« J’ai eu une seule vie avec des chemins de traverse. J’ai du mal à en faire le bilan, je la trouve irrégulière », expliquait, en 2013, Frédéric Mitterrand sur l’antenne de France Culture. Une façon de confier aux autres le soin de construire des ponts entre tous ses sauts vers l’inconnu. Frédéric Mitterrand est mort à l’âge de 76 ans d’un cancer contre lequel il se battait depuis plus d’un an.
Pour beaucoup, Frédéric Mitterrand était une voix. De celle qu’on reconnaît immédiatement et dont on se demande à partir de quel moment elle a fini par devenir une coquetterie d’auteur. À la télévision, à la radio, Frédéric Mitterrand racontait la vie des grands de ce monde (Étoiles et toiles, Acteur Studio, Destins…) avec l’emphase généreuse.
Au nom de la culture…
Travailleur acharné, amoureux des arts et des artistes, Frédéric Mitterrand défendait la culture avec ferveur, tour à tour exploitant de cinéma, animateur et producteur de télévision, réalisateur de documentaires et de fictions, écrivain, directeur de la Villa Médicis, président de l’avance sur recettes du CNC entre 2000 et 2002, ministre de la Culture…
La culture était bien au centre de sa vie. La littérature forcément, le cinéma éperdument. Il s’est ainsi retrouvé à jouer les comédiens face à Michèle Morgan et Bourvil dans Fortunat (Alex Joffé, 1960) sous un nom d’emprunt, Frédéric Robert. Il avait 12 ans. Petit être au milieu des deux légendes. Dans sa filmographie d’acteur adulte, on retrouve des rôles chez Pierre Grimblat (Dites-le avec des fleurs, 1974), Eduardo de Gregorio (La Mémoire courte, 1979) ou encore Jacques Rivette (Merry-Go-Round, 1981).
Frédéric Mitterrand était un infatigable passeur. Entre 1971 et 1986, il fut ainsi le directeur de trois salles art et essai, toutes sises dans le 14e arrondissement de Paris. Exigeant et visionnaire, il aura accompagné des cinéastes « amis » tels Rainer Werner Fassbinder, Paul Morrissey ou encore Agnès Varda, mais aussi des réalisateurs dont la réputation restait encore à établir en Occident. Ce sera le cas notamment de deux maîtres japonais, Akira Kurosawa et Kenji Mizoguchi.
Du septième art…
Il y a aussi Frédéric Mitterrand cinéaste. Celui qui dans les pas de Marguerite Duras, qu’il admire, signe son premier long métrage en 1982, Lettres d’amour en Somalie. Il emprunte à l’auteure d’India Song ce goût pour les correspondances et les dissonances entre les images et les sons. De sa voix volontairement monocorde, ces Lettres juxtaposent l’intime et la visée documentaire, et inversement. « … Et moi, sans lien ni lieu désormais, qui ai l’impression de marcher aussi longtemps qu’eux… » « Eux », ces habitants d’une Somalie aux prises avec la dictature et la famine, renvoient au « moi » solitaire, et cette peur de ne pas donner assez de lui-même. Les derniers mots du film disent ceci : « Et tandis que je m’éloignerai, sans l’espoir d’un retour, je te volerai une seconde fois encore. Je t’enlèverai jusqu’à l’idée que tu gardais de moi. Et si par hasard on se rencontre un jour, plus tard, j’aurai avec moi toutes ces images de notre jeunesse et je me refuserai à te les rendre, à toi qui auras tant vieilli et qui s’interrogeras encore. Regarde-moi : je te rends à l’innocence. Apprends son autre nom : la solitude. »
L’autre point saillant du cinéaste est sa transposition de l’opéra Madame Butterfly de Giacomo Puccini en 1995. Un projet rendu possible grâce au producteur Daniel Toscan du Plantier et dont la critique de l’époque souligna la grâce et le lyrisme.
Et des beautés de l’art
Devant, derrière la caméra et tout autour. Frédéric Mitterrand est nommé ministre de la Culture sous la présidence de Nicolas Sarkozy entre 2009 et 2012 avec comme point d’orgue la loi HADOPI 2, visant la protection de la propriété littéraire et artistique sur internet. L’homme aura sans cesse cherché à servir toutes les beautés de la création intellectuelle et du savoir. Frédéric Mitterrand, éternel romantique fuyant le cynisme, homme ancré dans le présent tout en charriant les fantômes du passé. Une existence dynamique avec les habits de l’intemporalité.