Cool. C’est l’adjectif qui revenait le plus souvent lorsqu’il s’agissait de Guy Marchand. Cool, comme le jazz que l’homme, décédé à l’âge de 86 ans, aura pratiqué toute sa vie, faisant de chaque geste, chaque son, chaque regard, les notes d’une partition enjouée. Le musicien, comme l’acteur qu’il était, avançait à l’instinct sans trop chercher à se prendre au sérieux. Lors d’une émission radiophonique sur l’antenne de RFI, en 2020, il disait : « Je traverse les films comme un touriste, je ne travaille pas la présence, je joue plutôt avec l’absence... » Cool, cet anglicisme le ramenait invariablement vers ses modèles avoués : les Frank Sinatra, Nat King Cole, Bill Crosby, ou autres Tony Bennett... Crooners « made in USA », propres à tout recouvrir de velours par la grâce de leur voix. « C’est quoi être cool au juste ? » lui demandait-on dans ce même programme. Réponse de l’intéressé : « La légèreté, c’est la seule solution devant l’inévitable. »
Un gentil voyou
Tout commence dans les hauteurs de Paris au plein cœur du 19e arrondissement, dans le quartier populaire de Belleville. La légende raconte qu’un jour son père garagiste récupère auprès d’un musicien une clarinette contre un peu de mécanique et en fait illico cadeau à son fils de six ans. Un fiston apparemment frustré d’avoir dû renoncer à la trompette jugée trop bruyante pour le petit deux pièces où vit la famille Marchand. La légende explique aussi que le petit Guy dirige virtuellement dans sa petite chambre des orchestres symphoniques imaginaires. On notera qu’à quelques encablures de là se trouve un théâtre dessinant le périmètre quasi complet d’une future existence de saltimbanque. La France est à peine libérée et la culture américaine fait chavirer les cœurs. « Je me suis toujours conduis envers l’Amérique comme avec à peu près tout, je chaparde, je pique des choses... », avouera beaucoup plus tard celui qui aimait à se définir comme « un gentil voyou ! » revendiquant une gouaille « à la Audiard ! » Le rôle de sa vie était fait du même bois : Nestor Burma, le détective parigot créé par Léo Malet que Guy Marchand interprétera le temps de 39 épisodes pour la télé à partir du début des années 90. Volontiers sarcastique et désinvolte, Burma est le Marlowe des faubourgs parisiens. Guy Marchand le jouera avec la même « coolitude » qu’Humphrey Bogart.
« Être artiste, c’est indécent ! »
Une voix d’or, « de baryton léger », une belle gueule, le sourire facile, Guy Marchand passé notamment par la Légion étrangère, transpirait la séduction. Artiste dans l’âme il essayait de ne pas trop abuser de l’égo qui ne manque pas d’accompagner ceux qui se vivent comme tel : « Parler de soi c’est la grande indécence et être artiste, c’est indécent. » L’homme aura titré son autobiographie : Le Guignol des Buttes-Chaumont. « Pourquoi écrire ce livre ? » se demande-t-il en introduction. Une manière de dévoiler toutes les passions d’une existence pleine de panache où se dessine le tempérament d’un jouisseur : « Pour me promener dans des souvenirs, des impressions fugaces, des rencontres surprenantes de personnages hauts en couleur, des airs de jazz et des aventures de polo, des senteurs d'écurie, quelques films aussi et les acteurs qui en ont rendu le tournage moins fastidieux, des visions parfois idylliques, parfois cauchemardesques, des images de la vie dite «courante», qui vous reviennent en mémoire quand cette vie a bien couru... » Guy Marchand aura par ailleurs écrit cinq romans.
La musique passait avant le cinéma arrivé sur le tard. Il a décroché son premier « petit » rôle à 33 ans dans Boulevard du Rhum de Robert Enrico où il jouait un soupirant de Brigitte Bardot. Il avait aussi mis son expérience de parachutiste, souvenir de ses années d’armée qui l’emmèneront jusque dans l’Algérie en guerre, au service de la superproduction Le Jour le plus long (1962) en qualité de conseiller technique. Le cinéma comme un prolongement des feux de la rampe arpentés depuis les caves du Saint-Germain-des-Prés jazzy où le jeune homme trimballait son physique avantageux et sa clarinette. En 1965, il avait même décroché un tube, La Passionata. Sur un plateau de télé où il vient défendre son morceau, son allure de jeune premier propre sur lui est sans cesse parasitée par un Henri Salvador tout en mimiques éruptives. Le show fait sensation. Sa carrière de crooner est lancée.
Bouger les lignes
Il y a pourtant un geste qui semble écraser tous les autres. Un geste ou plutôt un texte, celui d’une chanson écrite pour amuser la galerie et qui finira par lui coller à la peau. Destinée, roucoulade co-signée avec Philippe Adler sur une musique de Vladimir Cosma pour les besoins d’une scène des Sous-doués en vacances de Claude Zidi, en 1982. Il s’écoulera 250 000 exemplaires du 45 tours. Un succès renforcé par son utilisation la même année dans la comédie culte Le Père Noël est une ordure de Jean-Marie Poiret, accompagnant le slow langoureux entre Thierry Lhermitte et Christian Clavier. A ses déhanchés en costard flashy dans le film de Zidi répond dans la foulée l’un des rôles les plus graves de sa carrière cinématographique, celui de l’inspecteur adjoint Belmont dans Garde à vue de Claude Miller. Dans ce huis-clos oppressant, réhaussés par les dialogues de Michel Audiard et le face à face Serrault-Ventura, Guy Marchand bouillonnant ne cesse de faire bouger les lignes d’un interrogatoire pourtant fermé à double tour. Marchand obtient le César du meilleur second rôle. Une consécration pour celui qui aimait à se faire passer pour un dilettante.
Au cinéma, Marchand aura croisé François Truffaut dès ses débuts d’acteur (Une Belle fille comme moi, 1972), Philippe de Broca (Tendre poulet, 1977) ou encore Maurice Pialat (Loulou, 1979). Il y a aussi Samuel Fuller avec qui l’acteur a tourné Au-delà de la gloire en 1980. « Je chargeais au milieu des tanks à cheval ! Magnifique... Il a tout coupé. » déplorait-il sans trop d’amertume (en 2008, la sortie du director’s cut du film fera ressurgir la séquence). Et puis Bertrand Tavernier (Coup de torchon, 1981), Costa-Gavras (Conseil de famille, 1986)...
Comédies, drames, téléfilms, feuilletons, pochades, thrillers..., l’acteur aura avancé sans plan de carrière et refusé les étiquettes. Idem pour la musique : classique, jazz ou tango (l’une de ses grandes passions), se sont toujours accordés en bonne entente : « C’est l’émotion qui m’intéresse ! » Sa filmographie comme sa discographie, sont longues d’une cinquantaine de titres.
« J’ai jamais lu un scénar »
Le « grand âge » allait bien à cet éternel joli-cœur. Une nouvelle génération de cinéastes saura le regarder dans les yeux et déceler les failles derrière la décontraction. Christophe Honoré (Dans Paris en 2006) d’abord. Guy Marchand en père à la dérive de Louis Garrel et Romain Duris semble à son aise dans ce bain néo Nouvelle Vague. La méthode, elle, n’a pas changé. Dans les colonnes de Télérama à la sortie du film : « Je n'ai jamais lu un scénar. Je préfère la méthode des anciens. Pialat, Truffaut, ils m'ont raconté leurs films au restau. Pour Garde à vue, Claude Miller était venu à la maison, et je lui avais fait une échine de porc aux poireaux. Quand le réalisateur te raconte son histoire, tu sais tout de suite quelle place va occuper ton personnage. Sur le tournage de Dans Paris, je me suis régalé. Ils sont tout frais, ces petits-là... »
Il y aura aussi Carine Tardieu en 2017 pour Otez-moi d’un doute, où le père est devenu grand-père. La désinvolture en bandoulière, l’acteur-charmeur continuait de jouer « les touristes » : « Ce que je retiens de ma prestation, raconte-t-il dans Le Monde, c’est un voyage en Bretagne en demi-pension pour personnes âgées. C’est pareil dans le prochain film : à 80 ans, on me demande si je peux boiter un peu plus… Mais moi je boxe tous les jours une demi-heure sur mon sac, je fais dix tours de mon champ, je suis de l’école de Clint Eastwood ! Quand est-ce qu’on me propose un film avec lui ? Même un film de vieux, merde ! »
Quant à la chanson, il n’avait bien-sûr pas raccroché le micro. En 2020, de sa voix éraillée mais toujours enveloppante, il sortait un album aux élans fortement autobiographiques, Né à Belleville. Une façon de boucler la boucle et d’humer une dernière fois les odeurs du Paris sauvage de son enfance, lui qui s’était depuis quelques années réfugié à Cavaillon dans le Sud de la France. On y entendait notamment : « On fait tous le même voyage, vers le même rivage, pour le même naufrage, sois cool ! »