Quelle est l’origine de Notre corps ?
Ce documentaire est né de la rencontre avec une productrice qui, après une expérience assez longue passée au sein du service gynécologie d’un hôpital parisien, m’a proposé de voir s’il y avait matière à un film. J’y suis d’abord allée pendant deux jours… J’ai très vite compris quel récit je pouvais raconter. Toutes les pathologies gynécologiques sont réunies dans un même service, y compris les transitions de genre. Mon idée était donc de dessiner l’arc de la vie des femmes – de la jeunesse à la fin de vie – en montrant les différentes consultations et opérations. Il y est ainsi question de chirurgie, de maternité, de procréation médicalement assistée (PMA), de cancer…
Cette notion d’« arc de la vie » vous a-t-elle aussitôt imposé une construction narrative ?
J’ai d’abord filmé tout ce qui se passait. C’est au montage que j’ai élaboré mon récit. Le film débute ainsi avec une jeune fille de 15 ans qui évoque sa grossesse et se referme avec une femme de 80 ans qui sent la mort approcher. Entre-temps, se sont succédé les différentes étapes par lesquelles passent bien souvent les femmes.
Quel contrat avez-vous passé avec les personnes que vous avez filmées ?
À partir du moment où elles étaient d’accord pour être filmées, je ne me suis rien interdit… J’ai pris le soin de ne nommer personne, les patientes comme les médecins. Même l’hôpital n’est pas clairement désigné. Mon projet était basé sur le partage d’une expérience intime avec le monde. Le contrat était d’abord vis-à-vis de moi-même : il ne fallait pas que je m’ennuie derrière la caméra. En général, les films sur les hôpitaux racontent l’organisation de l’établissement, les règles qui le régissent. Notre corps est un film sur les patientes.
Comment avez-vous réussi à trouver votre juste place dans ce processus ?
En me focalisant sur ce qui était en train de se passer devant moi. Le face-à-face entre le soignant et la patiente est une scène cinématographique où se joue une multitude d’émotions. Ma caméra était libre de ses mouvements. Le cadre dictait la mise en scène… Je n’attendais pas que les choses se passent sans bouger, j’étais toujours active prête à saisir l’essentiel.
Le dévoilement des corps n’est-il pas une chose particulièrement difficile à saisir ?
Chaque femme qui était filmée était volontaire pour partager son expérience et donc la lourdeur du processus médical. Généralement le corps des femmes est photographié, filmé, pour vanter sa beauté supposée et ainsi, vendre quelque chose. Là, il s’agit de montrer le corps et ses mystères. La chirurgie dévoile l’intérieur du corps auquel on ne comprend pas grand-chose. Les médecins prennent le soin d’expliquer en permanence. Ils font de l’anatomie et nous permettent de bien voir et de comprendre. Lorsque l’on dit « endométriose », par exemple, ça reste abstrait. Et puis, au moment de l’opération, on voit un morceau de chair, et la façon dont le chirurgien l’enlève. Ça devient aussitôt très concret. Les moments où la patiente se déshabille pour être auscultée, et l’auscultation en tant que telle, m’apparaissaient être à la fois beaux et importants à dévoiler. Tout au long du tournage, le corps restait mon obsession…
Le film prend une autre tournure lorsque vous devenez, à votre tour, sujet…
J’ai d’abord hésité à me faire soigner dans l’hôpital où je filmais pour ne pas interférer avec mon travail. Or, je voulais saisir ce que l’on appelle « l’annonce », ce moment crucial où un médecin rend compte à une patiente du résultat des examens. Mais les médecins qui savent par avance la gravité de ce qu’ils vont annoncer ne pouvaient pas décemment proposer à ces patientes d’être filmées. J’ai donc décidé d’y aller moi-même ! C’était une manière d’avoir cette annonce et d’en payer le prix ! Je suis une femme, je suis une réalisatrice, ça ne fait pas de moi quelqu’un au-dessus de la mêlée en ce qui concerne le rapport à mon corps. J’ai filmé mes semblables et je suis une de leur semblable.
La présence de la caméra a-t-elle atténué la pesanteur du moment ?
Pas du tout ! Je ne pensais pas avoir à me déshabiller. J’ai été dépassée par les évènements. La directrice de la photographie Céline Bozon, qui avait signé la lumière de mon film précédent Vous ne désirez que moi (2020), a accepté de filmer mes deux consultations. La gynécologie a la particularité de recouvrir une somme de pathologies et de maladies qui influent directement sur la vie : la sexualité, l’amour, l’indépendance, la liberté... Quelqu’un qui est atteint d’un cancer du poumon n’est pas abandonné par son compagnon ou sa compagne, en revanche, une femme qui a un cancer du sein a beaucoup plus de risques d’être quittée.
Combien de temps a duré le tournage ?
Huit semaines : trois semaines en juillet et le reste de la mi-septembre à début novembre.
Notre corps
Image : Claire Simon et Céline Bozon
Son : Flavia Cordey
Montage : Luc Forveille
Musique : Elias Boughedir
Production : Madison Films
Distribution : Dulac Distribution
Sortie en salles le 4 octobre
Soutiens du CNC : Avance sur recettes avant réalisation, Aide sélective à la distribution (aide au programme 2023