Qu’est-ce qui crée chez vous l’envie d’adapter En attendant Bojangles ?
Je n’ai pas été un lecteur de la première heure du roman d’Olivier Bourdeaut. Mais tous mes amis qui l’avaient lu me poussaient à le faire, m’assurant que je devrais m’attaquer à son adaptation. Comme souvent, quand on vous parle trop de quelque chose, vous repoussez le moment de vous y confronter. Vous en perdez un peu l’envie. D’autant plus que je n’avais pas prévu de réaliser une adaptation à l’époque, j’avais plein de sujets originaux en tête. J’imaginais aussi que d’autres gens expliquaient au même moment à d’autres réalisateurs que cette adaptation-là était faite pour eux. Donc j’avais un peu chassé le livre de mon esprit…
Comment est-il revenu à la surface ?
Un peu par hasard. J’appelle un jour un jeune producteur, Thierry de Clermont-Tonnerre, pour lui parler de tout autre chose. À un moment, dans la discussion, je lui dis qu’on n’arrête pas de me parler d’adapter Bojangles. Et soudain, il m’interrompt en m’expliquant qu’il est à une terrasse de café, qu’il vient justement de terminer le roman, qu’il est en pleurs et qu’il veut en produire l’adaptation que je réaliserai ! Ça a été le déclic pour que je me plonge dedans. Je suis ressorti bouleversé de cette lecture. Je trouve cette histoire incroyable. Ce couple, Camille et Georges, qui n’envisage la vie qu’à travers le plaisir et la fantaisie pour fuir la banalité du quotidien et qui rattrapé par le basculement dans la folie de Camille... J’y vois presque de la sorcellerie littéraire pour que cette œuvre ait à ce point toucher autant de monde. Dans la foulée, j’ai appelé Romain Compingt avec qui j’ai écrit Populaire et Les Traducteurs pour qu’il le lise et qu’on voie ensemble comment l’adapter. Il a lui aussi accroché tout de suite, on est tombés assez vite sur les mêmes envies. Mais comme il s’agit d’une grande histoire d’amour, j’ai aussi éprouvé le besoin de le faire lire à ma compagne. Elle m’a assuré que si je ne faisais pas cette adaptation, elle me quitterait ! Je ne pouvais plus reculer. (Rires.)
Adapter c’est forcément trahir. Comment vous êtes-vous emparé du roman avec Romain Compingt ?
Assez vite, on a aussi décidé – là encore contrairement au livre – d’inscrire le film dans une époque pour lui donner de la chair. Enfin, si le livre est raconté principalement du point de vue de l’enfant du couple, j’ai opté pour l’idée de faire d’abord vivre cette histoire à travers le point de vue du père. Ensuite, celui-ci fusionne avec le point de vue du fils, avant que le regard de ce dernier ne devienne prépondérant.
Mais je dois dire que ce travail d’écriture a été plus simple que celui des Traducteurs qui comportait beaucoup de logique mathématique, avec le souci constant de ne pas déshumaniser les personnages. Ici, la fusion avec l’écriture d’Olivier Bourdeaut m’a paru plus fluide. Et le montage l’a été tout autant. C’est la première fois dans un de mes films que je ne coupe aucune scène. Pas parce que je n’ai pas pu en faire le deuil, mais parce que je ne voyais rien à enlever. Tout avait été réglé à l’écriture.
À quel moment du processus se pose la question des interprètes ?
Je n’écris jamais en pensant à un comédien car je sais que c’est trop aléatoire et je ne veux pas me retrouver coincé dans mon imaginaire si celui ou celle à qui je pense finit par ne pas pouvoir le faire. Une fois le scénario terminé, quand j’ai commencé à réfléchir au choix de Camille et Georges, j’ai vraiment raisonné en couple, pas en individualités. Je voulais trouver Camille et Georges en même temps. Et très rapidement, Romain Duris et Virginie Efira se sont imposés. Évidemment parce que je les admire en tant qu’acteurs mais aussi parce qu’ils n’avaient jamais joué ensemble et qu’ils allaient pouvoir former un couple de cinéma fort et détonnant.
Ils aiment exprimer des sentiments avec leurs corps et, dans leur génération, ils ne sont pas si nombreux. C’est ce qui explique pourquoi ils sont toujours très modernes.
Vous retrouvez Romain Duris après Populaire mais aussi Guillaume Schiffman qui en était le chef opérateur, tout comme celui des Traducteurs. Pourquoi avoir fait appel à lui pour la troisième fois ?
Comme avec Romain, la question de la fidélité n’entre jamais en compte. Entre nous, rien n’est acquis, rien n’est signé à l’avance. Il faut donc que le projet lui parle et j’ai eu la chance qu’il lui parle. Au-delà de sa grande finesse artistique, Guillaume est surtout quelqu’un qui adore les acteurs et sait les regarder, les filmer et trouver des solutions quand parfois je me sens dans l’impasse. Or cet élément me paraissait essentiel pour un film de personnages, donc de comédiens, comme En attendant Bojangles.
Comment avez-vous créé l’univers visuel du film ?
Ce travail-là a été très collégial. Avec Guillaume, la chef décoratrice Sylvie Olivé, la chef costumière Emmanuelle Youchnovski, mais aussi avec l’équipe maquillage et coiffure. On s’est échangé des photos, des références de films (qui vont de la lumière de Blow Up aux clichés pris par Raymond Depardon dans des hôpitaux psychiatriques) et on a passé énormément de temps ensemble. C’est ainsi que se construit la colorimétrie du film. Du papier peint des murs aux robes, en passant par les voitures. Le but que nous nous étions fixé était de donner de l’énergie à l’image. Puis, une fois qu’on s’est mis d’accord sur les références, on s’est efforcé de les oublier pour créer notre propre univers. À savoir le bon équilibre entre le réel et l’onirisme. Pour que le spectateur puisse parfois se demander si certaines scènes se sont réellement déroulées ou si elles sont le fruit de l’imagination des personnages. Et qu’on puisse retrouver ainsi l’émotion qu’ont pu ressentir les lecteurs du roman.
En attendant Bojangles
De Régis Roinsard
Scénario : Régis Roinsard, Romain Compingt d’après le livre d’Olivier Bourdeaut
Images : Guillaume Schiffman
Montage : Loïc Lallemand
Production : Curiosa Films, JPG Films, UMedia, France 2 Cinéma, Orange Studio, Studiocanal
Distribution et Ventes internationales : StudioCanal