Céline Sallette : « Réaliser est né de mon désir de ne plus simplement dépendre des autres »

Céline Sallette : « Réaliser est né de mon désir de ne plus simplement dépendre des autres »

07 octobre 2024
Cinéma
« Niki » réalisé par Céline Sallette
« Niki » réalisé par Céline Sallette Wild Bunch

La comédienne signe Niki, un premier long métrage autour de la vie de la plasticienne Niki de Saint Phalle, découvert lors du dernier Festival de Cannes. Elle revient sur son processus créatif.


Comment est née votre envie de passer à la réalisation ?

Céline Sallette : Tout part d’une sensation d’impasse que j’ai ressentie dans ma vie. C’est elle qui m’a poussée à sortir de ma zone de confort, à tenter des expériences inédites et parmi celles-ci à ne plus simplement dépendre – artistiquement et professionnellement parlant – du regard des autres pour faire ce qui me passionne. D’où le désir de passer derrière la caméra…

Pourquoi avoir choisi la figure de Niki de Saint Phalle pour vous lancer ?

Une fois ce mouvement décidé, j’ai une multitude d’idées en tête mais on m’incite, pour me faire la main, à tourner un court métrage. L’offre que me fait l’Adami de participer à l’édition 2021 de Talents Adami Cinéma tombe à pic et je réalise L’Arche des canopées. Cela ne fait que renforcer mon envie initiale de passer derrière la caméra. Je pars alors dans l’écriture d’une série mais sans parvenir à quelque chose de satisfaisant. Et puis un jour, je vois sur le compte Instagram de Juliette Binoche une interview de Niki de Saint Phalle. Elle répondait avec une répartie incroyable aux questions ultra-machistes d’un journaliste qui, par ses mots, rabaissait ses créations. Sa parole me frappe par sa puissance mais aussi sa modernité pour l’époque. Cette vidéo me donne envie de me plonger dans sa biographie de référence signée Catherine Francblin [Niki de Saint Phalle. La révolte à l’œuvre, Ed. Hazan, NDLR] Et, là, au fil des pages, tout ce qu’elle a vécu et traversé fait écho à mon obsession de changement. Je sais que j’ai envie d’essayer de raconter cette histoire-là.

L’univers de Niki de Saint Phalle est celui de la métaphore.

Comment cette envie va-t-elle devenir concrète ?

D’abord en me nourrissant de cette lecture qui me permet de découvrir la personnalité complexe de Niki de Saint Phalle : l’aristocratie, la double culture franco-américaine avec cette mère et ce père chrétiens mais très violents, mais aussi l’inceste qu’elle a subi. En parallèle, je regarde énormément de photos d’elle. Je tombe sur ce shooting Cartier où elle paraît telle une princesse avec ses bijoux puis sur des images, des années plus tard, où elle s’est coupé les cheveux n’importe comment avec sa carabine à la main. Face à ces deux clichés, je trouve l’arc de mon récit, je décide que mon film va raconter ce trajet de la jeune femme-trophée à une artiste dont la puissance va dépasser son époque. Et je sais avec qui je veux le faire : Charlotte Le Bon qui ressemble comme deux gouttes d’eau à Niki.

Démarchez-vous vous-même des producteurs à ce moment-là ?

Oui, avec l’aide de mon agent Grégory Weill. Mais, très vite, Jalil Lespert – que Grégory représente aussi – l’appelle pour lui dire qu’il veut faire un film sur Niki de Saint Phalle avec Charlotte Le Bon ! Grégory lui parle évidemment tout de suite de mon projet et Jalil lui explique qu’il n’a pas forcément envie de le mettre en scène. Quelques jours plus tard, je le rencontre avec le producteur David Gauquié, qu’il a souhaité comme partenaire dans cette aventure. Nos échanges et mon court les poussent à m’accompagner.

 

Vous allez écrire le scénario de Niki avec Samuel Doux (Drone). Comment se répartit le travail entre vous ?

En fait, j’ai d’abord souhaité me lancer en écrivant seule. Je suis arrivée à une version de 40 pages où je cassais totalement la chronologie de la vie de Niki. Et sur cette base, mes producteurs m’ont incitée à travailler avec un coscénariste pour trouver la forme du récit. En l’occurrence Samuel, sur la suggestion de Jalil. Dès nos premiers échanges, je vais revenir à l’idée d’un récit plus chronologique, en y ajoutant l’idée des chapitres pour le structurer. L’univers de Niki est celui de la métaphore, pas celui du premier degré, du naturalisme et du réel. J’ai voulu que le récit épouse cette idée-là et Samuel a été d’un apport décisif dans cette aventure. Le scénario a beaucoup évolué même si certaines choses n’ont, elles, pas bougé. Comme la scène inaugurale qui existait déjà dans ma première version.

Parmi les partis pris forts de votre film, il y a celui de ne pas montrer les œuvres de Niki de Saint Phalle. Qu’est-ce qui vous y a conduit ?

Quand on prend contact avec la Fondation Niki de Saint Phalle, on se rend compte qu’elle n’a jamais autorisé le moindre film sur elle. On comprend donc qu’on ne pourra pas montrer ses œuvres à l’écran. Mais cette contrainte me donne la colonne vertébrale de ce que Niki doit être. Car ce qui m’intéresse, ce ne sont pas les œuvres en elles-mêmes, mais le fait de voir Niki se transformer en les créant. Son parcours, sa métamorphose constituent à mes yeux sa plus grande œuvre.

J’ai abordé chaque étape du film avec le même enthousiasme, ce qui m’a valu de finir la première semaine de tournage avec une demi-journée d’avance !

Raconter son parcours et sa métamorphose, c’est aussi se confronter à l’inceste qu’elle a subi. Comment avez-vous décidé ce qu’il fallait montrer ou ne pas montrer ?

Là aussi, Samuel fut un partenaire extrêmement solide. Je n’ai en soi aucune légitimité pour en parler, sauf celle de faire partie de la société, de savoir que ça existe et de tout faire pour ouvrir ma conscience. En voulant m’approcher de Niki, je ne pouvais pas éluder le sujet. Elle l’a évoqué dans un livre intitulé Mon secret quand elle avait 64 ans. Et quand j’entends aujourd’hui Christine Angot parler de l’inceste, je retrouve les mots de Niki, des mécanismes qui se recoupent, à commencer par le cœur de l’inceste : la domination, l’écrasement. Je me suis appuyée sur la biographie de Catherine Francblin pour raconter la manière dont certains souvenirs du passé de Niki lui sont revenus. Au fil de l’écriture du récit puis jusqu’au montage, la place de ses souvenirs s’est énormément réduite. Car j’ai ressenti le besoin de rester avec elle, dans le présent de ses actions, dans ce qu’elle a fait du traumatisme qu’elle a vécu, plus que dans le traumatisme en lui-même.

Qu’est-ce qui vous a donné envie de faire appel à Victor Seguin comme directeur de la photographie ? Et quelles sont les premières directions que vous lui avez données pour créer l’univers visuel de Niki ?

J’ai eu envie de travailler avec Victor en repensant à son travail sur Gagarine. Et je lui ai tout de suite dit mon désir de tourner sans machinerie, ni projecteur. À la manière de ce que j’avais pu vivre sur le plateau de Mon âme par toi guérie de François Dupeyron. Afin que la technique soit au service des acteurs et me permette de passer le plus de temps possible avec eux. Mais aussi parce que, pour mon premier film, je voulais quelque chose de simple dans lequel je ne me perdrais pas. Avec quelques lignes directrices très claires. Aller du silence au bruit, du fixe au mouvement. Je me suis appuyé sur un moodboard très détaillé de chaque séquence qui a facilité le dialogue avec Victor. Plein de cadres s’inspirent de photos prises dans des hôpitaux psychiatriques mais aussi de celles de Raymond Hains qui faisait des clichés avec des kaléidoscopes, de Paul Rousteau, riches en distorsions et en éclats dans l’image et de Raymond Depardon, dans lesquelles on retrouve cette espèce de poésie folle.

Ce qui m’importait sur le plateau, c’est qu’il y ait de la vie, tout ce qu’une certaine lourdeur du cinéma peut parfois empêcher.

Comment avez-vous vécu votre premier tournage comme réalisatrice ?

J’ai abordé chaque étape du film avec le même enthousiasme, ce qui m’a valu de finir la première semaine de tournage avec une demi-journée d’avance ! Ce qui m’importait sur ce plateau, c’est qu’il y ait de la vie, tout ce qu’une certaine lourdeur du cinéma peut parfois empêcher. C’est pourquoi, par exemple, il n’y avait ni script ni maquilleuse. Ce qui a permis de créer naturellement un contraste entre la poésie que je voulais mettre en scène et le naturalisme dont j’avais besoin.

Avez-vous beaucoup réécrit Niki au montage ?

Le montage fut pour moi la grande épreuve du film. C’est à ce moment-là que l’élan d’inconscience qui m’a accompagnée tout au long de cette aventure a été le plus mis à mal. Mais heureusement pour moi, le premier monteur auquel j’avais pensé et qui n’était pas libre a eu la riche idée de me conseiller Clémence Diard (La Passagère, À mon seul désir…). Assez vite, devant les images, nous avons compris toutes les deux qu’il y avait à la fois un film et le lot de problèmes qui va avec. Puis, après plusieurs mois de travail, nous avons décidé de faire un break et commencer à montrer le film en l’état. Ce résultat-là a généré des retours si contradictoires que j’étais vraiment à deux doigts de craquer. Mais cet état traduisait sans doute mon impatience et, petit à petit, nous avons su trouver des réponses à nos impasses. Je pense par exemple à l’idée de mettre des cartons de générique dans les scènes initiales entre Niki et son bébé, où les images manquaient, pour dynamiser le récit car je n’avais pas voulu faire pleurer le bébé trop longtemps sur le plateau. Tout cela a pris du temps, nous avons dépassé les délais si bien que Clémence a dû rejoindre le montage d’Animale d’Emma Benestan comme elle s’y était engagée. J’ai achevé Niki avec notre assistant monteur Alexis Noël qui, connaissant le projet par cœur, a su apporter lui aussi sa touche.

NIKI

Affiche de « NIKI »
Niki Wild Bunch

Réalisation : Céline Sallette
Scénario : Céline Sallette et Samuel Doux
Photographie : Victor Seguin
Montage : Clémence Diard assistée d’Alexis Noël
Musique : Para One.
Production : Cinéfrance Studios, Wild Bunch
Distribution : Wild Bunch
Ventes internationales : Pulsar Content
Sortie le 9 octobre 2024

Soutien du CNC : Aide sélective à la distribution (aide au programme 2024)