« Ce film mêle le personnel et l’universel. C’est un remarquable mélange de genres qui parvient à sensibiliser le public à un problème mondial tout en suivant un récit intime. Il associe élégamment humour, musique et drame et n’a pas peur de choquer. C’est déjà un classique, tout ce que vous cherchez dans un film. » Ainsi s’exprimait l'année dernière le jury du festival de Sundance qui venait d’accorder le Grand Prix de la compétition documentaire à Flee, le film d’animation de Jonas Poher Rasmussen. Le réalisateur danois y raconte le destin mouvementé d’Amin, Afghan ayant dû fuir son pays gamin à l’arrivée au pouvoir des moudjahidine à la fin des années 80 et devenu, à 36 ans, un universitaire sur le point de se marier – au Danemark où il a fini par s’installer – avec l’homme qui partage sa vie depuis vingt ans.
« On a entendu parler de ce film pour la première fois en 2015 grâce à Charlotte de La Gournerie, une Bretonne exilée au Danemark, productrice chez Sun Creature », explique Jean-François Le Corre de Vivement Lundi !, société de production basée à Rennes. « De passage à Rennes pour un festival, elle nous a parlé d’un projet de documentaire animé qu’elle venait de recevoir des Danois de Final Cut for Real qui ont notamment produit les deux documentaires de Joshua Oppenheimer, The Act of Killing et The Look of Silence. Elle nous a demandés si cela pouvait nous intéresser. » Jean-François Le Corre répond par l’affirmative. « Avec Vivement Lundi !, nous produisons des documentaires et de l’animation. Et nous sommes passionnés par l’idée de travailler le réel par le biais de l’animation. Nous l’avons déjà fait avec une série pour Arte, Juifs et Musulmans, si loin si proches, en 2013. » Dans le cas de Flee, ce mélange constitue la base même du projet. Amin existe bel et bien. Jonas Poher Rasmussen l’a rencontré à l’école et a toujours voulu savoir comment celui qui est devenu son ami était arrivé dans son pays. Ce film est donc l’histoire d’une confession qu’il était impossible d’envisager sous la forme d’un documentaire « classique ». Car, comme l’explique Jean-François Corre : « Si Amin accepte de confier à Jonas Poher Rasmussen ce qu’il ne lui a encore jamais raconté en détail, il ne veut pas apparaître en personne à l’écran. Car il a refait sa vie, est devenu universitaire au Danemark, un pays qui peut connaître les mêmes dérives de harcèlement sur les réseaux sociaux que le nôtre. Mais aussi parce qu’il veut ménager son compagnon. » D’où donc le choix de l’animation pour le représenter, entrecoupée d’images d’archives montrant l’Afghanistan des années 80.
Tout s’accélère en juin 2016 quand Jean-François Le Corre découvre le premier teaser de Flee au marché du festival du film d’animation d’Annecy. « J’avais produit Tanger, le rêve des brûleurs, le premier film de Leïla Kilani (Sur les planches), un documentaire sur les migrants en attente de traverser la Méditerranée. Cette question me passionne, et jamais je n’avais vu un traitement de ce sujet à l’image de ce que proposait Jonas. J’ai signé immédiatement. » Vivement Lundi ! va apporter son expertise de l’animation au projet. « On s’est chargés de la fabrication des décors, de la colorisation de l’animation – qui s’est faite, elle, à Copenhague – et du compositing, en travaillant avec le studio rennais Personne n’est parfait ! et le studio Train-Train, dans les Hauts-de-France », précise Mathieu Courtois, l’autre producteur de Vivement Lundi !. En parallèle, Jonas Poher Rasmussen peaufine son récit avec l’aide d’un scénariste de fiction, Eskil Vogt, collaborateur régulier de Joachim Trier (Julie (en 12 chapitres)) et réalisateur de The Innocents.
« Et comme on a eu la chance d’arriver très en amont sur le projet, on a pu être associés à cette évolution. Être autant un partenaire artistique que technique. Une situation pas si fréquente pour un partenaire minoritaire. »
Flee a en effet un budget de 3 millions, dont 50 % proviennent du Danemark. Et Vivement Lundi ! va devoir en parallèle de tout ce travail artistique trouver un dernier million. Arte France – qui avait déjà sorti d’une situation compliquée un autre documentaire adepte du mélange des genres, Valse avec Bachir – s’engage très tôt, sur un traitement et le teaser, à diffuser Flee dans l’une de leurs cinq cases Grand Format annuelles. Le CNC les accompagne aussi, tout comme les régions Bretagne et Hauts-de-France. Mais tout cela prend forcément du temps à être finalisé. Deux ans avant que le feu passe définitivement au vert au tout début de l’hiver 2018. « Et là, tout s’est passé de manière idyllique », assure Jean-François Le Corre. « On le doit à la longue préparation du film qui a permis de gagner énormément de temps dans la fabrication », précise Mathieu Courtois qui va aussi se charger de l’enregistrement de la version française. « En discutant avec Arte, nous sommes arrivés à la même conclusion : ne doubler que les dialogues en danois et sous-titrer tout le reste », explique Jean-François Le Corre. Damien Bonnard (Les Misérables) prête à sa voix à Rasmussen et Kyan Khojandi à Amin. « Le père de Kyan est Iranien et Jonas tenait à ce que le comédien français qui doublerait Amin ait un lien culturel avec le Moyen-Orient », ajoute-t-il.
Cet enregistrement se déroule en juin mais quelques semaines plus tôt, Flee avait reçu une double bonne nouvelle. Sa sélection à Sundance 2021 et son invitation à Cannes 2020 qui s’est transformée, pandémie oblige, en un simple label. Après l’annonce des voix de doublage dans la version originale (Riz Ahmed, nommé en 2021 aux Golden Globes pour Sound of Silence et Nikolaj Coster-Waldau, le Jaime Lannister de Game of Thrones) et l’accueil enthousiaste reçu à Sundance, une voie royale s’est ouverte devant Flee, qui est passé par le Festival d’Annecy où il a remporté le Cristal du meilleur long métrage, l’année dernière puis par la 94e cérémonie des Oscars dans laquelle il a été nommé dans les catégories du meilleur film d'animation, du meilleur documentaire et du meilleur film international.
Flee
Réalisation : Jonas Poher Rasmussen
Production française : Vivement Lundi !, ARTE France.
Production internationale : Final Cut For Real, Sun Creature Studio, MostFilm, Mer Film AS, VICE Studios, RYOT Films, VPRO, Copenhagen Film Fund.
Distribution France : Haut et Court
Ventes internationales : Cinephil
Avec le soutien de : Creative Europe MEDIA Programme of the European Union, Région Bretagne, Région Hauts De France/Pictanovo, Procirep + Angoa
Sortie en salles : 31 août 2022
Soutien du CNC : Aide à la production audiovisuelle