Beyrouth était déjà au cœur de votre court métrage d’animation Waves’ 98, Palme d’or à Cannes en 2015. Voyez-vous Face à la mer comme le prolongement de ce film ?
Indirectement, sans doute. Après ce court, je pensais avoir dit tout ce que je pouvais sur ma ville de naissance dans laquelle je vis aujourd’hui. Seulement, deux mois après la présentation de Waves’ 98 à Cannes, la crise des ordures éclate à Beyrouth après la fermeture de la plus grande décharge du pays. Elle donne lieu à une série de manifestations contre l’incapacité du gouvernement libanais à gérer les déchets. Cet événement provoque une nouvelle vague de départs et me replonge soudainement dans le passé. J’ai quitté le Liban en 2008 pour poursuivre mes études à Londres. Mon petit frère l’a fait lui aussi un peu plus tard, de la même manière qu’une grande partie de ma famille maternelle s’était déjà installée aux États-Unis dans les années 1990. Après la guerre civile, l’obsession de beaucoup de Libanais était de trouver une porte de sortie pour s’échapper et rebondir le jour où un éventuel danger reviendrait. J’ai utilisé ce contexte pour reparler de Beyrouth en m’intéressant cette fois-ci au retour des expatriés.
Dans le film, Jana, une jeune femme, quitte Paris pour revenir chez ses parents. Pourquoi avoir choisi de ne pas expliquer les raisons de son retour au Liban ?
Je souhaitais avant tout raconter le retour de Jana à son passé. Je ne voulais pas encombrer le récit. Au fil de l’écriture, dans les ateliers auxquels j’ai participé, on m’a souvent encouragé à donner davantage de détails pour susciter de l’empathie vis-à-vis du personnage. Cependant, je me suis toujours refusé à trouver un événement traumatisant pour expliquer son retour, tout simplement pour ne pas en faire une victime. Mon but était de permettre au spectateur de voir le film à travers ses yeux. Quand Jana rentre à Beyrouth, elle laisse Paris derrière elle. Remettre cet événement au premier plan me semblait totalement artificiel.
Comment avez-vous mis en scène le Beyrouth de Jana à l’écran ?
Je me suis appuyé sur mon ressenti. J’ai moi-même quitté Beyrouth avant de m’y réinstaller quelques années plus tard. Je me suis donc nourri de mon expérience personnelle d’autant plus que l’appartement de mes parents a servi de lieu de tournage. Il était essentiel de privilégier le ressenti de Beyrouth à sa réalité, à l’image de la manière dont on peut se sentir étranger dans sa propre ville quand on y revient après plusieurs années. Ce sentiment peut engendrer une sensation d’agression. En vivant dans cet appartement, j’ai aussi subi la spéculation immobilière. Elle a transformé la ville en profondeur et modifié, mois après mois, le paysage que nous voyions du balcon. L’anarchie règne dans ces constructions. On se sent de plus en plus enfermé. Face à la mer retranscrit aussi cette ambiance particulière.
Pourquoi avoir choisi Shadi Chaaban comme directeur de la photographie ?
Shadi Chaaban est Libanais. Il est aussi parti s’installer ailleurs. Quand je l’ai contacté pour ce film, il habitait à Los Angeles. Dès notre premier échange via Skype, j’ai remarqué combien il était touché par ce scénario. Il s’y projetait totalement. C’était une évidence : nous étions sur la même longueur d’onde et partagions la même vision de Beyrouth.
Avez-vous fonctionné par références ou en vous appuyant sur votre connaissance commune de la ville ?
La ville a primé sur tout le reste. Nous avons pris énormément de temps en amont pour nous imprégner des différents lieux de tournage. Mais nous n’avons pas visionné de films ensemble pour préparer le nôtre.
Le scénario, dont la manière de raconter Beyrouth, a-t-il évolué au fil du tournage ?
Pas vraiment. Chez moi, tout est cadré dès l’écriture. Je dois cette « méthode » à mon passé dans l’animation. J’écris un story-board très précis. Il me sert de guide tout au long de l’aventure. C’est pourquoi je ne me « couvre » quasiment pas sur le tournage, alors même que mes producteurs m’y encouragent. Une fois la scène mise en boîte telle qu’imaginée, je n’ai pas besoin de la tourner sous un autre angle. A l’arrivée, il reste peu de rushes et d’options différentes au montage.
Le 4 août 2020, l’explosion des entrepôts du port de Beyrouth plonge la ville dans le chaos. Vous étiez en plein montage du film. Cet événement a-t-il influencé votre travail ?
J’ai raccourci le film avec Léa Masson, ma monteuse. J’ai dû couper environ une demi-heure de scènes. L’aurais-je fait sans l’explosion ? Je ne sais pas. En tout cas, l’objectif était de me rapprocher de mon idée initiale : vivre le récit et Beyrouth au plus près de Jana. Quelques personnages secondaires avaient pris trop de place. Avec Face à la mer, je souhaite que le spectateur ne lâche pas Jana et éprouve, à chaque instant, son ressenti et son expérience de la ville.
FACE À LA MER
Réalisation et scénario : Ely Dagher
Photographie : Shadi Chaaban
Musique : Joh Dagher
Montage : Léa Masson
Production : Andolfi, Abbout Productions, Wrong Men, Beachside Films, BeaverAndBeaver
Distribution : JHR Films, Jour2Fête Distribution
Ventes internationales : The Party Film Sales