Comment en êtes-vous venu à faire ce métier ?
Thomas Foster : J'ai d’abord fait des études de cinéma, j'étais pigiste en parallèle à Radio Nova, avant d’intégrer le milieu de la déco dans le cinéma. J’étais ripeur, donc je m'occupais de déplacer les décors. C'est là que j'ai entendu parler pour la première fois du métier de repéreur. J'ai poursuivi avec différentes missions dans le cinéma, au casting, dans l'administration... Des secteurs très différents. Mais l'idée de faire du repérage ne me quittait pas. Un jour, on m'a présenté un repéreur qui m'a donné quelques clés de méthodologie et petit à petit, j’ai fini par en faire mon métier. En 2017, j’ai officié en tant que repéreur sur mon premier film : Jusqu'ici tout va bien de Mohamed Hamidi, avec Gilles Lellouche et Malik Bentalha. On m’a demandé de chercher des bureaux à Paris. Max Belmessieri, un confrère avec qui je travaillais à l’époque, m’avait expliqué que dans ce cas, il fallait éplucher toutes les annonces du Bon Coin concernant des bureaux à vendre dans un périmètre précis ! On a passé des journées entières sur le site, ce qui a fini par payer. C’est une méthode que j’applique encore aujourd'hui : faire le tour du Bon Coin, des agences immobilières, des propriétaires d’immeubles... Avoir une idée en tête vire à l’obsession. On y pense quotidiennement, on est constamment en train de se demander comment on va y arriver. Le pire, c'est qu'on a souvent l'impression d'avoir déjà vu ce fameux lieu qu'on recherche… et finalement on trouve l'endroit parfait six mois après !
Concrètement, comment se déroule votre travail de repéreur ? Que fournissez-vous à la production ?
D'abord, je contacte des bureaux d'accueil de tournages, je fais également beaucoup de recherches sur Google Maps ! Cela permet de faire une première approche. Ce qui n'empêche pas d'aller sur place quand on approfondi les investigations, parce qu’on ne se rend pas toujours compte de tout : les volumes et les distances ne sont pas du tout les mêmes dans la réalité, par exemple. Je ne me déplace jamais tant que je ne sais pas où je dois aller, donc il faut toujours chercher longtemps en amont, bien se documenter et multiplier les contacts locaux. Ne jamais débarquer à l'improviste !
En général, combien de temps avant le tournage vous demande-t-on de faire vos repérages ?
Cela dépend. Je travaille actuellement sur la saison 3 de Paris Police, qui sera en tournage entre les mois de juin et septembre 2024, et j'ai déjà commencé le pré-repérage. Comme souvent avec les grosses séries, mon travail début bien en amont, quitte à faire du stop and go. C’est-à-dire lancer une première salve de pré-pré-repérages, afin de défricher et de lancer les demandes, car il s’agit très souvent de décors importants pour lesquels il est essentiel d'anticiper. Et sur les longs métrages, mon travail varie en fonction des décors à chercher.
Quels sont vos interlocuteurs et votre marge de manœuvre ? Faites-vous plusieurs propositions pour un même décor ?
Je communique en même temps avec la production, le réalisateur et le régisseur, pour les tenir au courant de l'avancée des dossiers. Pour certains décors, les solutions sont limitées : si le scénario du film en question indique que le personnage se promène sur le quai de Montebello à Paris, je suis limité dans mes options ! Mais c’est différent s’il faut chercher une église un peu spécifique, un tribunal, un hôpital... Il faut souvent trouver la meilleure façon « d’attaquer » le décor : est-ce qu'on passe par les institutions ? Une Mission cinéma ? Une mairie ?
À quel moment vous rendez-vous sur place pour vérifier que le lieu correspond à vos attentes ?
Je vais prendre l'exemple de The Walking Dead : Daryl Dixon, série qui a été tournée en France. Il manquait des décors précis. J’ai pris quelques jours pour contacter des personnes à Saint-Malo, et j’ai fait une mission éclair là-bas : je partais le matin très tôt et je revenais le soir. Je savais exactement ce que je devais voir et dans quel sens. Il fallait que je puisse me rendre compte par moi-même de la réalité des lieux, pour pouvoir en parler au mieux à mes interlocuteurs. On a beau disposer de photos, tant qu'on n’est pas allé sur le terrain, il est difficile d’appréhender le décor… Il s’agit surtout de perspectives et de distances à savoir apprécier, les photographies ne permettent pas de se faire une idée précise.
Faut-il avoir un certain savoir-faire technique de la réalisation, être capable de s’imaginer ce que peut rendre un plan dans un décor ?
Plus ou moins. Il faut surtout être conscient des contraintes logistiques et techniques des lieux. Sur place, j’essaie de prendre la photo la plus objective et neutre possible, car les chefs opérateurs ont tous leur approche. Au début, je faisais des photos plus travaillées et les gens s’emballaient : « C'est magnifique ! ». Et une fois arrivés sur place, c’était la déception (Rires.) J'essaie de montrer les possibilités d'un lieu, mais aussi ses limites. Il n'y a pas forcément besoin d'être un très bon photographe, en revanche il faut travailler très en amont pour savoir comment il sera possible de tourner dans cet endroit : quels sont les interlocuteurs ? Les modalités de tournage ? Les disponibilités ?
Une fois que le tournage a démarré, quelles missions vous reste-t-il à accomplir ?
Mon travail comprend plusieurs phases de repérage. Des pré-repérages à lancer pour les grands décors, puis les repérages en tant que tels quand le plan de travail est connu. C’est à cet instant que ma mission se transforme en un Tetris géant : il faut trouver les décors qui raccordent bien, tout en essayant de mutualiser les lieux pour avoir un minimum de déplacements. À ce moment-là, le tournage commence et ce qui arrive presque systématiquement, c’est de « perdre » les décors, souvent parce que les disponibilités ne concordent plus. Ce qui oblige à relancer des repérages, et c'est de nouveau un Tetris (Rires.) Il faut alors réussir à prendre en compte toutes les demandes techniques et artistiques, même si on sait qu'on ne pourra pas toutes les satisfaire. Donc il faut se recentrer sur ce qui est le plus important. La mise en scène prime toujours, mais il y aura forcément quelque chose qui ne va pas aller : les murs blancs sont un grand classique, ils sont souvent détestés car ils prennent toute la lumière. La phase de repérages durant le tournage est complexe, car par définition les équipes sont peu disponibles. Il est donc bon d’arriver avec quelques idées. Souvent d’autres repéreurs prennent le relai, parce que je suis déjà parti sur un autre projet. Donc on échange ensemble, on se détaille ce qui avait été montré, quel lieu n'avait pas été apprécié, ce qu'on avait pu voir pour un projet un peu similaire… Il y a beaucoup de communication entre les repéreurs, on s'appelle en permanence.
Vous faites justement parti de l’Association des repéreurs qui rassemble des professionnels de l’ensemble du territoire. En quoi cette structure est-elle essentielle dans votre travail ?
On se tient informés de tout. Dans ce métier, on est souvent très seuls. On peut en effet passer des jours à chercher des lieux et des heures au téléphone à tenter de convaincre quelqu’un ou simplement trouver le bon interlocuteur... On passe la journée entière derrière l'écran d'un ordinateur ou au volant d'une voiture, à prendre des photos dans les champs et tout à coup, on tombe sur quelqu'un à qui parler, qui nous comprend. Et si un ou une collègue a effectué une recherche similaire peu de temps auparavant, cela facilite évidemment la tâche. L’objectif n’est pas de lui voler ses idées, loin de là. Il s’agit de s’entraider, d’obtenir des conseils. Par exemple, le nom des hôpitaux qui peuvent accueillir des tournages change en permanence. L'association permet de se tenir au courant, notamment via un groupe WhatsApp par lequel nous nous faisons passer les informations : quel hôpital a été le lieu d’un tournage récemment ? Quel est le nom de la personne à contacter ? Quelles sont les conditions ?
Comment vous êtes-vous retrouvé à travailler sur la série Monsieur Spade ?
La production m’a contacté autour de décembre 2022. L'un des producteurs connaissait la ville de Bozouls, dans l'Aveyron, et voulait y situer l'action. Mais il semblait manquer une structure de village comme ils l’entendaient, donc on m’a chargé de trouver un équivalent, assez spectaculaire, ou bien des lieux qui pourraient raccorder avec Bozouls. Je me suis donc mis en quête de la perle rare dans le sud de la France, et plus spécifiquement dans la vallée du Rhône et le pourtour méditerranéen. J'avais surtout trouvé des endroits extrêmement touristiques et il est vrai que Bozouls a cette particularité de ne pas trop l'être, du moins pour le moment ! Pour autant, je sentais dès le début que le tournage allait se faire là. Comme souvent dans notre métier, on nous demande d'aller au bout d'une piste même si on sait d'avance qu’elle ne sera pas forcément la solution. Les productions préfèrent bien sûr être certaines des lieux de tournage, et il s’agit parfois pour nous de conforter l’idée que l’endroit choisi est le bon. En l'occurrence pour Monsieur Spade, je ne me suis pas déplacé : mes recherches se sont arrêtées au bout de deux ou trois semaines.
Êtes-vous particulièrement sollicité par les productions étrangères ?
Oui, de plus en plus. Les plateformes de streaming ont énormément de demandes, même si, comme dans tous les métiers, il y a des périodes plus calmes. Les productions étrangères qui viennent à Paris cherchent souvent la carte postale, l’image d’Épinal… Être repéreur est un métier passionnant, où l'on découvre des sujets et des univers très différents les uns des autres. Mais il souffre souvent d’idées reçues : un beau lieu ne donne pas forcément un beau décor. On a parfois l'impression qu'on va chercher des lieux exceptionnels, mais les lieux exceptionnels, c'est facile, on les connaît ! S'il faut tourner à la Tour Eiffel, pas la peine de prendre un repéreur. En revanche, s'il est nécessaire de trouver un appartement qui donne sur la Tour Eiffel, avec une fenêtre dans un axe précis, là, on rentre en jeu.
Un lieu peut-il servir pour plusieurs projets ?
En général, à Paris, il y a un important turnover. Nos lieux fétiches finissent par disparaître. Et à l'inverse d'autres endroits arrivent sur le marché. C'est pourquoi il faut réaliser un travail de veille important auprès des agents immobiliers et des agences de décors, car de temps en temps, un immeuble se libère et sept étages sont disponibles immédiatement. Du pain béni ! Il faut être sans cesse à l’affut des nouveautés.