Comment en êtes-vous venu à créer Miyu en 2009 ?
Je venais de la réalisation, et j’avais monté une première société de production avec d’autres cinéastes. Mais en touchant à la production, j’ai compris que je désirais m’orienter dans cette direction. J’ai eu envie de développer une société dans laquelle je pouvais avoir plus d’impact éditorial et suivre un peu plus librement ma vision. Au départ, je n’avais pas d’expérience en animation, seulement dans la prise de vues réelles. Mais à force de côtoyer l’animation et ses cinéastes, j’ai réalisé qu’il s’agissait pour moi d’un bon moyen d’expression. Passionné à la fois de cinéma, d’art contemporain et de littérature, j’y prenais beaucoup de plaisir. Notion que je place au centre de tout ce que je fais, car sinon on ne tient pas ! (Rires.)
C’est le champ des possibles en matière de narration qui vous plaît dans l’animation ?
L’animation permet de confronter la vision des cinéastes à un ensemble de possibilités très vaste. Tant au niveau de l’expression graphique que de la mise en scène. C'est vertigineux, d’autant que nous nous situons encore au début de l’exploration de tout ce qui est possible en matière d’apport aux narrations contemporaines. C’est très stimulant. Même s’il existe de la frustration, parce que l’animation subit énormément de préjugés et de méconnaissance. Beaucoup la considèrent encore comme un sous-genre du cinéma, uniquement destiné aux enfants.
Les choses n’ont-elles pas évolué ces dernières années ?
Si, dans le bon sens, mais cela met du temps. Il y a encore une vraie invisibilisation des films et des cinéastes d’animation. Souvent, on me dit que ce n’est pas le cas, mais ma réponse est simple : je demande à la personne de me donner le nom de cinq réalisateurs de films d’animation. Et généralement, après avoir cité Hayao Miyazaki, ils ne savent plus qui évoquer. (Rires.)
L’animation prend du temps, bien plus que les autres formes de cinéma. À quel point cet aspect complique-t-il votre métier ?
Le développement d’un film d’animation prend du temps, certes, mais il a aussi un coût. Ce sont des œuvres plus coûteuses à développer que les films en prise de vues réelles. C’est donc un investissement en termes de temps, d’énergie et de financement qui est différent. Cela fait partie des spécificités des techniques d’animation, c’est ainsi. Il y a toujours des avantages et des inconvénients. Entre le moment où un réalisateur ou une réalisatrice écrit les premières lignes de son projet et celui où le film sort, il se passe entre sept et dix ans. Un grand cinéaste d’animation, finalement, laisse beaucoup moins de films derrière lui qu’un réalisateur traditionnel.
Financièrement, que cela implique-il pour vous ? Préférez-vous investir dans plusieurs films en même temps ou miser sur un nombre réduit d’œuvres ?
Chez Miyu, nous avons un volume de production qui nous permet de faire aussi de l’expérimentation. On peut prendre davantage de risques sur certains projets, car on sait qu’il y en a d’autres derrière. Si on limite les films, on se place dans une toute autre logique de production. Si une œuvre est un échec commercial, alors elle peut mettre en péril la société… Nous produisons cinq ou six courts métrages par an. Côté long métrage, Linda veut du poulet !, est notre troisième cette année. De plus, nous en avons trois autres en production actuellement, et cinq ou six au stade du développement. Sans compter les œuvres audiovisuelles produites pour France Télévisions ou Canal+. Cette activité, assez importante, nous permet d’être audacieux sur certains films, d’un point de vue éditorial mais aussi financier.
Quelle est la place de la télévision dans votre travail de producteur ?
Travailler pour la télévision est un peu différent en matière de possibilités de financement. Elles sont moindres, car si on fait le tour des chaînes et que le retour est négatif, on aura des difficultés à produire la série. Un long métrage permet au contraire de cumuler un certain nombre de financements différents, voire de monter une coproduction internationale. Mais le suivi d’un programme audiovisuel prend du temps, que ce soit en matière d’éditorial ou de scénario… Surtout quand on travaille sur des séries de onze épisodes de 52 minutes ! Et notre choix éditorial est de régulièrement faire un pas de côté par rapport au marché. En résonance avec lui, bien sûr, sinon on ne monte pas les projets ! Mais avec l’envie de démontrer ce que l’animation peut apporter aux narrations contemporaines.
Votre travail requiert donc une part d’éducation du public, à la télévision comme au cinéma…
Tout à fait. Parce qu’un pan des spectateurs art et essai a des préjugés sur les films animés. Mais il y a aussi une nouvelle génération qui arrive et qui est de plus en plus à l’aise avec les techniques animées car elle a connu le jeu vidéo, la série d’animation, l’anime japonais... Un mouvement naturel se crée, mais cela ne signifie pas que nous ne devons pas être proactifs sur le sujet.
Miyu a fait le choix de la diversification avec l’ouverture d’une galerie. Pourquoi ?
La galerie a été créée dans cette même volonté militante. Il s’agit de mettre en lumière le travail des cinéastes d'animation et des techniques animées. On a constaté que de nombreux cinéastes d'animation pratiquaient également les arts plastiques ou visuels. Cependant, de la même manière qu'ils et elles étaient peu considérés par les professionnels du cinéma, ces réalisateurs et réalisatrices pouvaient être délaissés par le milieu de l'art contemporain. L'idée de la galerie Miyu est donc de créer une plateforme d’échange : on y expose le travail de cinéastes d'animation, ce qui permet au monde de l'art contemporain de découvrir la richesse créative de ce tissu d'artistes internationaux qui leur sont complètement inconnus. Mais nous voulons aussi inscrire les techniques animées dans l'Histoire de l'Art. C'est dans cette perspective que nous avons lancé il y a quelques mois un partenariat avec le Fonds Régional d'Art Contemporain de Picardie, le seul FRAC à avoir constitué une collection publique autour du dessin contemporain, la plus importante en France et certainement en Europe à ce jour. Ce partenariat a donné lieu à la rentrée 2023 à la création d’une résidence, destinée à accompagner des artistes de la scène contemporaine qui souhaiteraient réaliser une œuvre impliquant des techniques d’animation. La résidence accueillera au sein d’un des cinq studios d’animation de Miyu (Paris, Angoulême, Valence, Marseille et Bruxelles), des artistes majeurs de la scène contemporaine internationale. Les premiers résidents ont été annoncés le 17 septembre à l'occasion des 40 ans du FRAC Picardie. En accompagnant les artistes de la scène contemporaine qui souhaitent s’emparer des possibilités offertes par les techniques animées, nous voulons affirmer que l’animation ne doit plus seulement être une affaire de communauté avertie, mais bien un langage respecté et reconnu dans la création contemporaine. Avec son activité de production et de distribution, Miyu devient ainsi un label global pour diffuser et refléter le talent des cinéastes d’animation mondiaux, et ainsi continuer à repousser les frontières de l'animation.
Concrètement, quelle différence existe-t-il entre un producteur de films en prise de vues réelles et un producteur de films d’animation ?
De nombreux aspects se rejoignent au niveau financier. La différence se situe en termes de production exécutive. Dans l’animation, il existe peu d’imprévus : pas de problème de météo, de comédien ou de comédienne qui a un accident ou qui tombe malade… On s’inscrit sur des rythmes de production plus lents. Le stress au quotidien n’est pas le même.
Comment travaillez-vous avec les réalisateurs ?
En tant que producteur, on peut intervenir tout au long de la fabrication du projet. Mon métier demande de prendre des décisions quotidiennes qui peuvent toucher aussi à l’artistique. On est toujours en lien avec la production. Les processus de fabrication dans l’animation se font par étapes, même si certaines peuvent se chevaucher. Le producteur délégué a un travail en amont important pour la phase de développement et de financement. Mais comme dans n’importe quel film. Je fais des points très réguliers avec les réalisateurs et réalisatrices et notre directeur de production. Après Paris, Angoulême, Valence et Marseille, nous prévoyons d’ouvrir un autre studio à Bruxelles. Ce qui nous permet de travailler principalement en interne, et d’assurer le plus de confort possible aux cinéastes tout en limitant le coût. La ligne éditoriale de Miyu s’est construite sur de la 2D – pour des questions d’appétence et de goût –, en revanche on ne s’interdit rien. La vision de l’auteur ou de l’autrice nous intéresse avant tout. Quand on est embarqués par une vision qui utilise des techniques que l’on maîtrise moins, alors on va vouloir, avec cette personne, développer ce savoir-faire en interne pour pouvoir l’accompagner au mieux.
Vous produisez aussi des courts métrages. Est-ce pour vous une sorte de laboratoire ?
Le format court a été – et reste encore – le format roi en matière de cinéma d’auteur et d’art et essai. Pendant très longtemps, le marché n’a pas voulu d’œuvres pour adultes mais plutôt des films pour enfants très formatés. Ce qui fait qu’énormément de cinéastes d’animation ont continué dans le court parce qu’ils pouvaient en maîtriser la fabrication et en même temps bénéficier d’une vraie liberté éditoriale. Il existe évidemment un aspect recherche et développement dans d’autres formats, mais le court métrage est et restera toujours le cœur battant de notre ligne éditoriale : il nous permet aujourd’hui de travailler avec de très jeunes auteurs qui sortent d’école, mais également de très grands noms de l’animation. Par ailleurs, c’est aussi un moyen de lancer des coproductions avec des pays plus lointains, et in fine d’éventuellement monter des projets qui peuvent être de plus grande ampleur en termes de production. Je parle notamment du Japon, pays avec lequel nous travaillons beaucoup, et avec qui tout a commencé par le court métrage.
D’ailleurs, vous avez reçu la Palme d’or du court métrage pour 27 de la cinéaste hongroise Flóra Anna Buda…
Nous suivons son travail depuis son stage effectué dans notre studio à Valence sur le film Symbiosis de Nadja Andrasev, elle-même hongroise. À la découverte d’Entropia, son film de fin d'études (École MOME en Hongrie), sélectionné notamment en compétition officielle court métrage de la Berlinale 2019 où il a reçu le Teddy Award, nous étions convaincus d'être face à une très grande cinéaste. Après plusieurs mois de discussion sur ce que pourrait être son prochain film, Flóra Anna Buda est finalement partie sur l'écriture du script de 27. Elle a ensuite décidé de quitter la Hongrie, car elle ne pouvait y produire sereinement son cinéma. C'est donc grâce à notre exception culturelle et au soutien du CNC, de ARTE, de CICLIC-Centre Val de Loire, de la région Nouvelle Aquitaine, du département de la Charente et du pôle Image Magelis, et en coproduction avec nos amis Hongrois de la société Boddah, que ce film a pu être produit et remporter la Palme d'or du court métrage et le Cristal du court métrage à Annecy cette année.
Quelle est l’importance de festivals comme Cannes ou Annecy pour Miyu ?
Cette année, Miyu était associé à huit films présentés au Festival de Cannes, que ce soit en production, en distribution ou en tant que studio. Cette édition exceptionnelle ne pouvait pas mieux s'achever avec cette Palme d'or du court métrage et le succès du long métrage Linda veut du poulet !. Réalisé par Chiara Malta et Sébastien Laudenbach, coproduit avec Dolce Vita Films (Marc Irmer), il a été sélectionné à l'ACID et a reçu un accueil très enthousiaste de la presse et des exploitants lors de sa présentation aux Rencontres nationales Art et Essai Jeune public de l’AFCAE. Obtenir cette année au Festival d’Annecy à la fois le Cristal du court métrage pour 27 et le Cristal du long métrage pour Linda veut du poulet ! a été pour nous également une immense joie, et une très belle reconnaissance pour le travail des équipes de Miyu. Les festivals sont essentiels à la reconnaissance des cinéastes d'animation et à la diversité du cinéma d'animation. C'est pour cela qu'il est d'ailleurs très important pour le milieu de l'animation que les films d'animations soient présents dans les festivals généralistes. Nous avons besoin d'eux pour mettre en lumière tout ce que les techniques animées peuvent apporter aux narrations d'aujourd'hui et démontrer que l’animation n’est pas un cinéma de la périphérie.
linda veut du poulet !
Personnages : Sébastien Laudenbach
Décors : Margaux Duseigneur
Musique : Clément Ducol
Montage : Catherine Aladenise
Montage son : Carolina Santana et Yan Volsy
Production : Miyu productions, Dolce Vita Films
Distribution : Gebeka Films
En salles le 18 octobre 2023