Imaginez des étages et des étages de bobines de films, pour certaines, centenaires, conservées précieusement dans des cellules dignes des coffres forts les mieux gardés. Car il s’agit bien d’un trésor unique et inestimable que recèle le fort de Bois d’Arcy. Un trésor à l’abri du temps sur lequel les équipes de la direction du patrimoine veillent comme à la prunelle de leurs yeux.
Pouvoir s’émerveiller aujourd’hui encore devant les œuvres de Georges Méliès, des frères Lumière, de René Clair ou encore d’Agnès Varda, les découvrir sur grand écran, dans une qualité visuelle et sonore optimum… A bien y réfléchir, cela tient de la prouesse !
Réussir ce bel exploit technique nécessite une brigade de choc : chargés d'études documentaire et chargés de restauration, directeur de collection, historiens, conservateurs, documentalistes… réunis autour de leur passion pour le cinéma. Bienvenue au service laboratoire - restauration du CNC : c’est ici que techniciens et experts œuvrent à la restauration photochimique et numérique, en tenant compte des diverses particularités des films anciens : films coloriés au pochoir, formats non standards, supports ou images très endommagés…
L’inventaire et l’identification : un travail d’enquêteur
L’aventure commence par un travail d’inventaire et d’identification, un préalable nécessaire avant toute restauration. Tel un détective privé, le chargé de restauration mène l’enquête pour rassembler l’ensemble du matériel d’origine : négatifs, copies, mais aussi toutes les informations qui pourront aider les équipes à reconstituer le film (dossier de production, journal de tournage, script annoté, contexte historique, équipements utilisés…) afin de retenir les éléments qui permettront la meilleure restauration. En effet, en France, la restauration d’un film se fait en général à partir de l’original et non de la copie. Cette sélection se fait selon des critères physiques (état de la pellicule, longueur ou durée, état des couleurs) et techniques (nature de l’élément).
Le travail de reconstitution nécessite souvent de pister un élément à travers différentes collections dans le monde, chez des particuliers par exemple, de rechercher des bobines à travers des réseaux spécifiques comme les laboratoires, les services d’archives, ou de faire appel aux autres cinémathèques en France comme à l’étranger. Cette collaboration, facilitée par La Fédération internationale des Archives du film (FIAF), permet de retrouver les éléments parfois manquants et de sélectionner les meilleurs éléments pour effectuer la restauration.
C’est ainsi que Salammbô, film français de 1925 réalisé par Pierre Marodon, a pu être restauré grâce au concours du National Film Archive de Londres. Les éléments négatifs existaient en France mais uniquement en 12 bobines de pellicule contenant des indications précises de teintage. Le film a pu être reconstitué en utilisant comme référence une version allemande teintée, retrouvée au National Archive Film (BFI).
Préserver la version originale du film
Si l’état de la pellicule d’origine est jugé suffisamment bon, les équipes procèdent à une restauration photochimique. Les bobines sont étudiées dans le moindre détail afin de déterminer l’état physique de chaque élément. C’est un travail méticuleux et laborieux car il nécessite de réparer des perforations, des déchirures ou de collures qui se sont défaites avec le temps.
Vient l’étape de « l’essuyeuse » : les plus petits défauts du film, comme les poussières ou les moisissures, sont nettoyés pour préparer la pellicule à l’étape suivante du processus argentique : le tirage. Il arrive que certains films, trop abimés pour être traités, imposent une restauration manuelle. La pellicule, qui, avec le temps, a pu se décomposer, est devenue cassante ou poisseuse. Il convient de l’assécher ou de l’assouplir et de l’humidifier au moyen de différents produits. De même, les perforations de la pellicule peuvent être endommagées, en raison d’un passage trop fréquent en tireuse d'époque. Les techniciens opèrent une coulure pour ajouter les perforations manquantes nécessaires au défilement de la pellicule en machine.
Le support, désormais réparé et prêt à être manipulé dans de bonnes conditions, passe au tirage. Cette opération concerne essentiellement les vieux films sur support en nitrate de cellulose, un type de pellicule utilisé jusqu’au début des années 50 dont la particularité est d’être très facilement inflammable.
Priorité aux films en nitrate de cellulose
Si l’on corrige numériquement tout ce qui est venu détériorer l’image (poinçons, rayures, décoloration…), certains « artefacts » sont néanmoins conservés. En effet, le processus de restauration cinématographique implique de préserver une version la plus proche possible de l’original de l’œuvre et impose donc de respecter les techniques de l’époque, comme l’exigent le plan de sauvegarde et de restauration des films anciens mis en place par le ministère de la Culture en 1990 ou le plan de restauration et de numérisation des films du patrimoine.
La pellicule est dupliquée sur un nouveau support (dit « support de sécurité »). L’objectif est de toujours revenir sur de la pellicule argentique après la restauration car il s’agit d’un support bien plus fiable et pérenne que le numérique (la pellicule fabriquée aujourd’hui peut se conserver au moins trois cents ans). En revanche, si un élément est trop fragile pour passer au tirage, on procède à une restauration numérique.
Restauration numérique : scanner et revenir à la pellicule
Lorsqu’un film nécessite une restauration numérique, la bobine originelle, une fois le constat d’état et la réparation faite, est alors scannée en 2K, 4K voire en 8K. Le film apparaît non pas en format vidéo, mais sous la forme d’une suite de fichiers représentant les images à partir desquelles on va travailler. Divers logiciels sont utilisés pour « nettoyer » numériquement l’image (stabiliser les images, étalonner, réparer la déformation d’images, harmoniser les plans pour assurer la cohérence visuelle du film).
Ce travail de restauration de longue haleine est supervisé par un « chargé de restauration ». Il intervient, muni d’une palette graphique, pour venir à bout des défauts les plus importants, comme la reconstitution de parties d’images manquantes ou du son, la suppression des rayures… L’œuvre restaurée passe désormais à « l’imageur », une machine qui « traduit » les fichiers numériques sur la pellicule négative. Ce négatif sert de sauvegarde au film restauré, à partir duquel des copies argentiques peuvent être tirées.
D’ailleurs, si les copies argentiques sont numérisées dans un but d’accessibilité ou de restauration (parmi les 110 000 métrages conservés, plus de 7000 sont déjà disponibles sur poste de consultation numérique), les films actuels tournés en numérique doivent disposer d’une copie en argentique. Celle-ci est à déposer au dépôt légal dans le même objectif de conservation et de sauvegarde.
Ainsi, ces films de patrimoine, qui constituent la mémoire de notre cinéma, connaissent une nouvelle jeunesse et sont désormais prêts à parcourir les festivals, où ils seront projetés dans des conditions optimales.
Pour tout savoir sur la restauration d’un film, nous vous proposons ce mini-reportage réalisé par les équipes du CNC
le mecenat au cnc
La restauration en quelques chiffres
131 ans : c’est l’âge du plus vieux film conservé au CNC.
Il s’agit de Bandes chronophotographiques réalisé en 1888 par Etienne-Jules Marey
15 000 : c’est le nombre de films qui ont été restaurés par le CNC jusqu’à aujourd’hui. A cela s’ajoute 1 100 films restaurés grâce au plan de numérisation et de restauration mis en œuvre en 2012.
70 000 à 90 000 € : c’est le budget moyen pour restaurer un long métrage de 90mn. Ce budget dépend de la longueur et de l’état du matériel.
1 à 9 mois : c’est, en moyenne, le temps nécessaire à la restauration d’un film, à partir du moment où le service laboratoire - restauration dispose de tous les éléments nécessaires à sa restauration. Par exemple, la restauration des Misérables de Fescourt (film de 1925 d’une durée de 6 heures) a demandé neuf mois de travail, le temps qu’il avait fallu à Fescourt en 1925 pour tourner le film.
17 personnes travaillent au laboratoire du CNC.
300 ans : c’est la durée de vie estimée d’une pellicule de film en polyester fabriquée aujourd’hui. A titre de comparaison, la pellicule nitrate, utilisée comme support de film jusqu’en 1953, avait une durée de vie estimée à 70 ans. Or, grâce à une bonne conservation de ces pellicules, le CNC dispose encore des négatifs nitrate des films Lumière tournés en 1895.
Qui décide de la restauration d’un film ?
La restauration d’un film peut être demandé par les ayants droit de l’œuvre, ou par des festivals de cinéma dans le cadre d’une rétrospective ou d’un événement (la commémoration de la Grande Guerre a par exemple motiver la restauration de plusieurs films dans le cadre de cette Commémoration nationale). Elle peut également être décidée par la directrice de collection si l’état d’une bobine est jugée critique ou si le film entre dans un programme de valorisation des collections confiées au CNC.
Ces demandes de restauration doivent être au préalable agrées par la Commission du patrimoine cinématographique qui donne son avis à la direction générale du CNC, laquelle décide des priorités en fonction de critères artistiques, juridiques, techniques et financiers.