En 2013, vous avez ouvert le Loft Cinémas, un complexe de sept salles, en plein centre-ville de Châtellerault (Vienne), qui a la particularité de fonctionner 100 % à l’énergie verte. Le respect de l’environnement était-il dès le début l’une de vos préoccupations principales ?
Absolument. Cette réflexion était au cœur de la conception de notre projet. Je voulais un cinéma en centre-ville, d’abord car il s’agit d’un lieu de vie indispensable aux villes moyennes, ensuite parce que cet emplacement favorise le recours aux mobilités douces pour s’y rendre. Cependant, il était impossible de réhabiliter un ancien local. Nous devions donc construire un nouveau bâtiment. Mon engagement en faveur de l’écologie m’a poussée à adopter, déjà à l’époque, les solutions les plus vertueuses possibles. Le double défi était d’allier à la fois respect de l’environnement et préservation de l’architecture locale. Il fallait bâtir un beau bâtiment que l’on ne soit pas appelé à repeindre tous les trois ans.
Comment avez-vous réfléchi sa durabilité ?
Dès la conception du cinéma, nous avions comme objectif de mettre sur pied un lieu dont l’enveloppe extérieure ne se détériorerait pas au fil des années, de manière à limiter le nettoyage et donc l’utilisation de l’eau et des produits d’entretien. Nous avons opté pour des matériaux spécifiques (peintures, colles durables…). Nous avons également travaillé sur l’isolation en orientant le bâtiment en fonction des heures d’ensoleillement. Pour le reste, le chauffage et la climatisation sont gérés par des systèmes qui permettent de moduler leur utilisation, et ainsi de diminuer la consommation d’énergie. Nous avons d’ailleurs refusé certains équipements systématiquement proposés aux cinémas, comme les rideaux de chaleur. À la place, nous avons installé un destratificateur d’air, un immense ventilateur qui permet d’abaisser la chaleur. Notre souci était d’être à la fois dans une démarche d’innovation sur le choix des matériaux (colles et peintures sans solvants, produits d’entretien bio…) et dans une démarche circulaire en faisant de la récupération (recyclage de sacs poubelles, de fauteuils et de meubles…). Aujourd’hui, repenser l’exploitation cinématographique d’un œil vert, c’est tout repenser de A à Z.
De quelle manière évoluer vers un modèle écologique ? Par quoi commence-t-on ?
On agit petit à petit. J’ai travaillé sur ce que j’appelle mon propre « modèle d’exploitation écologique », c’est-à-dire qu’au fil des années, j’ai remis en question tout ce qui dictait une exploitation traditionnelle : les process de travail, l’énergie, la gestion des déchets, les produits d’entretien, les confiseries, le café… La première étape a été d’adopter l’énergie renouvelable. C’est la septième année que nous fonctionnons ainsi, et je suis restée garante du budget initial que je m’étais fixée. Certes, l’énergie renouvelable coûte plus chère au kWh, mais l’équilibre réside dans la mesure de la consommation, et donc dans sa modulation. Nous compensons une grande partie de notre empreinte carbone de cette façon. Le reste, on le contrebalance en plantant des arbres. Plusieurs associations proposent cette solution. On peut choisir le lieu de plantation. Encore une fois, mettre en place des solutions écologiques est plus coûteux au départ, mais on arrive à réguler les charges en faisant des économies ailleurs, sur d’autres postes. Tout est une question de réglages.
Comment réduisez-vous vos déchets ?
Grâce à un système de comptage des sacs poubelles et d’autres solutions toutes simples : par exemple, nous proposons au bar des bouteilles en verre consignées. On a également banni les sacs traditionnels à popcorn pour les remplacer par des sachets éco-conçus recyclables. À ce jour, nous avons réduit nos déchets d’à peu près 50 %… Évidemment, il faut faire mieux. Mais il faut comprendre que la démarche écologique, c’est à la fois des actions individuelles et collectives. Nous avons aussi besoin de l’accompagnement de structures externes, notamment des collectivités territoriales. Par exemple, il n’existe pas vraiment de système de collecte traçable en matière de bouteilles plastiques PET (ndlr : Polyéthylène téréphtalate, le principal composant des bouteilles d’eaux minérales). Pour être le plus vertueux possible, il faut pouvoir tracer tous nos gestes et nos déchets. Ce n’est pas encore le cas aujourd’hui.
Vous parlez d’actions collectives, comment se positionne CINEO aujourd’hui sur le sujet ?
CINEO est une association de cinémas privés et indépendants, ce qu’on appelle les cinémas du milieu entre les petites et les grandes exploitations. À la fin du mois d’août, nous avons lancé en commun un grand mouvement en faveur de la transition écologique. La gestion des gros déchets, les questions de conception et d’écoconception à des niveaux de massification ne peuvent s’appréhender qu’en groupement. Il faut avoir du volume pour trouver des prestataires. Nous travaillons à réviser intégralement chaque poste de nos exploitations cinématographiques. Une charte d’écoresponsabilité sera d’ailleurs publiée fin septembre. S’y adossera une campagne de formation de nos collaborateurs, maillon essentiel d’une exploitation durable. Et puis, nous continuons nos recherches de financements pour transformer nos équipements.
Quels investissements allez-vous consacrer au Loft Cinémas dans les mois à venir ?
La pandémie de Covid-19 a freiné mes objectifs. Je souhaitais réduire de 80% les déchets de mon cinéma à la fin 2020. Cela n’a pas été possible. Cette période éprouvante pour l’exploitation cinématographique m’a amenée à imaginer des solutions auxquelles je n’aurais sûrement pas pensé en temps normal. J’entame une nouvelle phase d’amélioration dans laquelle je vais notamment créer des puits de lumière à l’intérieur du Loft Cinémas pour récupérer la lumière naturelle et réduire encore davantage la consommation d’énergie. Isoler la toiture avec de nouveaux revêtements durables est aussi un projet en cours. Il faut être constamment en recherche de solutions et se tenir informés des innovations. En tant qu’exploitants, nous avons aussi un devoir d’exemplarité. Je réfléchis également à sensibiliser le public autour d’ateliers centrés sur les questions d’écologie.
La salle de cinéma deviendrait donc un lieu où apprendre l’écologie ?
Tout à fait. La salle de cinéma possède déjà un rôle de découverte et de sensibilisation à l’expérience cinématographique à travers les dispositifs scolaires d’éducation à l’image. J’ai de mon coté l’intention de faire du Loft Cinémas un lieu prescripteur en matière d’écologie. L’idée est de développer des ateliers thématiques en lien avec un film ou un documentaire au propos écologique, un jour sur l’acidification des océans, un autre sur le traitement des déchets… Il faut aussi partager au public nos innovations et nos réflexions sur la manière de penser une salle durable.
Quelles économies ont permises les initiatives vertes que vous avez déjà mises en place ?
Nous avons une consommation électrique dérisoire pour un cinéma d’une superficie totale de 1700 mètres carrés. C’est lié à la fois à la qualité de la construction et de l’isolation du bâtiment, mais aussi à la gestion du site, à la façon dont on module l’utilisation du chauffage et de la climatisation à différentes plages horaires. Ensuite, nous faisons des économies malignes, c’est-à-dire que nous faisons de l’économie circulaire en recyclant et en réutilisant des matériaux. Un exemple concret : nous avons un papier hygiénique très soluble fabriqué en briques de lait ou de jus de fruit recyclées. Enfin, nous commençons à nous équiper en projecteurs laser. Un équipement onéreux mais qui vise un triple objectif : consommer 50 % d’électricité en moins, car les projecteurs laser sont très économes en énergie – ils permettent aussi de réduire l’extraction d’air, ce qui sollicite beaucoup moins les systèmes de climatisation en cabine –, supprimer les déchets de lampes xénon que nous rejetons actuellement, des déchets à la fois non traçables et très polluants, et enfin gagner en qualité de projection.
Quels freins persistent encore ?
Ils existent à tous les niveaux. La prise de conscience évolue, certes, mais elle évolue souvent dans l’esprit des gens pour les autres et non forcément pour soi-même… L’engagement écologique est l’affaire de tout le monde et il n’y a pas de petit geste. Il faut réussir à faire comprendre aux chefs d’entreprises, aux exploitants, aux particuliers, l’importance de la problématique environnementale. Tout le monde sait que la projection laser est une des solutions. Il faut une pédagogie forte avec des incitations et des systèmes d’accompagnement. Il faut aussi travailler sur la question des déplacements de spectateurs. Ils sont responsables de plus de 80 % des émissions carbone d’un cinéma. Systèmes de ramassage, incitations au covoiturage… : il existe des solutions à développer au sein des villes, des communautés de communes ou des agglomérations. Nous avons pris beaucoup de retard. Mais le temps n’est plus aux regrets. Il faut agir. J’ai toujours eu un intérêt pour la préservation de la nature comme pour le fait d’entreprendre, de se demander comment faire mieux. Remettre en question l’existant pour mieux le repenser, c’est mon moteur principal dans ce combat.