Bernardo Bertolucci, Prima della rivoluzione (1964)
Bernardo Bertolucci avait déjà tourné un premier film, La Commare Secca, en 1962, mais c’est véritablement Prima della rivoluzione, présenté à la Semaine de la Critique deux ans plus tard, qui va l’imposer en chef de file de la nouvelle vague italienne. Empruntant son titre (« Avant la Révolution ») à Talleyrand (« Celui qui n’a pas vécu au XVIIIe siècle avant la Révolution ne connaît pas la douceur de vivre et ne peut imaginer ce qu’il y a de bonheur dans la vie »), le film décrit les affres existentielles d’un jeune Parmesan tiraillé entre son mode de vie bourgeois et ses convictions marxistes. Rétrospectivement, il sera considéré comme annonciateur de Mai 68. Devenu un cinéaste mondialement réputé, Bernardo Bertolucci reviendra à Cannes présenter Partner (Quinzaine des Réalisateurs, 1969), 1900 (hors compétition, 1976), La Tragédie d’un homme ridicule (en compétition, 1981) et Beauté volée (en compétition, 1996), avant de recevoir une Palme d’honneur en 2011.
Jerzy Skolimowski (Walkover, 1965)
Jeune section s’épanouissant en marge du Festival de Cannes, la Semaine de la Critique aura dans les années 60 été synchrone avec l’émergence d’une nouvelle génération de cinéastes – en plus de Bertolucci, on peut citer Jean Eustache (Le Père Noël a les yeux bleus, 1967), Philippe Garrel (Marie pour mémoire, 1968), Barbet Schroeder (More, 1969)… En 1965, c’est le Polonais Jerzy Skolimowski, ancien condisciple de Roman Polanski à l’école de cinéma de Lodz, qui fait une apparition remarquée sur la scène du cinéma mondiale avec Walkover, son deuxième long métrage (après Signe particulier : néant, tourné pendant ses études), portrait d’un étudiant désœuvré s’improvisant boxeur, film d’une liberté et d’une énergie folles, qui symbolise, avec quelques autres, le bouillonnement artistique des nouvelles vagues européennes des sixties. Skolimowski reviendra ensuite régulièrement en compétition à Cannes, avec notamment Le Cri du sorcier (1978) et Travail au noir (1982).
Leos Carax (Boy Meets Girl, 1984)
Dans un noir et blanc lyrique et passionné évoquant les premiers Godard, un ancien critique rebaptisé Leos Carax naît au cinéma en 1984, à la Semaine de la Critique, avec Boy Meets Girl. C’est le début d’une histoire d’amour tumultueuse entre le cinéaste et le Festival de Cannes, la Croisette assistant tour à tour à son éreintement critique (avec Pola X, en 1999), puis à sa « résurrection » artistique (Holy Motors, 2012). Carax, qui fait cette année l’ouverture du festival avec sa comédie musicale Annette, a adressé une « love letter » à la Semaine de la Critique pour ses 60 ans, où l’on peut notamment lire ces bribes de souvenirs : « J’étais sûrement content que le film soit là. J’étais jeune (mon film a d’ailleurs reçu le prix de la Jeunesse?; ai reçu le même prix pour Holy Motors – trente ans plus tard. La jeunesse n’a pas de prix). Me souviens avoir aimé un film présenté cette année-là, en noir & blanc lui aussi : Stranger Than Paradise, de Jim Jarmush (sic). Sentiment que c’était là un vrai film, alors que le mien faisait semblant. »
Wong Kar-Wai (As Tears Go By, 1988)
Les cinéphiles français ne le découvriront réellement que dans les années 90, à la faveur de la sortie de Chungking Express. Mais Wong Kar-Wai était déjà présent à Cannes dès 1988, grâce à la Semaine de la Critique, qui montra son premier long métrage, As Tears Go By, un polar à la mode du Hong Kong des années 80, mais déjà parcouru par les ambitions plus « arty » de son auteur. Invité plus tard sur la Croisette en compétition avec Happy Together (1997), In the Mood for Love (2000), 2046 (2004) et My Blueberry Nights (2007), Wong Kar-Wai sera président du jury en 2006. La version restaurée en 4K d’In the Mood for Love est présentée cette année sur la plage de Cannes.
Gaspar Noé (Carne, 1992)
C’est via un moyen métrage, Carne, présenté à la Semaine de la Critique en 1992, que Gaspar Noé se fait connaître. Ce portrait d’un boucher de la Villette entraîné dans un tourbillon de haine, révèle un ton nouveau, entre ultraviolence, virtuosité formelle et humour noir. Ce moyen sera bientôt prolongé par un long, Seul contre tous, lui aussi présenté à la Semaine, six ans plus tard. Noé deviendra ensuite l’un des réalisateurs français les plus fidèles au Festival de Cannes, accomplissant une sorte de « grand chelem » au sein des différentes sections : compétition (Irréversible, 2002, Enter the Void, 2009), séance de minuit hors compétition (Love, 2015), Quinzaine des Réalisateurs (Climax, 2018)… Cette année, il montre Vortex sous le nouveau label Cannes Première.
Arnaud Desplechin (La Vie des morts, 1992)
Comme Gaspar Noé, Arnaud Desplechin appartient lui aussi à la « promotion 92 » de la Semaine de la Critique et s’y est lui aussi fait remarquer avec un moyen métrage, La Vie des morts. Le cinéaste n’avait pas pu venir présenter son film aux festivaliers, car il était alors en plein tournage de son premier long, La Sentinelle. Comme Noé, Desplechin deviendra un « enfant chéri » du Festival de Cannes, où il a montré presque tous ses films, jusqu’à son dernier en date, Tromperie, présenté cette année à Cannes Première.
Jacques Audiard (Regarde les hommes tomber, 1994)
Après les révélations de Gaspar Noé et Arnaud Desplechin, la présentation du premier long métrage de Jacques Audiard, Regarde les hommes tomber, en 1994, souligne bien à quel point la Semaine de la Critique aura su témoigner en temps réel, dans les années 90, de l’éclosion d’une nouvelle génération de cinéastes français. « La reconnaissance de la Semaine de la Critique m’a permis d’être identifié et que les choses se passent plus facilement pour mon deuxième film, expliquera Jacques Audiard. Ça m’a surtout signifié que mon travail était intelligible, que j’avais été vu et compris. » Dès son deuxième long, Un héros très discret (1996), le réalisateur sera invité à Cannes en compétition. Il a ensuite remporté le Grand Prix (Un prophète, 2009), puis la Palme d’or (Dheepan, 2015). Il présente cette année Les Olympiades.
Alejandro González Iñárritu (Amours chiennes, 2000)
Incontestablement l’une des découvertes les plus marquantes de la Semaine de la Critique des vingt dernières années. Amours chiennes, film choral et coup de poing, écrit par Guillermo Arriaga, imposait le style humaniste et fiévreux d’un Mexicain alors inconnu, Alejandro González Iñárritu. Le monde (Hollywood en tête) allait bientôt le réclamer à corps et à cris. Le cinéaste viendra se frotter à la compétition avec Babel (prix de la Mise en scène en 2006) et Biutiful (2010), avant de présenter à Cannes une œuvre en réalité virtuelle, Carne y Arena, en 2017.
David Robert Mitchell (The Myth of the American Sleepover, 2011, It Follows, 2014)
Emblème d’une génération de cinéastes américains pop et postmodernes relisant les grands genres canoniques des années 70-80 (le « coming of age movie », l’horreur) à l’aune de l’angoisse existentielle des millenials, David Robert Mitchell est venu en deux temps à la Semaine de la Critique : d’abord avec The Myth of the American Sleepover, en 2010, qui ne sortit malheureusement pas en salles en France, puis It Follows, film d’horreur influencé par Lynch, Carpenter et Jacques Tourneur, dont la réception fut autrement plus retentissante. Le réalisateur est ensuite revenu à la Semaine de la Critique en tant que juré, en 2016, avant d’intégrer la Sélection officielle avec son troisième film, Under the Silver Lake, en 2018.
Julia Ducournau (Grave, 2016)
Elle est l’un des jeunes espoirs tricolores les plus acclamés du moment. Julia Ducournau, diplômée de la Fémis, a d’abord présenté à la Semaine de la Critique son court métrage Junior, en 2011. Cinq ans plus tard, Grave, portrait d’une jeune cannibale mêlant récit initiatique et body horror, va devenir l’emblème d’un renouveau du cinéma de genre en France, entraînant dans son sillage des réalisateurs comme les frères Boukherma (Teddy) ou Just Philippot (La Nuée, lui aussi sélectionné par la Semaine, en 2020). Cette année, Julia Ducournau a les honneurs de la Sélection officielle avec son deuxième long métrage, Titane.