Né le 18 juillet 1937 au Havre, Vincent Pinel (1937-2024) est happé très tôt par le virus du cinéma. La rencontre avec le septième art se fait au début des années 1950, tandis qu’il est encore scolarisé au lycée François 1er du Havre. Le lycéen rejoint le ciné-club de l’établissement, lancé quelques années auparavant par son professeur d’anglais, Jean-François Giustiniani. L’équipe dispose de peu de moyens et fait appel à la bonne volonté de l’Office régional du cinéma des œuvres laïques de Caen qui leur prête des copies de films. Vincent Pinel se prend de passion pour ce nouveau langage, ses techniques et ses esthétiques. « Nous étions à l’articulation des années quarante et cinquante. La télévision était à ses balbutiements et ne diffusait pas encore de films. Les reprises de grands classiques étaient rares, pour ne pas dire inexistantes, sinon dans quelques ciné-clubs à l’activité souvent sporadique et à la Cinémathèque française qui du fond de notre province semblait bien lointaine », se remémore-t-il, par ailleurs, des années plus tard.
Cinéma de terrain
L’apprenti cinéaste continue ses études à l’Institut des hautes études cinématographiques (IDHEC, devenu depuis la Fémis). Il tourne son premier film en 1957, un court métrage de 11 minutes, intitulé Le Château sous la pluie. Suivent une demi-douzaine de films, dont Vues d’ici, l’histoire d’une Havraise, Annie, qui cherche à briser sa condition de mère au foyer. Sélectionné au festival de Cannes en 1978, le film est coréalisé avec Christian Zarifian, qu’il rencontre au Havre des années plus tôt, au mitan de la décennie 1960. À l’époque, Vincent Pinel a la trentaine et défend la nécessité de décentraliser l’accès à la culture dont fait partie intégrante le septième art. Il rejoint la Maison de la culture du Havre – la première de France –, créée en 1961 par André Malraux, ministre des Affaires culturelles. Cinéaste militant et de terrain, engagé à la SNETAS-CGT (l’ancêtre de la CGT culture), il met bientôt à exécution son idéal de décentralisation culturelle en cofondant l’Unité cinéma de la Maison de la culture avec Christian Zarifian. Ensemble, ils y réalisent des films et animent nombre de projections riches de leur expérience dans le métier. Le duo programme les œuvres les plus novatrices et exigeantes. Par la suite, Vincent Pinel prend la tête de la Maison de la culture qu’il dirige pendant plus d’une dizaine d’années jusqu’en 1982. Sous sa direction, la structure s’illustre comme un lieu d’effervescence culturelle et cinématographique à part entière.
Partager et diffuser
Au début des années 1980, Vincent Pinel crée l’association française de recherche sur l’histoire du cinéma (AFRHC), aux côtés des historiens et critiques Jean-Antoine Gili et Jean-Pierre Jeancolas. L’ambition est à la fois d’en faire un pôle d’échanges entre spécialistes et d’offrir un coup de projecteur sur le travail de recherche mené dans ce domaine. L’AFRHC édite plusieurs publications, dont la revue trimestrielle 1895, qui fête par ailleurs son 100e numéro ce mois de janvier 2024. En parallèle, Vincent Pinel enseigne à la Sorbonne Nouvelle où il forme les étudiants aux techniques et au travail d’archive. C’est à cette période qu’il rejoint la Cinémathèque française en tant que conservateur. Il y officie pendant près de dix ans, dirigeant l’inventaire des collections et les travaux de restauration, notamment des films muets, en infatigable passeur qu’il était.
Son goût pour la transmission s’incarne aussi par l’écriture. Vincent Pinel a publié de nombreux ouvrages sur le cinéma (Introduction aux ciné-clubs en 1964 ; Louis Lumière, inventeur et cinéaste en 1994 ou la même année encore, Le Siècle du cinéma pour lequel il remporte le prix Simone Genevois). Son Dictionnaire technique du cinéma, coécrit en 2008 avec son fils Christophe, monteur attitré d’Albert Dupontel, fait référence dans le milieu. Auteur passionné et passionnant, Vincent Pinel a aussi été un homme de revues. Il a notamment collaboré à Jeune Cinéma, créée par Jean Delmas en 1964, pour qui il signe entre 2017 et 2019 la série Grandes et petites énigmes de l’histoire du cinéma muet, ou encore aux revues Études cinématographiques et L’Avant-scène du cinéma.
Vincent Pinel a également contribué à l’ouvrage collectif 58-68 retour sur une génération, vers un nouveau cinéma français, dirigé en 2016 par le CNC, institution pour laquelle il a été membre de la commission du patrimoine. Dans cet article, intitulé Les revues de cinéma et le nouveau cinéma français « hors la vague des années 60 (1958-1968) », que nous vous proposons de (re)découvrir ici, Vincent Pinel écrit alors : « En France, depuis la Libération, une passion pour la culture cinématographique s’était levée dans des milieux très divers. Elle se manifestait notamment par la prolifération des ciné-clubs dont la fonction était de "répandre le goût du cinéma, [de] faire connaître ses chefs d’œuvre, [d’]’éduquer le public", selon la formule célèbre de Pierre Kast. » Cette maxime, Vincent Pinel l’a fait sienne toute sa vie. Films, livres, ouvrages, actions culturelles… il n’a eu de cesse de partager et diffuser au plus grand nombre son amour quasi-viscéral pour le cinéma. Il s’est éteint le 1er janvier 2024 à Poissy.