Comment s’est faite votre rencontre avec l’œuvre de Haruki Murakami ?
C’était il y a des années. J’habitais à New York où je travaillais comme compositeur quand une amie taïwanaise m’a offert un recueil de ses nouvelles en m’assurant que j’allais adorer. Je n’en avais jamais entendu parler. Mais, dès les premières pages, j’ai été happé par son style, sa capacité à créer et entremêler des personnages aux univers aussi différents. Je me suis alors mis à lire tout Murakami comme si c’était un seul et long roman. Parmi ses œuvres, il y en a que j’aime moins, forcément, mais j’y trouve toujours quelques pages extraordinaires.
À quand remonte l’idée d’essayer de transmettre cette passion en adaptant son œuvre ?
Après New York, j’ai déménagé à Budapest. Je m’étais remis à la peinture, j’avais commencé à réaliser quelques courts métrages en prises de vues réelles et en animation. Et un jour, j’ai rencontré un agent qui m’a demandé quelles étaient mes envies. Je lui ai spontanément répondu « adapter Murakami ». Je voulais faire un long métrage en m’inscrivant dans le style expérimental qui était le mien alors, avec l’idée de mêler animation et prises de vues réelles. J’avais comme référence Michel Gondry et le côté bricolage de ses œuvres.
A-t-il été compliqué d’en obtenir les droits ?
On a suivi la voie officielle en passant par l’agente littéraire de Murakami aux États-Unis. Sa première réaction n’a guère été encourageante, en effet. Elle nous a expliqué que Murakami ne s’intéressait absolument pas à l’animation. Mais elle a fait son job : même si elle n’y croyait pas une seconde, elle a fait passer notre demande avec ma note d’intention expliquant ma démarche ainsi que mes courts métrages. Quinze jours plus tard, Murakami nous a répondu en disant qu’il était intéressé.
Qu’aviez-vous expliqué dans cette note d’intention ?
J’y détaillais ce qui m’intéressait dans son œuvre, comment certaines de ses obsessions pouvaient rejoindre les miennes : un intérêt commun à explorer la solitude urbaine, à dépeindre des personnages a priori ordinaires, mais en plongeant dans leurs univers pour en montrer l’extraordinaire, tout ce qui sort du pur réalisme.
Lui aviez-vous parlé d’une œuvre spécifique que vous souhaitiez alors adapter ?
Non, pas dans ma première lettre. C’est lui qui, dans sa réponse, m’a proposé d’adapter une nouvelle de mon choix. Et je lui ai répondu que j’aimerais en adapter plusieurs, ce qu’il a accepté.
Comment les avez-vous choisies ?
J’ai tout relu. Plusieurs fois. Et j’en ai choisi à l’instinct six qui me touchaient sans pouvoir formuler précisément pourquoi : Crapaudin sauve Tokyo, Un ovni a atterri à Kushiro, Le Jour de ses vingt ans, Le Petit Grèbe, Saules aveugles, femme endormie, L’Oiseau à ressort et Les Femmes du mardi. À partir de là, mon rôle n’allait pas consister à adapter scolairement ces histoires mais à les digérer par rapport à mon ressenti et à raconter, en les cumulant, ce qu’elles pouvaient avoir de commun.
Combien de temps a pris ce travail ?
Plusieurs années. J’ai écrit une première version du scénario, j’ai rencontré des producteurs. Les premiers retours sur le financement ont été encourageants mais on a vite déchanté. On a vécu un stop-and-go permanent pendant lequel j’ai créé les dessins et continué à travailler sur le scénario. Je l’ai emmené sur un terrain plus personnel, alors qu’au départ j’étais sans doute freiné par le respect des œuvres originelles.
Murakami a-t-il eu un droit de regard sur votre scénario ?
Au départ, respectueusement, je lui ai envoyé ma première version du script. Il m’a fait deux petits retours. J’ai voulu continuer, j’envisageais même d’aller au Japon pour travailler avec lui. Mais très vite, il a mis le holà en m’expliquant que je faisais mon film et que lui écrivait ses livres. Le message était clair ! (Rires.) Mais ce fut un immense cadeau car j’ai eu dès lors la liberté de faire tout ce que je voulais. Il avait évidemment au final la possibilité de retirer son nom du film mais il ne l’a pas fait…
Quelles ont été vos sources d’inspiration concernant le style d’animation ?
Contrairement à la musique où j’ai été formé à la composition et à l’orchestration, je n’ai pas de formation d’animation. Ce qui a eu l’avantage de me pousser à inventer mes propres techniques. Mon père était certes réalisateur et animateur [Peter Földes, l’un des pionniers de l’animation par ordinateur, César du court métrage d’animation avec Rêve en 1978], mais quand je m’y suis mis à mon tour, je suis parti de zéro. Je me doutais cependant que, pour Saules aveugles, femme endormie, les petites techniques de mes courts métrages n’allaient pas suffire. Alors je les ai en quelque sorte améliorées.
De quelle manière ?
Je suis d’abord parti sur un procédé qui plaisait à tout le monde mais qu’on n’a pas pu appliquer pour des questions de coût car pour créer un personnage, il fallait 80 couches ! Alors, j’en ai inventé un autre, basé sur des prises de vues réelles mettant en scène des acteurs auxquelles viennent s’adjoindre des sculptures en 3D que j’ai moi-même créées pour que les personnages aient des expressions extrêmement précises. Tout le travail de l’animation est basé sur le jeu des comédiens, leurs expressions, leur rythme et leurs mouvements. Et il est unifié par ma direction d’acteurs, à la différence de la rotoscopie où chaque animateur décalque simplement la vidéo live.
En parallèle vous avez créé la BO du film. Comment avez-vous mis le film en musique ?
Quand j’aborde une musique, j’agis toujours de la même manière : je prends un cahier, je me pose des questions et j’y réponds. En l’occurrence ici, des interrogations sur la sonorité que je voulais créer et sur ce que je voulais provoquer avec cette BO. J’ai d’abord opté pour ce que j’appelle du « sound design orchestral », une musique imaginée avec des sons électroniques, synthétiques, mais créée avec l’instrument orchestral. Cependant, comme pour la technique d’animation initiale que j’évoquais, j’ai changé mon fusil d’épaule. Car j’ai tout de suite compris que ça allait demander trop de temps. J’ai donc opté pour un orchestre à corde – une dizaine d’instruments de solistes – mêlé à des sons électroniques préparés en avance dans mon studio. En sachant quel’approche est différente selon mes personnages. Ma musique se rapproche et s’éloigne en fonction du regard que je pose sur eux. Entre réalisme et expressionnisme. À l’image de ce qu’est le film, dans sa globalité.
SAULES AVEUGLES, FEMME ENDORMIE
Réalisation : Pierre Földes
Scénario : Pierre Földes d’après Haruki Murakami
Création graphique : Pierre Földes
Direction artistique : Julien de Man
Direction de l’animation : Julien Maret
Montage : Kara Blake
Musique : Pierre Földes
Production : Cinema Defacto, Miyu Productions, Doghouse Films, Micro_scope, L’Unité Centrale, An Original Picture
Distribution : Gebeka Films
Ventes internationales : The Match Factory
Sortie en salles le 22 mars 2023
Soutien du CNC : Avance sur recettes avant réalisation, Aide à la création de musiques originales