Focus sur la bande originale d’« Un divan à Tunis »

Focus sur la bande originale d’« Un divan à Tunis »

10 février 2020
Cinéma
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Un divan à Tunis
Un divan à Tunis Carole Bethuel - Kazak Productions - Arte France Cinéma - Diaphana Distribution
Dans son premier long, Manele Labidi raconte la Tunisie post-Printemps arabe par le regard d’une psy parisienne rentrant dans son pays natal pour y exercer sa profession. Une comédie volontiers absurde dont le contraste entre humour et mélancolie se retrouve dans la BO, des chansons de Mina aux compositions originales de Flemming Nordkrog. La cinéaste nous raconte les coulisses de l’écriture musicale d’Un divan à Tunis.

A quel moment avez-vous commencé à penser à la musique de votre film ?

Dès l’écriture. Ecouter de la musique m’inspire de manière générale à cette étape. Mais là, en termes d’émotion, de tempo et de musicalité des dialogues, une voix et des chansons se sont d’emblée imposées. Celles de l’Italienne Mina que j’ai commencé à écouter en boucle.

Pourquoi vous a-t-elle autant inspirée ?

Elle est considérée par beaucoup comme la plus grande chanteuse italienne. Je l’avais, pour ma part, découverte dans le générique qui ouvrait L’Eclipse d’Antonioni. Et sa voix résume le cœur même de ce que j’espérais être mon film. En l’écoutant, on ressent instantanément une espèce de mélancolie âpre doublée d’une extrême vitalité. Et bien que mon film se déroule en Tunisie, il m’est tout de suite paru évident que cette musique italienne serait celle qui saurait le mieux en donner le ton. Celle qui symboliserait le mieux mes personnages traversés par une nostalgie du passé et hantés par une peur de l’avenir, mais qui se servent de l’humour comme bouclier. Car je retrouve dans la voix de Mina ce désir de vivre en dépit de tous les obstacles.

C’est ce qui explique votre décision de mettre ses chansons pour ouvrir et clore le récit ?

J’aime les BO à contre-emploi des récits qu’elles accompagnent. Entendre Quizás, quizás, quizás dans l’ambiance hongkongaise d’In the mood for love ou de la musique classique et non du hip-hop dans Moonlight. Ces choix musicaux ouvrent l’univers de ces films et apportent une universalité à leurs propos. J’ai donc voulu suivre ce parti-pris et refuser l’emploi de toute musique orientalisante dans Un divan à Tunis. Mais je n’ai pas choisi des chansons italiennes par hasard. Petite, quand j’allais chez mes grands-parents, ils regardaient deux chaînes à la télé : Antenne 2 et la RAI. La culture italienne est très présente en Tunisie. Il existe des liens évidents avec Naples et la Sicile. Et c’est ce côté méditerranéen commun que je tenais ici à mettre en avant.

Vous poussez encore plus loin cette idée de contre-emploi, en faisant appel à un compositeur danois, Flemming Nordkrog, pour toute la musique originale d’Un divan à Tunis. Qu’est-ce qui vous a donné envie de travailler avec celui dont on a pu entendre le travail dans Toutes nos envies et Le Fils de Jean de Philippe Lioret ?

Manele Labidi Viviana Morizet/DR

Je le dois au superviseur musical de mon film. Très en amont, nous avons discuté tous les deux de l’univers musical que j’avais imaginé pour Un divan à Tunis. Je lui ai tout de suite parlé de Mina, mais il m’a mis en garde sur le coût possiblement prohibitif des droits. Et pour la musique originale, il m’a proposé de rencontrer différents compositeurs. Je lui ai demandé de ne leur donner aucune indication préalable pour que chacun puisse s’inspirer uniquement de son ressenti à la lecture du scénario. Et là, on m’a proposé des musiques qui appuyaient surtout sur le côté comédie et risquaient de mettre à mal l’équilibre que je recherchais. Pour l’aspect comique, je préférais faire confiance aux situations, aux dialogues et aux personnages et ne pas bégayer avec la musique, ni tuer dans l’œuf toute la partie mélancolique. Je n’arrivais donc à trouver personne jusqu’à ce que mon superviseur musical me suggère de rencontrer Flemming.

En quoi a-t-il fait la différence ?

Pour commencer, l’idée qu’un Danois crée l’univers musical de ce film tunisien allait dans le sens de mon envie de sortir des sentiers battus. Puis en le rencontrant, j’ai vu qu’il avait exactement compris le double mouvement comique-mélancolique du film. J’avais trouvé mon compositeur.

Comment avez-vous collaboré à partir de là ?

Je lui ai très vite parlé de Mina et envoyé une playlist d’autres chansons italiennes. Et il a commencé dans la foulée à me proposer des maquettes. Il a ainsi suggéré qu’on entende de la trompette – en écho aux musiques des films italiens des années 1960-1970 – qu’il allait tordre avec de la guitare. Il est donc, lui-aussi, allé spontanément vers cette idée de mélange pas forcément attendu. Mais, on a bien sûr tâtonné. Comme je ne suis pas musicienne, on ne parlait pas la même langue. Au départ, d’ailleurs, le superviseur musical a fait l’interprète entre nous deux. Mais ça ne fonctionnait pas. Et c’est le jour où on a décidé d’échanger tous les deux, sans intermédiaire, que tout a décollé. Flemming me faisait écouter ses compositions. Je réagissais avec mon langage de novice et malgré tout, il me comprenait. Pour chaque séquence, on se posait la même question : en quoi la musique allait-elle réussir à l’emmener à un niveau supérieur ? Ça peut passer, selon les scènes, par un riff de guitare – l’instrument de prédilection de Flemming – très rock ou par une ambiance à la David Lynch qui vient briser net l’apparent réalisme de la situation. Je ne soupçonnais pas que je pourrais prendre autant de plaisir dans cette étape-là. Et je sais que pour mon prochain film, je ne commencerai pas ce travail une fois le tournage terminé, mais bien avant. Je donnerai les premiers éléments à Flemming – avec qui j’espère collaborer de nouveau – avant même l’écriture du scénario. Pour qu’on ait davantage de temps pour tester les choses et se nourrir l’un l’autre. Car la musique réinterroge le film à plein d’endroits.

Et en découvrant le film, on peut entendre aussi que vous avez obtenu les droits pour que Mina l’ouvre et le conclue…

Oui, ces droits étaient très chers. Mon superviseur musical a donc cherché des musiques équivalentes. J’ai posé ces chansons sur mes images puis en ai montré le résultat au producteur. C’est là qu’il a concrètement réalisé que Mina était indispensable à Un divan à Tunis. Que ce n’était ni une coquetterie ni une lubie de ma part. Ces chansons font partie de l’ADN de ce film. Au point que nos distributeurs, eux aussi, n’ont pas trouvé mieux que Mina pour accompagner musicalement la bande-annonce et ont donc accepté de payer ces droits…

Un divan à Tunis, qui sort mercredi 12 février 2020, a reçu l'aide à la création de musique originale et l'aide sélective au programme éditorial vidéo du CNC.