles avant son suicide en 1982. Un peu plus tard, Bertrand Blier fait d’Isabelle Huppert l’objet de convoitise de Thierry Lhermitte et de Coluche dans son film suivant, La Femme de mon pote.
Par la suite, le cinéaste engage Alain Delon pour tourner Notre histoire, aux côtés de Nathalie Baye, en 1984. Un film pour lequel il reçoit, un an plus tard, le César du meilleur scénario original, et Delon celui du meilleur acteur. Le style provocateur de Blier, passant notamment par un amour sans pareil pour l’art du dialogue, revient se faire une place dans son cinéma avec Tenue de soirée en 1986. Il reforme cette fois le duo Gérard Depardieu/Miou-Miou, auquel vient se greffer un Michel Blanc au sommet de sa popularité. Le film qui aborde l’homosexualité et la transidentité vaut à l’acteur du Splendid le Prix d’interprétation masculine du Festival de Cannes en 1986. Trop belle pour toi, qui marie musique schubertienne et dîners surréalistes, clôt la filmographie des années 1980 de Bertrand Blier avec cinq César (meilleur film, meilleur réalisateur, meilleur scénario, meilleure actrice pour Carole Bouquet et meilleur montage) ainsi que le Grand Prix spécial du jury à Cannes.
Une obstination à toute épreuve
Dans les années 1990 et 2000, Bertrand Blier s’essaye à des registres plus dramatiques, moins tournés vers l’humour noir avec des films comme Merci la vie, pour lequel Jean Carmet obtient le César du meilleur second rôle, ainsi que Un, deux, trois, soleil, récompensé aussi aux César (meilleure musique et meilleur espoir masculin pour Olivier Martinez), mais également à la Mostra de Venise (notamment le Grand Prix européen pour Bertrand Blier). En 1996, le cinéaste retrouve la comédie avec Mon homme, ou l’histoire d’amour entre une prostituée et un homme ordinaire dans lequel il fait jouer à nouveau Anouk Grinberg, cette fois auprès de Gérard Lanvin.
Bertrand Blier fait son entrée dans le nouveau millénaire avec Les Acteurs, un film en guise d’hommage à la profession de comédien, dans lequel on retrouve Pierre Arditi, Josiane Balasko, André Dussollier, Gérard Depardieu, Jean Yanne, Michel Piccoli et Maria Schneider. Il revient à la comédie avec Les Côtelettes en 2003, adapté de sa propre pièce de théâtre, puis avec Combien tu m’aimes ? en 2005, où il réunit le trio Gérard Depardieu, Monica Bellucci et Bernard Campan.
En 2010, il évoque le cancer sous forme humaine, dans Le Bruit des glaçons, avec Albert Dupontel et notamment Anne Alvaro (meilleur second rôle aux César), personnifiant cette « anomalie folâtre » venant rendre une visite inopinée à Jean Dujardin dans son manoir. Avec Convoi exceptionnel, son ultime film sorti en 2019, il retrouve son acteur fétiche Gérard Depardieu, qu’il associe à Christian Clavier dans une comédie absurde, bouclant la boucle de sa filmographie, irrévérencieuse et passionnée, à son image.