Comment vous êtes-vous rencontrées ?
Priscilla Bertin : J’ai découvert le travail d’Agathe grâce à Elsa Rodde, la productrice de son court métrage J’attends Jupiter. Elsa était venue me voir pour qu’on travaille ensemble sur Diamant brut, que je finirai, au fil des années, par produire seule. Devant J’attends Jupiter, j’ai été frappée par le style d’Agathe, une proposition vraiment singulière dans l’univers du cinéma français.
Agathe Riedinger : En réalisant ce court, j’avais déjà le désir d’enchaîner avec un long métrage. Aussi, lorsque j’ai rencontré Priscilla, j’avais déjà commencé à développer le projet de Diamant brut, avec un début de synopsis et quelques notes. Elsa voulait une coproduction et elle m’avait proposé Silex Films. Je connaissais bien et appréciais leur travail. Une fois que Silex a rejoint le projet, le processus d’écriture a été très long. On est passé par de nombreuses versions avant d’arriver aux vraies prémices de Diamant brut. Un processus logique avec un tel sujet, car il fallait trouver le bon axe pour être en empathie avec mon personnage principal, cette jeune femme de 19 ans, Liane, obsédée par la beauté et le besoin de devenir quelqu’un, qui voit en la téléréalité la possibilité d’être aimée. Il était essentiel que je parvienne à transmettre tout l'amour que je sens pour cet univers, pour cette candidate, pour sa perception de la beauté. Ce sont autant de choses qui me paraissaient très évidentes, mais j'ai eu du mal à considérer qu'elles ne le seraient pas nécessairement pour les autres.
PB : Il fallait aussi trouver la bonne distance pour regarder Liane. Ça a été l’une des grandes évolutions par rapport à J’attends Jupiter.
AR : Dès le départ, je voulais traiter le même sujet, mais de manière opposée à J’attends Jupiter en termes de mise en scène, et par ricochet de sensations et d’expérience des spectateurs par rapport à mon héroïne. Mon court avait connu un accueil assez enthousiaste et fulgurant. Mais sur un long, les enjeux n’étaient absolument pas les mêmes. Pour qu’il existe, il fallait éduquer les premiers lecteurs du projet au bien-fondé du sujet.
PB : Entre le moment où on a commencé à développer le long métrage avec Agathe et aujourd’hui, le regard sur le monde de la téléréalité a totalement changé. Au départ, quand j’en parlais, on me regardait bizarrement. Depuis, il y a eu d’autres approches, d’autres envies de compréhension du public et de la société. Le timing nous a donc été favorable.
AR : 2024 symbolise parfaitement ce que tu dis. L’univers de la téléréalité est partout, entre la sortie de Diamant brut, la série Culte, mais aussi le livre de Constance Vilanova, Vivre pour les caméras, le roman graphique de Stella Lory et Tilila Relmani, Éloge de la surface, dans les profondeurs de la téléréalité et l’adaptation en série du livre de Delphine de Vigan, Les enfants sont rois. C’est comme si on avait soulevé un couvercle !
Pourquoi cet univers de la téléréalité et de ses participantes vous a tant attiré ?
AR : L’attrait n’a pas été immédiat. Quand j’ai commencé à regarder de la téléréalité, je n’avais évidemment pas ce recul. Mais à force d’être perçue de manière un peu méprisante par mon entourage quand je leur confiais que je visionnais ce type de programmes, j’ai commencé à m’interroger. Pourquoi étais-je sidérée par ce que je voyais ? Le déclic a eu lieu le jour où j’ai découvert un documentaire sur les « cocottes », qui expliquait la trajectoire de ces courtisanes, la manière dont elles ont bouleversé les codes de la beauté, de la mode, de l’hygiène… et comment elles ont mis à leurs pieds les plus grands hommes d’Europe en instrumentalisant leur beauté. J’y ai vu un parallèle évident avec ce qui m’intéresse dans la téléréalité : ce renversement de situation, la manière dont des jeunes femmes issues de milieux modestes et populaires, qui subissent déjà différentes formes de violence, d’abandon et de mépris, arrivent à renverser les choses et à s’imposer. C’est à partir de là que j’ai vraiment commencé à changer de regard sur la téléréalité et à mettre en confrontation le système qui la fabrique – extrêmement violent dans sa conception et dans les valeurs véhiculées que j’ai à cœur de dénoncer – et cet élan d’émancipation des candidates contre la domination patriarcale. Tout cela est devenu obsessionnel chez moi, en empathie avec ces jeunes femmes qui subissaient beaucoup de mépris et de violence, et dont au fond tout le monde ou presque se fichait. Elles me touchaient et je ressentais comme une rage dans ce désir de leur redonner cette dignité qu’elles méritaient.
Priscilla, comment s’est monté financièrement ce film porté par une actrice non professionnelle et donc non identifiable pour les potentiels investisseurs ?
PB : Je n’avais encore jamais produit un film avec un casting sauvage. C’était donc un saut dans l’inconnu. Mais j’ai pu m’appuyer à la fois sur la très grande qualité du scénario et du moodboard qui l’accompagnait. Agathe vient des Arts décoratifs et elle a cette capacité rare à traduire très précisément en images ses intentions en termes de costumes, de maquillage, de décors… Tout cela nous a permis d’obtenir l’Avance sur recettes du premier coup, de voir Pyramide nous suivre très rapidement pour distribuer le film en France et se charger des ventes internationales. On a obtenu des financements avant même d’avoir trouvé notre interprète principale, Malou Khebizi, grâce à un fort intérêt pour un sujet alors assez inédit au cinéma et à la manière dont Agathe s’en emparait. Canal+ nous a suivies ainsi que France 2, qui s’engage pourtant rarement sur des films sans casting identifié. Enfin, le scénario ayant depuis le départ été pensé pour que le récit se déroule dans le sud de la France, la région PACA et le département du Var ont accepté de nous soutenir. Une chance ! Si le travail d’écriture a été long, celui du financement a été plutôt rapide, sans doute aidé par les précédents films produits par Silex et la cohérence entre eux et ce projet.
Agathe, comment avez-vous construit cet univers que vous aviez couché sur le papier avec votre directeur de la photographie Noé Bach (Les Amours d’Anaïs, Little Girl Blue…) ?
AR : J’ai eu très tôt le désir de travailler avec Noé dont j’adorais le travail. Nous nous sommes rencontrés très en amont et avons été d’emblée sur la même longueur d’onde. Il partageait mon envie d’une certaine radicalité. Nos références, allant de la peinture religieuse aux photos de mode en passant par des vidéos TikTok, étaient les mêmes. Il y avait cette volonté commune de lâcher les chevaux, d’épouser avec nos images les pulsations de Liane en poussant les curseurs au maximum tout en se faisant plaisir. Nous avons passé beaucoup de temps à lire et relire le scénario, à découper le film en amont. Diamant brut est un film qui questionne la notion de beauté en passant par l’artificiel, le superficiel et ce que certains jugent comme du mauvais goût. Il y avait quelque chose de jubilatoire à réinterroger ainsi la beauté à partir d’une matière très libre. C’était un peu la cour de récréation visuelle, mais avec un travail très précis autour de notre intention de mettre en parallèle un espace documentaire dans la prise de vues ou le jeu des comédiens et des passages beaucoup plus picturaux, beaucoup plus stylisés où on allait chercher en permanence l’accident, l’imperfection.
PB : Noé et Agathe étaient vraiment en fusion sur le plateau !
Diamant brut s’est-il beaucoup réécrit au montage ?
PB : Ce fut un processus assez long et angoissant. C’est toujours un moment où les réalisateurs arrivent fatigués, dans la foulée du tournage, et donc avec une grande fragilité.
AR : Ce qui est très angoissant, c’est qu’il faut faire avec ce qu’on a, sans possibilité de nouvelles prises. On est sans filet face à la matière qu’il faut transcender comme si on cherchait une aiguille dans une botte de foin. Idem pour la création de la musique. Tout cela passe donc par beaucoup de doutes pour trouver cette grâce.
PB : On a pris le temps de passer par plusieurs phases avant que l’évidence surgisse.
Quel a été l’impact de Cannes sur la vie du film ?
PB : Nous avions fini le film en temps et en heure, et l’avions envoyé tôt aux différents comités de sélection qui nous ont fait part de leur réel intérêt. J’avais donc la sensation qu’on serait présentes au Festival de Cannes mais à aucun moment, je n’avais anticipé l’appel de Thierry Frémaux, la veille de l’annonce de la sélection officielle, nous informant qu’on était en compétition !
AR : Je n’avais jamais ressenti une telle émotion ! J’étais fière d’amener ce sujet, cette héroïne, cette beauté singulière dans le temple cannois. Ça prouve aussi que les regards ont changé. Sur place, c’était aussi exaltant que source de stress. Il y a des codes à apprendre pour devenir l’ambassadrice de son film. Mais cette sélection a donné au film une estampille de qualité et de sérieux qui change tout.
PB : Comme personne n’attendait ce film en compétition officielle, les regards se sont braqués sur lui, en France comme à l’international, dès le lendemain de l’annonce de Thierry Frémaux. Certaines acquisitions ont même eu lieu avant la première projection ! Une sélection en compétition change tout et, depuis, Diamant brut n’a cessé de voyager de festival en festival. C’est amusant d’ailleurs de voir comment évolue l’intérêt pour le film en fonction du regard que certains pays portent sur la femme et la manière dont elle y est considérée. Ça apparaît ainsi plus compliqué en Asie ou dans les pays arabes…
AR : Ce qui me frappe, c’est que, même si elles sont formulées différemment, les questions à l’issue des projections sont les mêmes en France, en Corée du Sud ou aux États-Unis ! Ça m’a permis de constater l’universalité du film.
PB : Au fond, cette Liane existe dans tous les pays !
DIAMANT BRUT
Réalisation et scénario : Agathe Riedinger
Photographie : Noé Bach
Montage : Lila Desiles
Musique : Audrey Ismaël
Production : Silex Films, Germaine Films
Distribution : Pyramide Distribution
Ventes internationales : Pyramide International
Sortie le 20 novembre 2024
Soutiens du CNC : Aide à la création de musiques originales, Avance sur recettes avant réalisation, Aide au développement d’œuvres cinématographiques de longue durée, Aide à l'édition en vidéo physique