Florence Miailhe est arrivée au bout de sa Traversée. Douze ans qu’elle y pense. Comme tous les voyages hors des sentiers battus, il a été long et éprouvant, mais l’arrivée n’en est que plus belle. La réalisatrice, invitée d’honneur de la Fête du cinéma d’animation 2020 n’en a cependant pas encore tout à fait terminé. La Traversée est le premier long métrage de cette figure du cinéma d’animation qui a déjà signé huit courts métrages pour lesquels elle a obtenu entre autres : un César en 2002, une mention spéciale au Festival de Cannes en 2006 ou encore un Cristal d’honneur en 2015 au Festival international du film d’animation d’Annecy. La Traversée est terminée depuis janvier dernier et son distributeur Gebeka Films espérait une sortie dans la foulée d’une sélection dans un grand festival cette année, mais la crise sanitaire en a décidé autrement, repoussant un peu plus la durée du « voyage ».
« Voilà en effet douze ans que j’ai en tête ce film. Mon mari, photographe pour l’agence Magnum revenait alors de Malte et de l’île de Lampedusa où il avait signé des reportages sur les migrants venus d’Afrique échoués sur place, à bout de forces. J’ai repensé très fort à l’histoire de mon arrière-grand-mère qui, en 1905, avait quitté Odessa pour fuir les pogroms. Elle était passée par la Grèce et la Roumanie avec ses enfants. Le scénario de La Traversée est un pont entre passé et présent. » Le film raconte le parcours de deux migrants d’une dizaine d’années, un frère et une sœur, livrés à eux-mêmes après l’arrestation de leurs parents. Florence Miailhe et sa coscénariste Marie Desplechin ne donnent volontairement aucune indication de lieu et d’époque. Cette Traversée se veut « intemporelle ». La réalisatrice précise : « Il y a un côté conte, entre Le Petit Poucet de Perrault et les aventures de Dickens. »
Les figures de la peinture
Si La Traversée a été longue, c’est que Florence Miailhe ne fait pas de l’animation comme tout le monde. Passée par l’École nationale supérieure des Arts décoratifs (spécialisation « gravure »), la future réalisatrice a d’abord fait de l’illustration de presse et surtout de la peinture, sa grande passion. Une passion qu’elle réussit à concilier avec le cinéma, puisque sa technique est de « l’animation directe sous la caméra » ou « peinture animée », même si l’intéressée trouve cette appellation trop réductrice. « Certains films ont été faits avec du pastel sec, d’autres avec du sable... » À chaque fois, Florence Miailhe modèle artisanalement ses figures sur une plaque de verre placée devant l’objectif de la caméra pour créer ensuite l’illusion du mouvement. « Vous remarquerez qu’au générique, il n’est pas écrit “un film réalisé par...”, mais “un film peint par Florence Miailhe”. » Ses modèles avoués sont la Canadienne Caroline Leaf (The Street, Entre deux sœurs...), le Français Jean-François Laguionie (Le Tableau, Louise en hiver, Le Voyage du prince...) et le Russe Youri Norstein (Le Conte des contes).
C’est le peintre Robert Lapoujade, grand ami de la famille Miailhe, qui incite la jeune diplômée des Arts décoratifs à se lancer dans le cinéma. Elle signe en 1991 son premier court métrage, Hamman, fruit de plusieurs voyages en Algérie. Elle ne quitte pas les rives de l’Orient avec Schéhérazade (1995) et Histoire d’un prince devenu borgne et mendiant (1996), inspirés des contes des Mille et une nuits. Viendra ensuite Au premier dimanche d’août (2000), césarisé en 2002, œuvre tourbillonnante, envisagée comme une danse perpétuelle. Le film est librement inspiré du court métrage de Jean-Daniel Pollet, Pourvu qu’on ait l’ivresse (1957). Il y aura aussi Conte de quartier en 2006 en couleurs et en noir et blanc, où, telles les boucles d’oreilles de Madame de. de Max Ophüls, une poupée passe de main en main. À chaque fois, Florence Miailhe revendique sa volonté de ne pas laisser le poids de la narration prendre le pas sur les mouvements libres de l’image. Le dernier en date, Méandres en 2013, est une relecture des Métamorphoses d’Ovide en « sable animé ». D’abord diffusé en six épisodes pour France Télévisions, il est devenu un seul et même film de cinéma.
Voici donc venu le temps de La Traversée. Le film a bénéficié du soutien du CNC et d’Arte. Coproduit entre la France, la République tchèque et l’Allemagne, il a mobilisé douze animatrices qui se sont relayées sur les trois années nécessaires à sa fabrication. « Ce n’était pas prémédité au départ, mais l’équipe du film s’est constituée majoritairement de femmes », se réjouit Florence Miailhe.