Cela fait presque dix ans que vous travaillez sur Funan. Comment est né ce premier film ?
Ma mère a survécu au régime des Khmers rouges. Quand je suis sorti des Gobelins, je savais que je voulais raconter son histoire. Je l’ai fait parler. J’ai enquêté, je me suis documenté. J’ai mis neuf ans pour accoucher de ce film. Je pense que ce délai est relativement normal pour de l’animation. Depuis 2009, j’ai mûri en accompagnant ce projet. Il y a d’abord eu l’écriture puis la recherche de financement et enfin la production qui a duré 2 ans.
Comment s’est passée la production ?
J’aurais vraiment voulu travailler avec plus d’artistes français, mais les obligations de coproduction m’en ont empêché. Artistiquement, le niveau français est très haut. Quand on sort des Gobelins, on est habitué à être entouré de techniciens très habiles. C’était un peu frustrant.
Votre film a été présenté dans le cadre du Carrefour de l’animation qui mettait cette année l’accent sur Politique et Animation. Estimez-vous votre film politique ?
Oui, le film parle de la condition humaine lorsque l’histoire nous dépasse. Ce qui m’intéressait à travers lui était de « tirailler » l’humanité, de la pousser vers l’indicible. Je ne voulais pas que les Khmers rouges apparaissent comme les méchants. Il y a un lien charnel que partagent les Khmers rouges et les Cambodgiens. Ils ont été nourris du même riz. C’est un peuple qui s’est déchiré pour une idéologie. La conciliation doit passer par l’acceptation de cette réalité-là. Je vois aussi le film comme un outil de réconciliation surtout pour les gens comme moi, nés en Occident de parents qui ont survécu à ce régime. Pour nous reconnecter à ce passé et peut-être aider à penser ce Cambodge du futur.
Funan s’adresse aux adultes, aussi bien qu’aux plus jeunes…
A qui s’adresse le film ? C’est très dur de répondre à cette question. Malheureusement, très en amont, tout le monde nous la pose, en animation encore plus souvent qu’en prises de vue réelles. Le film a très vite été catalogué en « animation adulte » en raison de son sujet plutôt compliqué et qu’on a peu l’habitude de voir en animation. Je pense que dès qu’on se pose la question, on se bride artistiquement.
Mais vous avez volontairement évacué la violence de votre film…
Oui. Et c’était un choix délibéré de ma part. Je ne voulais pas impressionner les gens. Quand on aborde le sujet des Khmers rouges avec des survivants ou des gens qui ont reçu les témoignages de leurs parents, au bout de trois phrases, on en arrive aux atrocités et on sombre même dans la surenchère. Je ne voulais pas mettre en scène cette surenchère. Je ne voulais pas poser des images choc ou faire du sensationnel. Je voulais rester à échelle humaine, plus dans l’intériorité. Au final, l’environnement de la famille reste hors-champ. Et elle devient ainsi organique : c’est un corps entier qui perd ses membres petit à petit.
Que veut dire Funan ?
C’est le nom que les explorateurs chinois ont donné à cette région qui aujourd’hui constitue le Cambodge. C’est la naissance de cet Etat. Pour moi, ça avait un sens très personnel. Je voulais rapprocher le départ de cette civilisation avec sa probable auto-extinction qui est illustrée dans le contenu du film. Mais je ne l’explique pas parce que je trouve que narrativement c’est toujours intéressant de rester mystérieux sur certaines choses. J’espère qu’il suscitera des questionnements. Pour moi, un film est une porte entrouverte qui invite à aller découvrir autre chose.
Funan sort en salles le 6 mars et a reçu l’avance sur recettes après réalisation, l’aide à la création de musique de film, l’aide au développement de projets de long métrage ainsi que l’aide à la création visuelle ou sonore par l’utilisation des technologies numériques de l’image et du son – CVS du CNC.