« Disco Boy » vu par sa directrice de la photo Hélène Louvart

« Disco Boy » vu par sa directrice de la photo Hélène Louvart

09 mai 2023
Cinéma
Franz Rogowski dans « Disco Boy ».
Franz Rogowski dans « Disco Boy ». Films Grand Huit

La directrice de la photographie attitrée d’Alice Rohrwacher, collaboratrice de Sandrine Veysset, Nicolas Klotz ou encore de Jacques Doillon, a accompagné Giacomo Abbruzzese tout au long de l’aventure de son premier long métrage, Disco Boy. Elle nous en raconte les coulisses.


Comment se fait votre arrivée sur Disco Boy ?

Hélène Louvart : On se connaît depuis un petit moment avec Giacomo [Abbruzzese] car il m’avait plusieurs fois proposé de signer la lumière de ses différents courts métrages, mais je n’avais jamais pu me rendre disponible. Dès qu’il a eu en tête l’idée de ce premier long, il m’a appelée. Je l’accompagne donc sur ce projet depuis le début, avant même qu’il ne connaisse des changements de producteur et finisse par se concrétiser. Les choses ont pris beaucoup plus de temps que prévu et le projet a subi de nombreuses modifications, mais on n’a jamais cessé d’échanger, que ce soit pour discuter autour du scénario ou pour parler du découpage du film. Travailler ensemble tout au long du processus nous a permis de nous adapter sans perdre de temps, de prendre des décisions artistiques cohérentes et faisables avec les moyens dont Giacomo allait finalement disposer sans nous perdre dans les méandres d’un film irréalisable. On s’est beaucoup creusé la tête mais c’est ainsi qu’ont pu naître des partis pris forts.

Disco Boy met en scène un homme qui quitte sa Biélorussie natale pour Paris, s’engage dans la Légion étrangère, va combattre au Niger des révolutionnaires en lutte contre les compagnies pétrolières qui détruisent la région. Dans le feu de l’action, il tue l’un d’eux – qui rêvait de devenir danseur – et soudain leurs deux âmes ne font plus qu’une. Il s’agit donc tout à la fois d’un film d’exil, de guerre et de transe. Comment Giacomo Abbruzzese vous l’a-t-il présenté ?

De manière extrêmement limpide. Pour lui, Disco Boy raconte le parcours, inspiré par une histoire vraie, d’un homme qui arrive en France, s’inscrit dans la Légion et voit sa vie basculer – vers quelque chose de totalement onirique – après avoir tué une personne. Dans la « vraie » vie, l’homme en question est réellement devenu danseur. Ce fil conducteur a toujours été présent et n’a jamais varié. À un élément près. Giacomo tenait à tourner au Niger afin de montrer un pays dévasté à cause du pillage des compagnies pétrolières, mais on a évidemment dû y renoncer à cause du trop grand danger que cela représentait.

Au départ, Giacomo voulait tourner en pellicule 35 mm. Les moyens financiers l’ont forcé à passer au digital. Au lieu de se lamenter, on a tout de suite cherché à composer une texture d’images qui, certes, ne sera jamais celle de la pellicule, mais sera capable de créer une atmosphère en phase avec le récit.

Comment commencez-vous à travailler concrètement avec lui ?

Comme avec chaque réalisateur ou presque avec qui je travaille, je commence par parler du sujet, du scénario. Puis je suis présente aux côtés de Giacomo à chaque fois qu’il écrit une nouvelle version, et ce jusqu’au tournage, afin de faire un découpage approfondi pour bien comprendre les enjeux essentiels qu’il souhaite développer et réduire le récit en prenant soin de conserver l’essentiel. Cela passe par des choses très concrètes. Je vous donne un exemple. Au départ, Giacomo voulait tourner en pellicule 35 mm. Les moyens financiers l’ont forcé à passer au digital. Au lieu de se lamenter, on a tout de suite cherché à composer une texture d’images qui, certes, ne sera jamais celle de la pellicule, mais sera capable de créer une atmosphère en phase avec le récit. Même chose pour les scènes de nuit qui peuplent le scénario. Là encore, nous n’avions pas les moyens financiers et techniques d’en tourner autant que prévu. Alors on a décidé en amont d’en remplacer certaines par des nuits américaines. Ce qui a entraîné le film vers quelque chose de plus poétique et moins réaliste que prévu. Ce qui épousait encore mieux le parcours de ce soldat !

 

 

Vos échanges passent-ils aussi par des références de films ?

Oui, mais au fond, je fonctionne assez peu de cette manière-là. Giacomo et moi sommes de grands cinéphiles, nous sommes imprégnés de milliers d’images. Mais quand on se lance dans un film, il faut éviter les références trop précises. Ici, on a simplement échangé autour de nuits américaines qui nous avaient plu dans différents films mais c’est à peu près tout. Et c’est tant mieux :

Quel a été votre plus grand plaisir en tant que directrice de la photographie dans cette aventure ?

Sans aucun doute les séquences de la boîte de nuit dans une église, bien entendu désacralisée. Pour Giacomo, il était essentiel que ces scènes ne se déroulent pas dans une banale discothèque. Avant même de trouver le lieu, on avait établi ensemble des codes couleur et lumière qu’on a essayé de respecter. Le passage de ce qu’on avait imaginé sur le papier au concret s’est révélé passionnant. Cela a été une vraie gageure. Il fallait jouer avec les volumes, les vitraux… En apparence, ça semblait totalement infaisable et le fait d’y être parvenu fut une immense satisfaction. Mais je pourrais aussi citer la création des scènes censées se dérouler en extérieurs au Niger en mêlant à l’écran des moments tournés à l’île de la Réunion et dans une forêt près de Cergy sans jamais perdre la cohérence à l’écran et en donnant le sentiment que tout se déroule bien en Afrique ! De ces contraintes, là encore, on a fait un vrai amusement et j’ai le sentiment qu’à la fin les gens y croient.

Giacomo et moi sommes de grands cinéphiles, nous sommes imprégnés de milliers d’images. Mais quand on se lance dans un film, il faut éviter les références trop précises […] L’essentiel est de créer son propre univers.

Signer la lumière de ce film, c’est aussi éclairer le travail de l’acteur principal, Franz Rogowski. Qu’avez-vous aimé dans votre collaboration ?

J’avais failli travailler avec lui sur d’autres projets où des soucis de calendrier avaient finalement rendu la chose impossible. Giacomo tenait absolument à Franz et il a adapté son calendrier de tournage à ses obligations. Tout cela a donc été un peu compliqué à mettre en place. Mais ensuite, j’ai été fascinée par l’investissement total de Franz. La manière dont il réfléchit sans cesse à son personnage, à la construction de celui-ci dans des échanges tant avec Giacomo qu’avec moi. Sur la manière de le jouer bien sûr, mais aussi sur la façon dont lui et ses partenaires allaient être éclairés et filmés. Ses questions toujours pertinentes nous ont permis à Giacomo et moi de préciser en amont énormément de choses, de ne pas les laisser en suspens pour le jour de leur tournage. Il n’était pas question d’à peu près. Franz voulait par exemple savoir très tôt les scènes nocturnes qui seraient tournées en nuit américaine pour s’y préparer et adapter sa composition afin que son interprétation reste la même en dépit du changement d’environnement.

Qu’est-ce qui constitue la spécificité de Giacomo Abbruzzese à vos yeux ?

Sa persévérance. Durant toutes ces années, il n’a rien lâché et il a su garder intact son désir pour son film, alors qu’il a vécu de grands moments de solitude et traversé plusieurs phases où l’existence même du projet se retrouvait mise en cause. Il a parfaitement su intégrer les changements indispensables au financement du film pour rester au plus proche de ses désirs, sans se perdre dans les regrets. Il a toujours eu en tête le film qu’il tournait et non le film qu’il n’avait plus les moyens de faire.

DISCO BOY

Disco Boy

Réalisation et scénario : Giacomo Abbruzzese
Photographie : Hélène Louvart
Montage : Giacomo Abbruzzese
Musique : Vitalic
Production : Films Grand Huit, Panache Productions, Donten & Lacroix Films, Dugong Productions
Distribution : KMBO
Ventes internationales : Charades
Sortie en salles le 3 mai 2023

Soutiens du CNC : aide au développement de la coproduction d’oeuvres franco-italiennes 2013, aide à la coproduction franco-italienne 2020, avance sur recettes avant réalisation, aide sélective aux effets visuels numériques, aide sélective à la distribution (aide au programme 2023)