Claude Barras, un homme animé

Claude Barras, un homme animé

14 octobre 2024
Cinéma
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Sauvages
« Sauvages » de Claude Barras Haut et Court

Avec Sauvages, son deuxième long métrage, Claude Barras raconte l'histoire d'une enfant qui lutte contre la destruction d’une forêt ancestrale de l’île de Bornéo. Portrait d'un cinéaste capable comme peu de parler au jeune public, récompensé du César du meilleur film d'animation pour Ma vie de Courgette en 2017, et lauréat du Kids Award la Mobiliare au festival de Locarno cet été. 


Après la France où il a enchaîné, au printemps, Cannes et Annecy, c’est en Suisse, dans le pays natal de Claude Barras, que Sauvages a poursuivi sa tournée des festivals avant sa sortie en salles ce 16 octobre. Avec un double honneur pour le réalisateur : une projection en plein air sur la mythique Piazza Grande et la remise du Kids Award la Mobiliare, récompensant depuis quatre ans des cinéastes (Mamoru Hosoda en 2021, Gitanjali Rao en 2022 et Luc Jacquet en 2023) qui ont su initier le jeune public au septième art.

Les prémices d’une vocation

C’est dans sa propre enfance, passée à Sierre, un petit village du canton du Valais, près de Crans-Montana, à 1500 mètres d’altitude, que sont nées les prémices de la vocation de Claude Barras. « Mon père, viticulteur, était un peintre du dimanche. Il m’a appris à dessiner et donné l’impulsion de ce qui a suivi. » Bien que féru d’art, ce père garde aussi les pieds sur terre et tient à ce que son fils apprenne les rudiments d’un métier plus concret. Claude Barras l’écoutera en enchaînant les études et les diplômes : dessinateur en génie civil, section illustration et infographie, à l’École Émile Cohl de Lyon, anthropologie et image numérique à l’Université de Lyon, avant un passage par l’École cantonale d’art de Lausanne (ECAL). L’établissement où il va définitivement choisir d’embrasser une carrière artistique en signant ses premiers courts métrages, dans la deuxième partie des années 90, parmi lesquels Mélanie, dont le héros peine à trouver le sommeil en pensant à son amoureuse. Mélanie marque ses premiers pas en festival et le début d’une montée en puissance qui ne s’arrêtera plus. « Mais tout ce qui a pu m’arriver, je le dois aussi à des rencontres qui m’ont orienté, m’ont porté au fil de ces années, reconnaît le cinéaste. Comme Georges Schwizgebel, un animateur suisse multiprimé qui fait du court métrage en peinture animée, Nag Ansorge, un des pionniers de l’animation suisse et évidemment Cédric Louis avec qui on a fait pas mal de courts métrages. »

En 2002, le Suisse et le Belge fondent Helium Films, société avec laquelle ils vont produire leurs propres films, dont, en 2005, Banquise, l’histoire d’une petite fille obèse qui, souffrant du regard des autres et de la chaleur de l’été, rêve d’une vie meilleure parmi les pingouins. Un conte social centré sur les blessures de l’enfance qui fait fi de tout pathos. Le court métrage décroche une sélection en compétition à Cannes et donne l’envie au duo de passer à la vitesse supérieure. C’est là que Cédric Louis offre à son complice Autobiographie d’une courgette, le roman de Gilles Paris, publié quelques années plus tôt. Le quotidien d’un orphelinat vu à travers le regard d’un petit garçon de 9 ans dont la mère vient de mourir. Coup de foudre immédiat pour Claude Barras. Avec son associé, il réussit à obtenir les droits d’adaptation. Il s’attaque à l’écriture, d’abord en duo avec Cédric Louis, puis en solitaire, avant que Céline Sciamma ne le rejoigne dans la dernière ligne droite. « En s’emparant de cette histoire, en gardant un tiers de notre travail et en inventant le reste, Céline a livré une version qui a convaincu tout le monde. » Une fois, deux fois, dix fois pourtant le projet manquera de s’arrêter net, avant que de nouveaux investisseurs viennent à la rescousse pour permettre au budget de passer des 5,3 millions prévus à 6,4.

Le travail d’une vie

Dans ce premier long, Claude Barras réussit à imposer ce qui deviendra sa marque de fabrique mais fait pourtant tiquer de prime abord ses producteurs : ces marionnettes avec une tête disproportionnée par rapport à leurs corps et leurs grands yeux ronds. « On aimait mes personnages en dessin, mais mon producteur craignait que les marionnettes ne puissent pas passer le cap de la stop motion, à cause d’un déséquilibre entre leurs têtes et le reste de leurs corps. » Pour convaincre son interlocuteur, Claude Barras va en fabriquer une et lui faire passer une sorte de casting, sur une scène inspirée par Les Quatre Cents Coups et L’Avis des animaux, le court métrage de Nick Park, le père de Wallace et Gromit. L’émotion est au rendez-vous, les soucis techniques inexistants et le feu vert immédiat. « Ces marionnettes, c’est un peu le travail d’une vie, poursuit Claude Barras. Je travaille avec les mêmes techniciens depuis mes premiers courts et à chaque film, on essaie d’en affiner la technique et l’esthétique en faisant mieux, mais pas forcément plus compliqué. Le but consiste au contraire à faciliter le travail des animateurs en créant des marionnettes les plus expressives, certes, mais aussi les plus simples possibles à manipuler. »

Conte écologique

Présenté à la Quinzaine des Réalisateurs en 2016, Ma vie de Courgette va connaître un triomphe critique et public, tout en ployant sous les récompenses : Grand Prix à Annecy, Valois d’or à Angoulême, deux César (film d’animation et adaptation) et même une nomination aux Oscars. Mais rebondir après un tel succès n’est jamais chose simple. On vous attend forcément au tournant. « On me l’a fait ressentir au moment du financement. Certains des investisseurs qu’on allait démarcher nous ont expliqué que les deuxièmes films étant presque toujours ratés, il fallait surtout prendre garde à ce que le mien ne soit pas trop ambitieux… donc coûteux, raconte en riant le réalisateur. Mais j’ai eu la chance de m’appuyer sur un producteur suisse très confiant et des partenaires français solides, dont Haut et Court. »

C’est ainsi qu’est né Sauvages, le portrait d’une petite fille en lutte contre la destruction d’une forêt ancestrale de l’île de Bornéo. Un conte écologique auquel Claude Barras a commencé à penser juste avant la présentation de Ma vie de Courgette à Cannes. « Je venais de terminer le film et j’avais quatre mois un peu vides à remplir. J’ai donc cherché un sujet qui pourrait me donner envie de refaire un film. » Une fois de plus, c’est l’enfance qui va tout débloquer : « J’ai pensé aux grands singes car j’étais fasciné par eux, gamin, mais aussi très à l’écoute des problématiques écologiques, de la déforestation dans les années 80. À un moment où on parlait énormément de cette thématique, avant qu’elle passe un peu sous les radars pour ressurgir aujourd’hui alors qu’on est désormais face au mur. J’ai eu envie de m’emparer de cette thématique et de la transmettre aux enfants. En écho aussi à la figure de Bruno Manser, activiste suisse qui vivait à Bornéo et m’avait fait rêver adolescent, mais aussi prendre conscience des connexions qui existent entre ce qu’on consomme ici et ce qui est produit à l’autre bout du monde. »

Entre réalisme et poésie

Coécrit par Catherine Paillé (Shéhérazade, Les Ogres), le film évolue en permanence en équilibre entre le réalisme des situations et la poésie de leur traitement. « Cela reflète ce que j’ai vécu tout au long de ce projet, enchaîne Claude Barras. Des moments de grande déprime quand j’ai commencé à me documenter sur le sujet et appris par exemple que sur le million d’orangs-outangs présents dans le monde en 1900 il n’en reste que 15 000. Mais, en même temps, j’ai toujours eu en tête Bruno Manser et sa personnalité si lumineuse. J’ai regardé des documentaires sur lui, revu certaines de ses interviews. Et avec sa fondation créée après sa disparition, j’ai pu aller au contact des gens qui, à Bornéo, se battent et vivent encore dans la forêt. Ils m’ont montré qu’on peut encore y croire. » Un message qu’il entend transmettre aux jeunes générations : « Je fais peut-être des films en pensant à l’enfant que j’étais. Mais j’ai aussi une fille de 2 ans et demi. Et même de manière inconsciente, j’ai pensé à elle tout au long de l’aventure, à la manière de lui raconter cette histoire pour la toucher, même à son âge. »

Claude Barras ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. Le cinéaste travaille déjà sur trois autres projets : l’adaptation d’une BD, un film autour du rapport entre l’homme et la nature avec Catherine Paillé, et une série pour les enfants avec un collectif d’auteurs autour de la biodiversité. La plus belle des manières de fêter en 2025 les 30 ans de son premier court.
 

SAUVAGES

Affiche de « Sauvages » de Claude Barras
Sauvages Haut et Court

Réalisation : Claude Barras
Scénario : Claude Barras et Catherine Paillé
Musique : Charles de Ville et Nelly Tungang
Production : Nadasdy Film, Panique, Haut et Court, Beast Animation, Personne n’est parfait
Distribution : Haut et Court
Ventes internationales : Goodfellas
Sortie le 16 octobre 2024

Soutien du CNC : Avance sur recettes avant réalisationAide sélective à la distribution (aide au programme 2024), ATA (Aide aux techniques d'animation)