Né avec le 7eme Art, le placement de produit est devenu une source d'argent non négligeable pour les producteurs français. Mais comment s'organise cette communication qui s'intègre dans la narration d'un long métrage ?
La Peugeot 406 dans la saga Taxi (le premier volet est sorti en 1998), des feuilles OCB à cigarettes dans Razzia sur la Chnouf (1954), un détour au McDonald's dans Les Rois mages en 2001 ou plus récemment le shampooing Lovea dans Telle mère, telle fille (2017)… Les exemples de placement de produit dans les films français ne manquent pas. Loin d'atteindre le même niveau qu'aux Etats-Unis, où cette mécanique publicitaire peut représenter jusqu'à 30% du budget total d'un film, la présence de marques à l'écran en échange d'argent rapporterait en France jusqu'à 5% du montant total investi pour produire une œuvre. «Ça paraît peu mais ça a un certain poids. En France, avec les aides de l'Etat, les distributeurs, les coproductions par les chaînes télé…, le risque financier pour un producteur est de 20% du budget total. Donc le placement de produit permet de diminuer cette somme », précise Fanny Moreau, de l'agence Film Media Consultant, interrogée par le CNC.
Dans l'hexagone, une poignée d'agences de placement de produit se partage ce marché valorisé « entre 15 et 18 millions d'euros, télé et cinéma confondus », selon les chiffres dévoilés par Camille Chambault, directrice associée de Hill Valley, lors du Production Summit organisé par Le Film Français. Pour une agence, la recherche d'annonceurs intervient «2 à 3 mois avant le début du tournage », souligne Fanny Moreau. « Les producteurs nous envoient les scénarios une fois que le financement du film est achevé, que le casting est plus ou moins arrêté», ajoute-t-elle. Les producteurs, « plutôt fidèles », les contactent pour la « globalité du service qu'ils proposent ». Mais dans de rares cas, ils peuvent choisir l'agence en fonction des marques qu'elle représente. «Si, pour une raison ou une autre, ils sont attachés à ce que leur personnage roule avec telle marque de voiture, ils peuvent venir spécialement pour ça vers nous », confirme Fanny Moreau.
Le réalisateur « a toujours le dernier mot »
Après la lecture du scénario, l'agence de placement de produit propose certaines marques selon les séquences. Aucun chiffre « maximum » de produits placés n'est défini. Le secteur s'autorégule selon « le contexte, le sujet et l'histoire » du film. « Le but de chaque placement, c'est qu'il soit le plus organique et naturel possible. Certains scénarios s'y prêtent, par exemple dans un film comme Les Visiteurs où un homme du Moyen-Age débarque au 20è siècle avec les produits de grande consommation et les marques qui vont avec », ajoute Fanny Moreau. L'agence peut également proposer une modification de certains dialogues ou détails d'une scène pour intégrer une marque. « Si un comédien commande un Orangina dans un film et que nous travaillons avec Coca-Cola, on propose au réalisateur ce changement. Il accepte ou pas », confirme la directrice associée de Film Media Consultant.
Le réalisateur a « toujours le dernier mot », poursuit Fanny Moreau qui précise que le cinéaste peut « refuser certaines marques ». « Dans un film, on avait proposé, par exemple, un placement de Vittel, car on représente Nestlé Waters. Mais le réalisateur avait dans son imaginaire une bouteille d'Evian car il y a la montagne, le rose. C'est très subjectif, mais pour lui, ça s'intégrait mieux dans son film », se souvient-elle. Gardant sa liberté créatrice, le cinéaste peut également couper ou réduire une scène au montage, même si cette dernière contient un placement de produit. C'est ce qui est notamment arrivé dans le film Les Petits mouchoirs. «On devait voir deux acteurs entrer dans le magasin Billabong, enfiler des combinaisons de la marque et s'essayer au surf. Au final, le réalisateur n'a conservé que les quelques secondes où les acteurs s'apprêtent à entrer », a confié en 2011 Olivier Bouthillier (Marques et Films) à emarketing.fr. «Les entreprises versent un acompte de 30% et le reste du solde est dû à la sortie du film. Si une marque est coupée au montage, on rembourse ou on propose un autre film. Si le placement est décevant pour la marque, on modifie le budget au prorata », détaille Fanny Moreau.
Quel impact pour le placement de produit ?
Allant d'un « budget de 5 000 euros à quelques millions », selon la visibilité de la marque à l'écran, le placement de produit au cinéma est «4 fois plus rentable qu'un spot télé pendant sa durée de vie » selon Alain Maes, le créateur du Product Placement Impact - un outil permettant de mesurer, grâce à de nombreux critères tels que la perception du spectateur et la visibilité à l'écran du produit, le retour sur investissement (ROI) d'une marque ayant fait du placement de produit. « Au cinéma, le public est isolé sensoriellement, en termes d'images, de bruit. Il est capté par l'écran. Il y a quelque chose de l'ordre de l'intime, du personnel, qui touche beaucoup plus que lorsqu'on est devant une série de spots télé », précise-t-il en affirmant que la nature du film change également l'impact du placement de produit. « Les comédies et policiers sont très bons pour le placement de produit. On est à l'affut des indices et d'une blague, on est beaucoup plus attentif face à l'écran. »
Quelle législation ?
Côté législation, le placement de produit est interdit en Europe depuis la directive 2010/13/UE du Parlement européen et du Conseil. Mais les instances européennes ont malgré tout donné la possibilité aux Etats-membres de l'autoriser de manière encadrée. En France, c'est le CSA qui a été chargé en 2009 de fixer « les conditions dans lesquelles les programmes des services de communication audiovisuelle peuvent comporter du placement de produit. » L'organe de régulation du petit écran a ainsi autorisé, dans sa délibération n° 2010-4 du 16 février 2010, cette communication « dans les œuvres cinématographiques, les fictions audiovisuelles et les vidéomusiques, sauf lorsqu'elles sont destinées aux enfants. »
Cette décision, si elle concerne en priorité le petit écran, donne un cadre légal au placement de produit au cinéma. C'est en effet « le seul texte qui encadre » cette forme de communication existant depuis la création du cinéma, souligne Nathalie Dreyfus, du cabinet Dreyfus spécialisé en propriété industrielle et économie numérique. Le placement de produit, qui est la visibilité d'une marque en échange d'une rémunération, est malgré tout interdit pour « l'alcool, le tabac, les armes à feu, les médicaments et les aliments pour bébés », précise Fanny Moreau. « Les marques ne peuvent pas payer pour apparaître. Mais le réalisateur fait ce qu'il veut (…) Pour les placements comme le champagne, ils contactent la marque qui leur donne quelques produits. Pour le tabac, ce ne serait vraiment pas naturel qu'ils floutent la marque sur le paquet de cigarettes, ça attirerait l'œil. Mais il n'y a aucun échange financier qui se fait sur les secteurs interdits par la loi », conclut-elle.
Quelle législation pour le placement de produit sur le petit écran ?
> Plus d'informations sur le placement de produit sur le site du CSA