Le son occupe une place centrale dans Boîte noire. Yann Gozlan vous a-t-il donné des indications spécifiques concernant son traitement ?
C’est un peu particulier puisqu’avec Yann, on se connaît depuis vingt ans. On a travaillé ensemble sur plusieurs courts métrages, et j’ai fait le montage son de ses quatre films. On est devenus amis très vite, et il m’a toujours fait lire ses projets. Il y a six ans maintenant, il m’a proposé qu’on écrive ensemble Boîte noire. Donc l’écriture du scénario a précédé le travail sur le son. Et quand on a écrit le film, on a beaucoup pensé à ce qu’on voulait dire avec le son. Yann est l’un des rares réalisateurs réellement intéressés par le sujet : il l’intègre dès son écriture. C’est quelqu’un qui aime caractériser les décors, les personnages et les états émotionnels à travers le son. Avant même de tourner le film, on a fait deux bandes-son : une pour Cannes 2019, en anglais – un extrait de boîte noire – ; puis une autre, en français, avant le tournage, pour que les comédiens l’aient sur le plateau.
On imagine que vous avez fait beaucoup de recherches, le sujet étant très technique
Quand on a commencé à écrire avec Yann, on a lu beaucoup de choses. Et puis on a fini par contacter l’organisme qui s’occupe des accidents de tout appareil volant en France, le BEA, le Bureau d’enquêtes et d’analyses. Le directeur de la communication nous a fait rencontrer le directeur, des enquêteurs, des techniciens… Et ils nous ont donné accès à des CVR (Cockpit Voice Recorder, soit l’enregistrement des conversations à l’intérieur du cockpit), mais seulement à l’écrit. Heureusement, on trouve aussi des CVR audio sur Internet. Donc tout est né de nos conversations, de nos enquêtes, de nos lectures, et on a inventé à partir de là.
Il fallait que la matière sonore soit parfaitement réaliste ?
C’était important, oui. D’autant que beaucoup de gens ont déjà pris l’avion dans leur vie, donc il y a un petit acquis chez les spectateurs. On a un peu ramassé les choses pour des raisons dramatiques, mais on est tout de même très réalistes.
Les scènes d’analyse audio ont-elles été un challenge ? Comment, à travers le son, les rend-on intelligibles pour le spectateur ?
C’était l’un des gros enjeux. Dans le film, on entend plusieurs fois ce qui s’est passé dans l’avion, et tout cela est soutenu par un support visuel. C’est un équilibre un peu compliqué à trouver entre la réalité et ce qu’on peut vraiment comprendre quand on est spectateur et qu’on découvre le film. Il ne fallait pas aller vers trop de simplification… On a décidé de pointer les éléments les plus dramatiques du CVR, afin de rendre les choses les plus intelligibles possible. Mais tout en donnant l’impression que le son est détérioré ! Pour créer le contenu audio de la boîte noire, nous avons fait beaucoup d’enregistrements en studio avec des comédiens. Et j’ai fabriqué à partir de là trois CVR, avec différents stades de dégradation. Je me suis servi de logiciels qui dégradent la parole en ajoutant des interférences. Il y a donc ce jeu sur la dégradation de la voix, et également des petites « triches » dans le montage et dans le mixage, pour qu’on entende certains mots ou phrases plus que d’autres. En fait, on dirige l’écoute du spectateur. Avec Yann, on a beaucoup hésité : si tel mot était audible, est-ce qu’on se trahissait, est-ce qu’on tuait le suspense ? Et à l’inverse, certaines choses pouvaient sembler manquer de clarté. Nos discussions étaient sans fin.
Le personnage de Pierre Niney a une ouïe hors du commun. Comment avez-vous travaillé ce qui est à la fois un handicap et un énorme avantage ?
C’est amusant, parce qu’on avait envisagé à un moment de jouer davantage sur son ouïe, mais on basculait un peu dans le super-héros et c’était grotesque.
Il fallait que ce soit présent, mais pas trop ?
Oui, voilà. Yann voulait traduire – par le travail du son, de ce qu’il entend – l’état émotionnel du personnage, sa paranoïa, ses obsessions et ses faiblesses. Ces analystes du BEA ont une ouïe extrêmement sensible et c’est leur travail de faire attention à ce qu’ils entendent. Je le ressens d’ailleurs moi-même, à mon petit niveau : je suis plus sensible que la moyenne aux sons du quotidien et aux bruits excessifs. C’est lié au métier et à l’attention qu’on porte aux éléments sonores. Donc on voulait que ce soit une caractérisation du personnage, sans être too much. Mais une fois que tout cela est posé dans le scénario, c’est un régal à faire ensuite au montage et à la création.
Vous diriez que Boîte noire est le film le plus difficile, techniquement, de votre carrière ?
C’est probable. Pour nous laisser la possibilité de changer des choses jusqu’au bout, j’ai travaillé sur des sessions de montage très lourdes avec le logiciel Pro Tools. Notamment sur la partie CVR, qui était traitée à part. Ça a généré un certain nombre de problèmes, mais on a tenu le choc ! Et il y a eu beaucoup de fatigue quand on travaillait sur le CVR. En fin de journée, c’est vraiment crevant d’avoir entendu des grésillements pendant des heures. En plus, en parallèle, un logiciel qui simulait un moteur d’avion tournait en permanence… C’est très usant. Mais paradoxalement, j’étais dans le confort : j’avais la confiance de Yann et nous savions exactement ce que nous voulions faire. On progressait main dans la main.
boite noire de Yann gozlan
Année : 2020
Durée : 2h09
Réalisateur : Yann Gozlan
Scénariste : Yann Gozlan
Producteurs : 24 25 Films, WY Productions
Distributeur : StudioCanal
Avec : Pierre Niney, Lou de Laâge, André Dussollier, Sébastien Pouderoux, Olivier Rabourdin
Genre : Fiction
Nationalité : France
Aides obtenues auprès du CNC : Soutien au scénario (aide à la conception)