Décryptage : l’Aide avant réalisation à la production de films de court métrage – commission premiers films (AVR1)

Décryptage : l’Aide avant réalisation à la production de films de court métrage – commission premiers films (AVR1)

06 janvier 2025
Cinéma
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"Margarethe 89" de Lucas Malbrun, bénéficiaire de l'AVR1 Lucas Malbrun, Eddy Cinéma

Créée en 2022 à la suite de l’appel à projets « Jeunes sortis d’école » pour poursuivre cette politique d’accompagnement des premiers films d’auteurs émergents, l’Aide avant réalisation à la production de films de court métrage fête ses trois ans en janvier 2025. À cette occasion, le réalisateur et scénariste Sébastien Betbeder revient sur ses deux années en qualité de vice-président de cette commission.


Pour quelles raisons avez-vous accepté la vice-présidence de l’Aide avant réalisation à la production de films de court métrage pour les premiers films ?

Sébastien Betbeder : Étant donné l’abondance des projets de courts métrages dont j’avais conscience en pratiquant moi-même depuis des années ce format et ayant eu à faire à différentes commissions d’un côté ou de l’autre de la table, je trouvais que cela faisait sens de créer un collège spécifiquement dédié aux premiers films. L’ambition première de cette commission était de porter une plus grande attention à ces jeunes cinéastes qui, pour certains, sortent des écoles, mais pour d’autres, ont un rapport à la réalisation plus autodidacte. L’AVR1 leur offre ainsi un guichet dédié et permet d’accompagner leurs premiers gestes d’auteur. Assister à la naissance d’un ou d’une cinéaste est toujours, à mes yeux, particulièrement émouvant. Autre spécificité de ce collège : encourager la démarche de production de ces œuvres et soutenir ainsi les producteurs investis dans cette volonté de faire émerger les auteurs. En effet, défendre un premier film peut s’avérer complexe et présenter une prise de risque en termes de production car, contrairement aux longs métrages, les courts métrages génèrent rarement des revenus significatifs. Voilà pourquoi le fait d’accompagner la production de ces premiers courts est à mon sens primordial.

Comment déterminiez-vous qu’un projet puisse bénéficier d’un soutien financier, ou d’un accompagnement à la réécriture ?

Avec la productrice Elisabeth Pérez, qui présidait la commission, et les autres membres, nous partions du principe que chaque projet mérite débat. Même si l’adhésion ou le rejet est fort au premier abord, nous avions à cœur au sein de la commission de toujours argumenter. Cela pouvait créer parfois quelques tensions, comme dans tout véritable échange finalement. Mais cela faisait sens et était – in fine, me semble-t ’il – bénéfique pour le film. C’est une grande responsabilité que nous avions envers les porteurs de projet car nous ne pouvions attribuer en plénière que trois à six bourses par session [six sessions par an – ndlr]. Sachant que nous recevions une centaine de projets, qui avaient franchi l’étape précédente du comité de lecture, cela pouvait s’avérer frustrant et particulièrement stressant quand un projet nous tenait particulièrement à cœur !

Dès lors que nous sentions la nécessité et l’urgence pour l’auteur de passer à la réalisation, et si le projet suscitait un minimum d’enthousiasme, nous décidions d’aider le film financièrement parlant. C’est un rapport de confiance mais aussi un pari en quelque sorte sur l’auteur. Je reconnais avoir eu parfois du mal à penser qu’un projet qui arrive en plénière soit « améliorable » et à l’envoyer en réécriture. Il y a des moments où il est vital de passer à l’étape de la réalisation et j’aime l’idée d’accompagner ce mouvement, de faire confiance à mon sentiment de lecteur. Je sais aussi la souffrance que représente le fait de déposer un dossier de demande de soutien. Cela prend du temps – bien qu’il y ait désormais moins de temps d'attente entre le dépôt et le résultat de la plénière, qui demande entre quatre mois et un an –, et peut faire perdre l’impulsion du moment au porteur de projet. Mais l’accompagnement des jeunes auteurs que permet l’AVR1 est vraiment unique et loin de moi l’idée de le remettre en question.

Pouvez-vous nous en dire davantage sur cet accompagnement ?

Au-delà de l’aide à la réécriture que je viens de mentionner et qui permet aux projets de revenir en plénière, des tutorats peuvent être proposés aux auteurs. Ils sont alors accompagnés par l’un des commissaires dans le but de représenter le projet à la commission. D’autres bénéficient d’une bourse de résidence afin de participer au Lab Andé, la résidence du Moulin d’Andé, qui leur offre une semaine d’expérience de mise en scène de leur projet, comme sur un plateau de tournage [parmi les autres bourses de résidence attribuées aux auteurs, Trégor Cinéma, St Quirin, Casell’arte… – ndlr]. Par exemple, lorsque nous jugions que la direction d’acteurs d’un projet précédent (souvent les candidats donnaient à voir des films autoproduits) était un peu faible et que cela pouvait porter préjudice au film pour lequel ils nous sollicitaient, nous proposions à l’auteur de se confronter à la réalité d’un tournage au Lab Andé. Enfin, à l’issue de chaque plénière, un retour est apporté à chaque porteur de projet, afin de le pousser toujours plus vers l’audace et l’originalité.

Quelles sont selon vous les qualités pour siéger à cette commission ?

Cela demande un grand sens de l’écoute de l’autre. À la fois envers les porteurs de projets et envers les autres membres de la commission, dont chacun a un domaine d’expertise précis. Un exemple : j’ai peu d’expérience des films d’animation. Je suis très curieux de ce genre et aime en regarder. Cependant, lire des projets de films animés requiert des compétences différentes que de lire des projets de fiction ou de documentaires. J’ai souvenir d’un des tous premiers projets que j’ai lus, Margarethe 89 de Lucas Malbrun, qui évoque les derniers jours de la RDA. L’originalité de ce film m’a tout de suite enthousiasmé et je l’ai d’emblée défendu. Le projet a été envoyé en réécriture, ce qui lui a été visiblement bénéfique puisque non seulement il a pu avoir l’AVR1, mais également l'aide aux techniques d'animation et au développement du Fonds d'aide à l'innovation audiovisuelle (écriture et développement) du CNC. Ce premier court a ensuite été sélectionné à la Quinzaine des cinéastes en 2023 !

Vous aviez à étudier des projets de tout premier film. Comment lit-on ce type de projet quand il y a peu d’éléments pour appréhender l’univers de cinéastes émergents ?

La note d’intention qui accompagne le dossier de candidature s’avère particulièrement précieuse. C’est elle qui permet de se rendre compte de la nécessité de filmer dont je parlais un peu plus tôt. Rédiger cette note est un exercice extrêmement difficile car elle doit refléter un propos, une vision. C’est à cet endroit que l’on comprend le pourquoi de son désir de devenir cinéaste. Elle peut jouer en faveur mais aussi contre le projet selon la façon dont elle a été construite et présentée. Le scénario n’est pas simplement un outil pour la mise en scène à venir. Il peut d’ailleurs être multiple : poétique, littéraire, mais doit, selon moi, aller au-delà du simple récit qui juxtapose des séquences préparatoires au tournage. Chaque auteur a l’occasion lorsqu’il rédige un scénario de dépasser le simple exercice d’écriture pour créer de l’émotion. Car oui, on peut (on doit !) être ému à la lecture d’un scénario de court métrage ! J’en ai en tout cas fait l’expérience plusieurs fois au cours de ces deux années passées à l’AVR1.

The Moon also rises de Yuyan Wang Yuyan Wang / Petit Chaos

Sur quels critères vous reposiez-vous pour sélectionner les projets ?

Nous portions attention autant au fond qu’à la forme. Ayant fait l’école du Fresnoy et les Beaux-Arts, j’ai une sensibilité pour les arts plastiques et les arts transdisciplinaires, même si cela n’a jamais été un impératif dans mes choix en commission. Je regrette toutefois que nous n’ayons pas reçu davantage de projets plus expérimentaux. Comme si les auteurs, en choisissant d’aborder des questions sociétales par exemple (puisque c’était souvent le cas), que ce soit par le prisme de la fiction ou du documentaire, se limitaient à une approche classique du récit. Nous recevions tout de même quelques projets à la marge, comme certains liés à la danse contemporaine, à des formes plus théâtrales ou hybrides, qui s’affranchissaient de la simple référence cinématographique. Je pense par exemple à The Moon Also Rises de Yuyan Wang, une réflexion sur le temps qui mêle documentaire et installation vidéo, proche de l’expérience immersive. Nous avons été convaincus par l’approche audacieuse de cette autrice. Elle a d’ailleurs reçu le soutien du FAI DOC pour le développement et a été sélectionné à la Berlinale 2024 et au festival Côté court de Pantin. De manière générale, la qualité de projets documentaires que nous avons eus entre le mains m’a vraiment impressionné.

Certains projets retenaient-ils plus facilement votre attention ?

Il nous arrivait d’être plus sensibles aux courts métrages documentaires que nous recevions. D’une part, parce qu’ils étaient peu nombreux. D’autre part, parce que filmer le réel impose de nombreuses contraintes, comme devoir faire face à l’imprévu, respecter la réalité tout en créant une structure dramatique solide, filmer sur un temps long mais dans un temps imparti… Le documentaire est lié de façon intrinsèque à l’étape du tournage, plus que tout autre genre. Les projets que nous étudions préexistaient parfois depuis un temps long, selon les sujets traités (par exemple, s’il s’agissait de suivre l’évolution d’un personnage sur plusieurs années). Des rushs étaient alors joints au projet. L’aide du CNC permet dans ce cas de continuer le tournage amorcé et d’interroger les forces et les faiblesses de ces premiers rushs.

Le fait qu’un projet soit « réalisable » faisait-il partie de vos prérogatives ?

Non, car je ne pense pas en ces termes. Tout comme le fait d’entendre qu’un projet est « trop ambitieux ». Ce n’est pas un argument que je peux entendre. Je trouve dangereux de freiner des élans d’ambition, de création. Qui sommes-nous pour dire aux jeunes réalisateurs et réalisatrices qu’ils n’arriveront pas à mettre en images leur projet ? Au contraire, je défendrai toujours l’enthousiasme et la foi en son propre film. La faisabilité d’un projet n’est vraiment pas un critère à mes yeux car quand l’envie est là, on trouve toujours des solutions. Il faut croire en sa mise en scène. Pas forcément besoin d’une équipe de quarante personnes pour cela pour réaliser une scène d’action. Le pouvoir de la suggestion peut être incroyablement plus fort que l’abondance d’effets pour arriver à ses fins.

Quels conseils donneriez-vous aujourd’hui à un cinéaste émergeant qui souhaite déposer une demande d’aide avant réalisation à la production de film pour le court métrage ?

Soigner sa note d’intention, la rendre la plus personnelle, la plus intime possible en évitant la profusion de références cinématographiques assommantes. Sortir des stéréotypes et débrider sa créativité, épouser une forme de radicalité dans la forme choisie sont à mon sens autant de qualités qui permettra à un projet de se démarquer.

Vous continuez à réaliser des courts métrages (Mimi de Douarnenez en 2023) en plus de vos longs (L’Incroyable femme des neiges en salles prochainement). Qu’est-ce qui vous plaît dans ce format, que vous ne trouvez pas dans le long ?

Le court métrage est un format qui permet de laisser le récit, les personnages en suspension une fois le générique de fin venu. C’est une des grandes qualités de la forme courte ! Je compare souvent le long métrage au roman et le court à la nouvelle. Ce qui me plait avec ce format, c’est de ne pas être obligé de répondre à toutes les questions soulevées au cours de l’histoire. Ce genre d’espace échappe aux contraintes imposées trop souvent par le format long, qui implique notamment une nécessaire résolution de l’intrigue. Le court métrage offre un terrain de liberté formidable, lié également à un financement plus léger – bien que réaliser un film, de quelque format que ce soit, représente tout de même un coût. Il est d’ailleurs de plus en plus difficile de convaincre des techniciens sur des courts car ces projets sont moins rétribués que les longs métrages ou les séries. C’est quelque chose que je déplore totalement et qui m’inquiète. Mais je persiste : c’est en réalisant des courts métrages que j’ai pu expérimenter des gestes de cinéma les plus aventureux, rencontrer des collaborateurs avec qui je continue de travailler dix ou quinze ans plus tard ! C’est grâce à ce format que j’ai pris confiance en moi et que j’ai pu affiner mon regard. Et c’est pour ces raisons qu’aujourd’hui encore, je continue à réaliser des courts. Je viens d’ailleurs de terminer mon tout premier court documentaire (peut-être que le fait de siéger à l’AVR1 et de découvrir plusieurs auteurs documentaires n’est pas étranger à cette première fois !)

Une tentative d’évasion de Sébastien Betbeder Envie de Tempête Productions

Pouvez-vous nous parler de ce projet ?

Il s’agit d’un film de 30 minutes réalisé dans le cadre d’un atelier à la maison centrale de Saint-Martin-de-Ré, avec des personnes détenues. Une initiative portée par le Festival La Rochelle Cinéma (Fema) qui accueille chaque année des cinéastes en résidence pour des projets de courts métrages. Le film s’appelle Une tentative d’évasion et vient d’être sélectionné en compétition nationale au Festival du court-métrage de Clermont-Ferrand . Il a été coproduit par le festival et par Envie de tempête, mon producteur « historique », et réalisé avec un collaborateur à l’image, deux étudiantes de l’Ecole européenne supérieure de l'image (EESI) et le comédien Sébastien Chassagne. On suit Sébastien face à six personnes détenues dont les visages ont été transformés par l’intelligence artificielle. Ces hommes, condamnées pour de longues peines, revivent confrontés à Sébastien des scènes de leur passé, font exister des rêves ou inventent de nouvelles histoires… Ce film qui fut une expérience bouleversante pour moi, prend un sens particulier à l’heure de la montée d’un extrémisme décomplexé et d’une remise en question de toutes les initiatives menées pour donner aux personnes détenues le minimum de dignité auquel elles ont droit. Et c’est grâce à la liberté du format court que j’ai pu le mener à bien !

L'aide avant rÉalisation a la production de films de court mÉtrage

Cette aide est divisée en trois commissions : la commission premiers films (AVR1) s’adresse aux auteur-réalisateurs qui n’ont pas encore réalisé d’œuvre cinématographique ou audiovisuelle dans des conditions professionnelles. La commission autres films (AVR2) s’adresse aux auteur-réalisateurs qui ont déjà réalisé au moins une œuvre cinématographique ou audiovisuelle encadrée par une société de production. La commission audiovisuelle (AVR3) concerne exclusivement les courts métrages préfinancés par un diffuseur TV ou un service de médias audiovisuels à la demande (SMAD). 

Critères d’éligibilité pour prétendre à l’AVR1 :

Pour être éligible à l’AVR1, le projet cinématographique présenté doit être un unitaire d’une durée inférieure à 60 minutes, au stade de la mise en production. Il peut être de tout genre (fiction, documentaire, animation, expérimental…), sur tout support (argentique ou numérique), quelle que soit la langue et le pays de tournage, quelle que soit la nationalité ou le pays de résidence des collaborateurs de création et des prestataires techniques, et sur tout support de diffusion (salle, TV, plateforme numérique).