Né à Paris en 1932 d’un père industriel et d’une mère couturière, Jean-Pierre Marielle grandit en Bourgogne. Il découvre le théâtre au lycée, où il monte quelques pièces de Tchekhov avec ses camarades. Encouragé par son professeur de lettres à devenir comédien, Jean-Pierre Marielle est reçu au Conservatoire national supérieur d’art dramatique de Paris. Il y rencontre Jean-Paul Belmondo et Jean Rochefort, « l’ami de toute une vie ». C’est le début de la « bande du Conservatoire », rejointe par Claude Rich, Bruno Cremer, Pierre Vernier, Annie Girardot… « Il y a des années de groupes de comédiens, comme des années de peintre, de musiciens, c’est comme les années à prunes, comme le pinard. C’est comme ça » résume-t-il pour évoquer cette éclosion de talents. Tous ont une vingtaine d’années et l'envie de bousculer les vieilles traditions d'une école qu'ils jugent alors quelque peu poussiéreuse. Jean-Pierre Marielle en sort tout de même en 1954 avec le second prix de comédie classique.
« J’ai toujours aimé les auteurs un peu particulier »
Il intègre la Compagnie Grénier-Hussenot – le théâtre restera, tout au long de sa carrière, son premier amour -, enregistre des sketches pour la télévision, fait du cabaret avec Guy Bedos et quelques apparitions sur grand écran. Au début des années 1960, sa silhouette déliée (près d’1m90) et son phrasé emphatique s’imposent peu à peu dans le paysage cinématographique : il donne la réplique à Louis de Funès dans Faites sauter la banque (1964) de Jean Girault, joue avec l’ami Belmondo dans Week-end à Zuydcoote (1964) d’Henri Verneuil et tourne face à Yves Montand dans Le Diable par la queue (1969) de Philippe de Broca.
La décennie suivante révèle l’étendue de son talent, dans la comédie comme le drame. Dentiste vicieux fort en gueule dans Sex-shop (1972) de Claude Berri, marquis dissident dans Que la fête commence (1975), film d’époque de Bertrand Tavernier où il retrouve ses comparses Rochefort et Noiret, le voici gynécologue misogyne dans Calmos (1976) de Bertrand Blier, « un véritable auteur, qui a cet humour si particulier, un ton, et une façon de filmer splendide. Je me souviens avoir été enchanté à la lecture du scénario, parce que j’ai toujours aimé les auteurs un peu particuliers. Calmos est l’un des films les plus dingues que j’ai fait » racontait l’acteur dans une interview au Figaro en 2010.
« Des personnages synonymes de voyage »
Il se laisse ainsi porter au gré de ses rencontres et des envies, révèle ne pas avoir toujours lu les scénarios des films dans lesquels il a joué, et définit le jeu comme une façon de « s'inventer un destin ». Voilà pourquoi il « éprouve de la compassion pour les personnages qu'il doit interpréter, des personnages synonymes de voyage » écrit-t-il dans son autobiographie Le Grand n'importe quoi (éditions Calmann-Lévy, 2010).
Derrière cette fausse nonchalance, un insatiable appétit pour le jeu. Si Jean-Pierre Marielle aime se frotter à la caricature, vouant une affection particulière pour les personnages facétieux, l’acteur apprend à affûter son jeu, à nuancer ses participations en composant des rôles plus en retenue.
Les Galettes de Pont-Aven
Lorsque le réalisateur Joël Séria lui confie le personnage d’Henri Serrin, le représentant en parapluie désabusé des Galettes de Pont-Aven (1975), l’acteur surprend, insufflant à son personnage un savoureux mélange de candeur et de cynisme. Sa prestation lui vaut d’ailleurs sa première nomination au César du meilleur acteur – il obtiendra au cours de sa carrière sept nominations, mais ne remportera aucune statuette. Peu importe tant que le plaisir du jeu reste intact. Comme il aime à le rappeler : « L'important, c'est devant la caméra. C'est servir un auteur, en découvrir un nouveau. »
Les expériences cinématographiques se multiplient et Marielle l’insatiable s’essaie à tous les métiers, enfile tous les costumes, habite chacun de ses personnages avec une facilité déconcertante. Il dévoile alors, dans ses rôles les plus sombres, une extrême sensibilité. « Pour un acteur, ce n'est pas très intéressant de jouer un type sympa. L'instabilité, le trouble sont beaucoup plus riches. » explique-t-il.
Il retrouve Bertrand Tavernier dans Coup de torchon (1981), où il campe un proxénète et son frère militaire, interprète un directeur de magasin aux pratiques douteuses dans Quelques jours avec moi (1988) de Claude Sautet ou encore un ingénieur, rongé par le remords durant la Seconde Guerre mondiale, dans Uranus (1990) de Claude Berri.
Tous les matins du monde
En 1991, Alain Corneau lui offre l’un de ses plus grands rôles : celui de Monsieur de Sainte-Colombe, l’austère maître de la viole de gambe de Tous les matins du monde, dans lequel l’acteur livre une interprétation tout en intériorité, révélant rigueur et puissance de jeu. Le film remporte sept césars et séduit plus de 2 millions de spectateurs en salles. L’acteur se souvient : « Ce film m’a offert l’un de mes souvenirs les plus chers. Je ne pensais pas être l’homme de la situation, c’est lui (Alain Corneau) qui m’a convaincu que la gravité de Sainte-Colombe me siérait, insistant sur la place centrale de la musique. On se croisait de temps à autre à des concerts de jazz, et je ne peux qu’accorder ma confiance à un cinéaste qui va écouter Ornette Coleman au lieu d’écumer les dîners mondains. Je pense souvent à ce tournage, il était de ceux qui rendent ce métier digne d’être fait ».
Curieux, excessif, inattendu, Marielle cultive son goût pour l’éclectisme, lorgnant aussi bien du côté des planches, du grand écran ou de la petite lucarne. « On attend toujours le rôle qui va faire de vous quelque chose que vous n’imaginez pas, même dans vos plus chers désirs » livre-t-il dans son autobiographie.
L’éclat et la sobriété
A la télévision, il travaille avec Claude Barma (La Nuit des rois, adaptée de la pièce de William Shakespeare), Marcel Bluwal (Clérambard), Bernard Stora (Six crimes sans assassin), Josée Dayan (Bouquet final, ou, plus récemment, Capitaine Marleau), ou encore Jean-Daniel Verhaeghe pour qui il interprète un Bartolomé de Las Casas tout en panache dans La Controverse de Valladolid. L’acteur s’y révèle magistral dans cette formidable joute oratoire (le scénario est signé Jean-Claude Carrière) face à Jean-Louis Trintignant et Marcel Carné.
Prêtre humaniste, dandy superbe ou bourru fantasque, l’acteur s’illustre avec aisance dans tous les registres cinématographiques. Il reforme avec Philippe Noiret et Jean Rochefort, les compères de toujours, un trio inoubliable dans Les Grands Ducs (1996), fantaisie burlesque orchestrée par Patrice Leconte. En 1999, c’est à Jacques Villeret et à André Dussolier qu’il donne la réplique dans Les Acteurs de Bertrand Blier.
De nouveau salué pour sa prestation d’une sobriété saisissante dans Les Âmes grises (2005) d’Yves Angelo, Jean-Pierre Marielle s’affiche, espiègle, aux côtés de Tom Hanks et Audrey Tautou dans l’adaptation tant attendue du best-seller Da Vinci Code de Ron Howard (2006). Se faisant de plus en plus rare, il prête une dernière fois sa voix au personnage de l’homme au visage cassé dans Phantom Boy (2015), le film d’animation d’Alain Gagnol et Jean-Loup Feliciol.
A travers sa filmographie riche d’une centaine d’œuvre et autant de personnages hauts en couleur, Jean-Pierre Marielle était tout et son contraire, incarnant l’extravagance et la retenue, l’éclat et la sobriété, le raffinement et la bonhomie. Le dernier des « Grands ducs » a tiré sa révérence. Chapeau l’artiste.
Jean-Pierre Marielle en quelques films, disponibles en vàd :
Que la fête commence (1975) de Bertrand Tavernier
A la mort de Louis XIV, le neveu de ce dernier, le duc Philippe d'Orléans, assure la régence jusqu'à la majorité de Louis XV. Toutefois, le duc est un homme des plus débauchés qui se laisse influencer par les mauvais conseils de l'abbé Dubois. Menée par le marquis de Pontcallec, une rébellion bretonne se prépare pour renverser le régent.
Les Galettes de Pont-Aven (1975) de Joël Séria
Henri Serin, un représentant en parapluie, mène une vie tranquille entre son travail, sa famille et sa peinture. Henri s'octroie, durant ses nombreux déplacements professionnels, quelques frasques amoureuses qui le changent du quotidien lassant dans lequel sa femme l'enferme.
Un beau jour, Henri décide de tout laisser tomber pour vivre de sa peinture et échoue à Pont-Aven.
Quelques jours avec moi (1988) de Claude Sautet
Le rejeton d'une famille dirigeant une grande chaîne de magasins, Martial, sort d'une cure de repos pour dépression. Pour le ré-acclimater à la vie active, on lui propose une mission anodine : faire la tournée de quelques succursales de province et contrôler les livres de comptes. Première étape, Limoges où Martial retrouve sa passion pour les chiffres et découvre des anomalies dans les livres du directeur Fonfrin. Il feint de croire aux explications du directeur et se fait inviter le soir même dans la famille de ce dernier.
Uranus (1990) de Claude Berri
1945. Dans une petite ville de France, la paix s'installe. Une famille héberge plusieurs sinistrés dont les maisons ont été détruites pendant les bombardements. Dans cette promiscuité, certaines personnalités vont se révéler à l'heure des règlements de comptes.
Tous les matins du monde (1991) d'Alain Corneau
A la fin de sa vie, Marin Marais, prestigieux violiste de Louis XIV, se souvient de son apprentissage avec Monsieur de Sainte Colombe, grand maître de la viole de gambe. Professeur austère et intransigeant, ce dernier ne va pas de main morte avec son jeune élève ainsi que ses deux filles. Suite au décès de sa femme, le virtuose a recherché en vain une perfection absolue dans son art.
Max et Jérémie (1992) de Claire Devers
Tueur à la retraite, Max se lie d'amitié avec Jérémie, un petit voyou ambitieux. Ce dernier, comme premier contrat, a pour mission d'éliminer le vieil homme. Mais une tendre complicité naît entre les deux tueurs.
Les Âmes grises (2005) d'Yves Angelo
Durant l'hiver 1917, le meurtre d'une fillette met en émoi un paisible village situé non loin de la ligne de front. Plusieurs notables sont soupçonnés du crime.