L’Enjeu de Frank Capra (1948)
Quand il se lance dans L’Enjeu, Frank Capra est en difficulté. L’échec public de La vie est belle (réhabilité bien plus tard) a fragilisé sa position à Hollywood. Est-ce cela qui l’a poussé à s’éloigner des fables dont il était coutumier ? En tout cas, il signe ici une satire mordante – l’histoire d’une directrice de journal républicaine qui veut faire de son amant, un magnat de l’aéronautique, le nouveau président des États-Unis –, en mêlant brillamment le portrait de la vie d’un couple et celui d’une nation. Une nation dont la démocratie apparaît au cinéaste de plus en plus bafouée et gangrenée par des individus pour qui la conquête du pouvoir, le profit et la gloire qui vont avec, l’emportent sur l’exercice de ce même pouvoir. L’Enjeu peut donc être vu comme une mise en garde. Un homme l’entendra tout particulièrement : le président alors en fonction, le démocrate Harry S. Truman, à l’époque au plus bas dans les enquêtes d’opinion. Ses conseillers lui montrèrent le film et c’est ce qui lui aurait donné envie de se représenter envers et contre tout. Il sera réélu quelques mois plus tard. Quant au plateau de Capra, il fut le théâtre de tensions, elles aussi politiques, entre Katherine Hepburn (qui incarne la très ambitieuse directrice) et Adolphe Menjou (qui joue un stratège du Parti républicain), ce dernier, très conservateur, goûtant peu les propos de l’actrice qui avait attaqué bille en tête la politique anticommuniste menée par les États-Unis.
Primary de Robert Drew (1960)
1960. Pour son premier long métrage documentaire réalisé pour le compte de la chaîne ABC, Robert Drew choisit de suivre pendant cinq jours la campagne de la primaire démocrate dans le Wisconsin, chargée de trouver son candidat pour tenter de succéder au président Dwight D. Eisenhower qui termine son deuxième mandat à la Maison-Blanche. Ce faisant, il signe un des premiers gestes forts du cinéma-vérité alors naissant. Un tournage en équipe réduite, caméra à l’épaule, sans lumière additionnelle, qui suit au plus près, comme jamais encore dans l’histoire des élections américaines, le quotidien des deux candidats, le futur président Kennedy et l’un de ses adversaires, le sénateur Humphrey. Filmés dans leurs QG respectifs comme au cœur de la foule ; dans les moments d’action comme dans les temps de repos, ce documentaire accompagne aussi le moment de bascule dans la communication politique américaine, lorsque JFK va casser tous les codes, notamment dans l’utilisation de la télévision pour séduire les électeurs. Après avoir remporté largement cette primaire, il sera élu président le 8 novembre 1960 face à Richard Nixon.
Un crime dans la tête de John Frankenheimer (1962)
Sorti un an avant l’assassinat de JFK, Un crime dans la tête possède un côté étrangement prémonitoire avec cette scène où un sniper abat un candidat à la Maison-Blanche en plein cœur d’une cérémonie officielle ! L’ironie de l’histoire veut que Kennedy (sur les conseils de son ami Frank Sinatra, l’interprète principal du film) ait appelé en personne le président de United Artists – qui ne croyait pas au projet – pour lui assurer que la mise en route de cette adaptation de The Manchurian Candidate de Richard Codon, publié en 1959, ne le froissait pas le moins du monde, malgré cette idée centrale d’assassinat d’une haute figure de l’État américain par un vétéran de la guerre de Corée. Avec George Axelrod (Sept ans de réflexion) au scénario, Un crime dans la tête pose les bases d’un genre qui ne cessera dès lors de faire des émules : le thriller paranoïaque. S’y mêlent efficacement guerre froide, maccarthysme et critique des médias accusés – déjà – de gangrener la vie politique et les élections. Cet aspect politique marqué vaudra au film un accueil critique frisquet sur le territoire américain et des boycotts de nombreux pays de l’Est où il ne sera projeté qu’en 1993, après la chute du régime soviétique. Jonathan Demme en signera un remake en 2004 où l’action se situe pendant la guerre du Golfe. Quant à John Frankenheimer, il sera engagé comme conseiller en communication par Bobby Kennedy, le frère de JFK, lui-même assassiné en pleine campagne présidentielle en 1968 !
Que le meilleur l’emporte de Franklin J. Schaffner (1963)
Cet affrontement entre Henry Fonda et Cliff Robertson, qui interprètent deux prétendants à la primaire de leur parti, est orchestré à la mise en scène par Franklin J. Schaffner (le futur réalisateur de Papillon) et à l’écriture par Gore Vidal (Soudain l’été dernier) qui adapte ici sa pièce éponyme. Les deux hommes connaissent bien le sujet qu’ils abordent. Dans ses années télé, Schaffner a supervisé tous les discours de JFK. Gore Vidal, de son côté, est issu d’une famille de politiciens démocrates très proches du clan Kennedy. Leur portrait au vitriol des coulisses de la vie politique américaine (la communication reine, la vie privée instrumentalisée, la prime aux coups bas sur les batailles de projets…) plus que documentée constitue la force majeure du film. Pour l’anecdote, Ronald Reagan, alors encore comédien, fut l’un des premiers acteurs envisagés pour tenir l’un des deux rôles principaux de Que le meilleur l’emporte. Il a été recalé pour… manque de stature présidentielle !
Des hommes d’influence de Barry Levinson (1997)
Pour sauver le président américain, éclaboussé par une affaire de mœurs peu avant sa réélection, ses conseillers décident d’inventer une guerre afin de détourner l’attention des électeurs… Toute ressemblance avec des faits réels est ici tout sauf fortuite. Des hommes d’influence est en effet adapté du roman American Hero, écrit par Larry Beinhart en 1993. Une satire des théories du complot qui spéculait sur une idée répandue : le fait que le président George Bush aurait décidé de l’opération Tempête du désert dans le but de faciliter sa réélection en 1993. Un supposé pari qui s’est révélé un échec. Sauf que Des hommes d’influence va très vite acquérir le statut de film prémonitoire puisqu’un mois après sa sortie, éclate outre-Atlantique un scandale sexuel impliquant le successeur de Bush, Bill Clinton, et une stagiaire de la Maison-Blanche, Monica Lewinsky. Clinton engagea alors son pays dans trois opérations militaires en moins d’un an : Renard du désert en Irak, Infinite Reach au Soudan et en Afghanistan et une dernière via l’OTAN en ex-Yougoslavie. Pour les détracteurs de Clinton, Des hommes d’influence a été érigé au rang de film symbole de sa volonté de détourner l’attention avant et juste après la procédure de destitution dont il fut l’objet. La télévision serbe l’a même diffusé au moment des frappes de l’OTAN, pour corroborer cette idée. Bien plus que la mise en scène du réalisateur de Rain Man, c’est le travail d’adaptation de David Mamet qui est salué dans cette charge contre les communicants et ceux qui ne jurent que par leurs conseils.