« Programmer, ce n’est pas choisir les films qu’on aime, il faut contenter un public. C’est pour lui qu’on travaille ». Cette ligne directrice est au cœur du travail du programmateur de cinéma. Sa mission ? Choisir les films projetés dans l’établissement, et la salle dans laquelle les spectateurs pourront les découvrir, en prenant aussi bien en compte des critères de qualité, que de goûts personnels, de ligne éditoriale ou encore de géographie.
« Le contexte de programmation à Paris est différent du reste de la France car la ville concentre beaucoup de cinémas et d’entrées, avec des quartiers très concurrentiels tels que Montparnasse ou le Quartier Latin », explique David Obadia. Cette concurrence entre en compte pour la construction de la ligne éditoriale d’une salle par le programmateur et le directeur. « On regarde ce qui n’est pas fait dans le quartier ou à Paris, confirme-t-il. Le Quartier Latin est par exemple faible en propositions jeune public. Aux 3 Luxembourg, j’essaie donc de dynamiser notre programmation pour cette cible car il y a un énorme potentiel. Si on arrive à faire du résultat sur plusieurs films, le distributeur pensera à nous pour ce type de sorties ».
Cinéphile, le programmateur doit également avoir des vraies compétences en négociation, un rôle qui pour David Obadia prend autant de temps que de voir des films. S’il est souvent contacté par les distributeurs pour mettre à l’affiche les films qu’ils défendent, il doit en effet parfois se battre pour programmer certains autres. « J’ai pu avoir certaines œuvres car j’ai montré que je voulais les défendre en mettant en place des animations et des partenariats. Il faut prouver que programmer un film chez nous va marcher car nous reversons 50% de la recette d’un film à son distributeur sur les trois premières semaines d’exploitation. Il a donc tout intérêt à trouver la salle qui fera le plus d’entrées », explique-t-il.
Le choix de la salle dans laquelle sera projeté un film est également un des éléments en jeu lors des négociations entre le programmateur et le distributeur. Les séances sont ensuite réajustées, en accord avec le directeur de la salle, après les premiers résultats de fréquentation. Enfin, le programmateur influe également sur la diffusion des bandes annonces d’avant film. « Lorsque je valide une sortie nationale, je vais appeler le directeur pour lui dire de mettre le film annonce avant tel autre long métrage, s’il a la place. »
Le respect de l’identité d’une salle
« La programmation, tout comme l’animation, crée l’identité du lieu », souligne David Obadia. Chaque programmation est ainsi construite en collaboration avec le directeur du cinéma pour respecter aussi bien l’histoire de la salle que son ADN profond. « L’Espace Saint-Michel dans le Quartier Latin passe par exemple historiquement des documentaires très engagés. Le Luminor, qui s’appelait auparavant le Latina puis le Nouveau Latina, a une forte orientation latine. Lorsque j’en ai pris la direction (il l’a dirigé entre 2015 et 2017 ndlr), nous avons gardé cette identité qui faisait partie de son âme, tout en réalisant un travail de réorientation ». Pour attirer un nouveau public plus jeune, il a donc misé sur une programmation plus internationale, sur des films de genre projetés à 22h et a mis en place des événements tels que des ciné-clubs.
Ce même travail de redynamisation est en cours pour L’Entrepôt, dont il vient tout juste de reprendre la programmation. Il compte ainsi garder les continuations (les films récupérés 4/5 semaines après leur sortie nationale pour leur offrir une seconde vie) tout en réduisant le délai entre leur programmation à L’Entrepôt et leur sortie en salles, « pour qu’ils soient plus frais dans l’esprit des spectateurs ». Il travaille également sur une programmation autour de films engagés qui seront accompagnés de rencontres-débats afin de profiter de tous les espaces de ce lieu culturel, notamment de sa scène pouvant accueillir 300 personnes. Un premier événement, le Festival des Merveilles consacré aux identités trans et intersexes, se déroulera d’ailleurs du 17 octobre au 2 novembre. « Nous voulons attirer un public qu’on n’a pas aujourd’hui et qui a du mal à se déplacer dans le 14e arrondissement », explique-t-il.
Si David Obadia a choisi de s’impliquer dans l’animation des salles, ce rôle est normalement dévolu aux directeurs des cinémas. Mais pour lui, allier programmation et animation contribue à garder une cohérence artistique. « Dans certaines salles, les directeurs avaient plus de travail sur d’autres sujets. Pour le Balzac par exemple, la directrice est très impliquée dans l’animation avec notamment des retransmissions d’opéras. J’apporte de mon côté les avant-premières ou les séances événementielles », précise-t-il en évoquant cette double casquette.
Un marché en pleine évolution
Un programmateur de cinéma se doit de suivre la tendance générale de ce marché en pleine évolution. C’est d’ailleurs l’une des principales difficultés du métier. « Les spectateurs évoluent, les quartiers aussi tout comme la démographie parisienne. L’offre s’enrichit également : il y a entre 15 et 20 sorties par semaine, plus de 700 par an en France, c’est autant de films à voir et de sollicitations de distributeurs », constate David Obadia, qui souligne la difficulté à absorber tous les films qui sortent et à répondre à toutes les sollicitations.
« Il faut parfois dire non à des distributeurs car nous n’avons pas la place », ajoute-t-il. Evoquant la « dureté du marché », avec peu de films forts attirant en nombre les spectateurs chaque semaine, il souligne également la nécessité de s’adapter aux nouveaux arrivants et aux nouvelles habitudes, comme l’attrait de plus en plus important des séries. « Je me bats pour proposer des séries dans les salles de cinéma. Elles sont de plus intéressantes en termes de cinéma et de production. Mais c’est un difficile équilibre à trouver ».
A la tête de sa société de programmation depuis bientôt deux ans, David Obadia est, comme tous les professionnels de ce secteur, un passionné de cinéma. Mais après une licence en cinéma, il a changé de voie pour travailler dans l’informatique. « J’avais fait le deuil du cinéma. Mais j’ai fini par avoir un sursaut en me disant que si je n’essayais pas de travailler dans ce monde, j’allais le regretter à 40 ans ». S’il a dirigé le Luminor, devenir programmateur, un métier qui touche à l’artistique, a toujours été son objectif. « Lorsque les spectateurs sortent heureux d’une séance dans un cinéma que je programme, je me dis qu’on leur a permis de voir ce film. Le programmateur a quelque part une influence dans la vie des gens, même si nous ne sommes qu’une goutte d’eau entre la production et la distribution ».