Que l’on se rassure : Josza Anjembe a conservé sa coupe afro. Dans son premier court métrage, Le Bleu blanc rouge de mes cheveux, la scénariste et réalisatrice de 35 ans conte l’histoire d’une jeune bachelière contrainte de raser sa volumineuse chevelure. Motif ? Celle-ci dépasse du cadre pour une photo d’identité. Verdict : non conforme. Une scène d’une grande violence symbolique malgré son apparente banalité.
Une scène, surtout, vécue personnellement par son auteur. C’était en 2010, alors que Josza Anjembe, journaliste, devait refaire faire son passeport pour aller couvrir la Coupe du monde de football en Afrique du Sud. La jeune femme a mis du temps à digérer cet accrochage. « Je l’ai enfoui sur le coup, mais j’étais très en colère, meurtrie. J’ai vécu ce moment comme une réelle injustice, comme si l’on me demandait de sacrifier une partie de mon identité ».
Cette thématique de l’identité sous-tend son travail et sa (pour le moment mince) filmographie : deux documentaires, Massage à la camerounaise en 2011 puis K.R.U.M.P., une histoire du krump en France l’année suivante. Et, donc, une première fiction, Le Bleu blanc rouge de mes cheveux en 2016, primé dans plusieurs festivals et en lice pour les César 2018.
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BANDE ANNONCE - Le Bleu Blanc Rouge de mes cheveux from Yukunkun Productions on Vimeo.
Du piano au documentaire
C'est sur le tard que le cinéma est entré dans la vie de Josza Anjembe. Issue d’un milieu « modeste mais pas pauvre », père couvreur et mère infirmière en bloc opératoire, elle grandit dans une « culture de la survie », surtout après le divorce de ses parents et un déménagement aux Lilas (93), à l’âge de 7 ans. « Les priorités ? Bien manger, bien se laver, bien se vêtir. Les vacances, le cinéma ou la piscine, ce n’était pas pour nous », se remémore-t-elle.
Un souvenir de salle obscure reste pourtant fortement ancré dans sa mémoire : la projection du Dernier des Mohicans au Trianon, à Romainville, dans le cadre d’une sortie scolaire. « Je me rappelle de cette salle, qui était fabuleuse, et du grand écran. J’étais petite et j’avais la sensation qu’il me mangeait ! Le Dernier des Mohicans, c’était la guerre, l’épopée… C’était assez gigantesque, comme sentiment ».
A l’époque, son intérêt s’oriente pourtant dans une autre direction : la musique. Plus précisément, le piano. Sa mère les a inscrits, elle et son frère jumeau, au Conservatoire, pour éviter qu’ils ne traînent dans la rue. La petite fille travaille dur, se passionne pour son instrument. Mais, déjà, se raconte des histoires en répétant ses gammes : personnages amoureux, rebondissements, péripéties… Elle résume dans un sourire : « Je me faisais des films, et j’ai continué ».
Après des études d’infocom, Josza Anjembe se lance dans le journalisme. Durant six années, elle recueille des témoignages puis réalise des reportages sur le terrain pour l’émission Sans aucun doute (TF1). « Il m’a fallu du temps pour me faire à l’ambiance et au milieu, mais j’ai adoré ça. Cela m’a permis de faire mes armes, d’apprendre les techniques d’interview … ».
Elle quitte ensuite TF1, travaille pour France 5 et France 2 notamment. Avant de se lancer dans la « news » et d’apprivoiser la fonction de JRI (journaliste reporter d’images) pour le compte de la chaîne de télévision Africa 24. Durant deux ans (2009-2011), elle multiplie les aller-retour en Afrique.
Parallèlement, Josza Anjembe se lance dans la réalisation de ses deux documentaires, puis démissionne d’Africa 24 quand Massage à la camerounaise est sélectionné en festival. Tout en poursuivant son activité, aujourd’hui encore, de journaliste sous la forme de piges, notamment avec Canal+ Afrique.
Josza Anjembe revient sur son parcours, les rencontres et les démarches qui lui ont permis de réaliser son premier court métrage
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Identité et féminité
2013 est une année charnière pour la jeune femme. Encouragée par un ami, elle commence à s’intéresser à la fiction et suit un stage de dramaturgie. « Je considérais alors que la fiction n’était pas un univers pour moi. Je ne m’y intéressais pas. Ce stage m’a totalement ouvert les yeux : c’est comme si j’avais jusqu’ici vu en noir et blanc et que d’un coup j’avais accès aux autres couleurs ! ». Conséquence ? Elle devient boulimique de culture, voit plusieurs films par jour, lit, lit et lit encore.
D’abord titillée par l’envie d’écrire un long métrage, l’apprentie-scénariste et réalisatrice se rabat, choix de raison, sur le court. A la recherche d’une idée, le souvenir de l’épisode de la photo d’identité « hors cadre » remonte à la surface… La machine est lancée. En deux nuits, une première version du scénario est couchée sur le papier, qui permet à Josza Anjembe d’aborder les questions de la citoyenneté, de la féminité, des relations intergénérationnelles et, donc, d’identité. « Cette question n’est pas une obsession, et je ne veux pas devenir « spécialiste de l’identité » ! Mais, à force d’être renvoyée à un « ailleurs », c’est devenu une source de questionnement. Et puis c’est écrit sur ma tête que je viens de là-bas. Le Cameroun, d’où est originaire ma famille, et l’Afrique font partie de moi ».
Si son expérience de JRI l’avait sensibilisée au maniement de la caméra ainsi qu’aux problématiques de cadrage, la jeune femme a tout de même connu, sur le tournage, le stress des débutants. « Le cinéma, c’est beaucoup plus exigeant que la télévision, résume-t-elle. On passe de « Je tourne toute seule » à « Je dois gérer une équipe de plus de 30 personnes », et communiquer avec eux dans un langage qui n’est pas encore totalement le mien. J’ai heureusement pu m’appuyer un chef opérateur qui m’a dit « Parle-moi des émotions que tu veux transmettre, je m’occupe de la technique » ».
Cette expérience de chef d’équipe reste un excellent souvenir. « Ca me manque, j’ai envie et hâte de retourner sur un plateau de tournage! » Cela ne devrait, a priori, pas trop tarder : Josza Anjembe travaille actuellement sur l’écriture d’un long métrage et d’un second court. Celui-ci abordera un nouveau sujet, l’homosexualité. Soit un nouvel angle pour interroger la question de l’identité.
5 films qui ont marqué Josza Anjembe
- La Couleur pourpre, de Steven Spielberg. « Je l’ai vu toute petite, et il m’est resté. Je le connais par cœur ! La Couleur pourpre est encore actuel. Il m'a aussi marquée probablement parce que les violences faites aux femmes dans ce film sont des violences que j’ai vues. Et aussi parce que les personnages sont noirs. Quand tu es petite, noire et française et que tu regardes un film, il y a très peu de chances, en tout cas à l’époque, pour s’y « retrouver ». C’était également valable pour la publicité ou la télévision… Inconsciemment je me suis identifiée à ces personnages. »
- E.T., de Steven Spielberg
- Un Monde parfait, de Clint Eastwood
- Ida, de Pawe? Pawlikowski
- Félicité, d’Alain Gomis
> visionner le court métrage Le Bleu blanc rouge de mes cheveux
Josza Anjembe
Crédit : Julia Cordonnier- Les Talents en court au Comedy Club