Après La Piscine, sorti en janvier 1969, Jacques Deray retrouve une nouvelle fois Alain Delon pour Borsalino. Adapté du roman Bandits à Marseille d’Eugène Saccomano, alors jeune journaliste au Provençal, le film sorti en mai 1970 suit dans les années 1930 la folle ascension, puis la décadence, de deux truands marseillais : François Capella (Jean-Paul Belmondo) et Roch Siffredi (Alain Delon). Loin d’être une simple toile de fond pour cette plongée dans la pègre, Marseille est un personnage à part entière du film. «Marseille devrait avoir la même place à l’affiche que Belmondo et Delon », confiait d’ailleurs le réalisateur dans un reportage, réalisé sur le tournage du film, diffusé au JT de 20h de l’ORTF en octobre 1969.
« Le décor que l’on choisit, c’est le reflet de l‘histoire, le reflet d’une époque, d’une société. Je suis contre le choix d’une région, d’une ville, uniquement pour des raisons économiques ou parce qu’il est plus commode de tourner là car une mairie va vous accueillir les bras ouverts », soulignait-il également dans un entretien, accordé à André Halimi, diffusé en janvier 1996. Pour Jacques Deray, la précision du décor était essentielle, au point de faire des villes dans lesquelles il tournait des personnages à part entière de son récit. «Il était amoureux de la ville, des bistrots, des lieux de culture… Il ne pouvait vivre que là. Il le dit lui-même dans le documentaire (Jacques Deray, j’ai connu une belle époque, réalisé par Agnès Vincent-Deray ndlr) : les personnages principaux ce sont Delon, Belmondo et Marseille. Il disait la même chose de son film préféré qui est Un papillon sur son épaule avec Lino Ventura. C’est extraordinaire, personne n'a jamais filmé Barcelone comme ça. Il l'a d’ailleurs fait avec tous ses films qui se passent en ville », confie Agnès Vincent-Deray, sa femme, au CNC.
Le Panier du bonheur
Pour rester fidèle à l'ambiance de Marseille dans les années 1930, Jacques Deray, qui s'est plongé dans les archives de l'époque, est allé jusqu'à reconstituer un café au cœur du Panier, le plus ancien quartier de la cité phocéenne, célèbre pour son ambiance si typique ainsi que pour ses ruelles étroites et parfois escarpées. Un décor qui a su séduire le réalisateur. Si le cinéaste a choisi de recréer un bistrot dans ce lieu emblématique de la ville, c'est pour "pouvoir profiter de ces rues extraordinaires qu'il est impossible de retrouver ailleurs", expliquait-il à l'ORTF lors du tournage de Borsalino.
« Je pense qu'ils (les Marseillais ndlr) seront contents de trouver cette équipe d'acteurs particulièrement remarquables », soulignait Jacques Deray dans cet entretien. Un constat qui, quelques mois plus tôt, n'était pas valable pour tous les représentants de la cité phocéenne, et notamment pour les proches de Paul Carbone et François Spirito - les deux figures de la pègre dont sont inspirés les personnages de Roch Siffredi et François Capella. « Croyez-moi, ce film ne se fera pas. Nous saurons l'empêcher. (...) Si on le tourne, je sais bien ce qu'on va dire : que mon frère et Spirito étaient des gangsters et qu'ils ont fait pis que pendre. Cela, je ne le veux pas parce que c'est faux », lançait d'ailleurs le frère de Paul Carbone en 1969 dans France Soir.
Face à la pression du milieu marseillais, Alain Delon, producteur du film, négocie avec la pègre. Trois changements majeurs interviennent ensuite : le film, qui devait s'appeler Carbone et Spirito, est rebaptisé Borsalino, les noms des personnages sont eux aussi modifiés - Alain Delon et Jean-Paul Belmondo devaient incarner les deux gangsters - tout comme le scénario. Alors que l'Occupation, période pendant laquelle le duo a collaboré, devait être abordée, cette partie a été enlevée. De quoi apaiser les mécontents.
Distribué par Swashbuckler Films, Borsalino de Jacques Deray ressort dans les salles de cinéma le 10 octobre 2018.