Tu mérites un amour marque vos premiers pas dans la réalisation. A quand remonte cette envie de passer de l’autre côté de la caméra ?
Toute petite déjà, en parallèle de mon rêve de devenir actrice, j’imaginais et j’écrivais des histoires … Mais c’est en voyant travailler Abdel Kechiche sur La Graine et le mulet que j’ai vraiment eu envie de passer derrière la caméra. Je lui ai même fait lire les petites choses que j’avais écrites. Il m’a encouragée, donné des directions. Puis je suis passée aux choses concrètes en réalisant un premier court, La Rodba, en 2010 et dans la foulée, j’ai commencé à développer un scénario de long, Bonne mère, inspiré par ma propre mère.
Pourquoi ce Bonne mère n’est pas votre premier long ?
Parce qu’un film – et a fortiori un premier film - c’est long et difficile à monter financièrement ! Or plus le temps passait, moins j’étais patiente. Et puis, un matin, attendre m’est vraiment devenu insupportable. Alors je suis allée fouiller dans mes tiroirs pour relire d’autres scénarios que j’avais écrits. Et j’ai choisi Tu mérites un amour avec l’idée de l’auto-produire et de me confronter au fait de réaliser un film sans grands moyens.
Comment êtes-vous passée de la théorie à la pratique ?
J’ai d’abord commencé par réunir une équipe réduite de quatre techniciens avec qui je devais travailler sur Bonne mère et qui sont tous chefs de poste pour la première fois. Puis j’ai commencé à réfléchir au planning de tournage. Il était évident qu’aucun comédien n’allait donner un mois consécutif de son temps à un projet sans argent. Je l’ai donc organisé en trois séquences de cinq journées espacées et j’ai aussi décidé d’en tenir le rôle principal. Je savais qu’au moins je pouvais compter sur moi pour être libre ! (rires) C’était le 14 juillet 2018. Dès le 18, je tournais.
Est-ce que ce manque de temps a donné lieu à un tournage sous pression ?
Non car Tu mérites un amour est vraiment né sous une bonne étoile. Sur le tournage, les commerçants m’ont ouvert leurs portes, les gens dans la rue m’ont filé des coups de main… Et moi, j’ai été emportée par la manière dont mes partenaires se sont emparés de leurs rôles en amenant le scénario plus loin que ce qui était écrit. Je ne cessais de leur répéter d’ailleurs que je me moquais du respect du texte à la virgule près. Seul m’importait qu’ils ressentent les choses pour mieux les transmettre et de ce côté-là, j’ai été servie !
Quel est alors à vos yeux le plus gros défi de faire un film sans argent ?
La post-production. On peut tourner avec rien ou presque, mais pas monter. Je n’avais évidemment pas de salle à 700 euros par semaine pour le faire. Donc, au départ, j’ai travaillé chez mon monteur sur un tout petit écran où je finissais par m’abîmer les yeux et devenir dingue. Mais là encore, on m’a tendu la main. Yamina Benguigui avec qui je venais de tourner comme actrice, Rachid Djaïdani (Rengaine) puis Christel Dewynter, la monteuse de Sylvie Verheyde, m’ont prêté des salles. Et cet élan de solidarité m’a permis de terminer le montage à temps pour Cannes.
Vous vous êtes lancée sur ce projet sans distributeur. Comment l’avez-vous trouvé ?
J’ai eu la chance de le trouver avant le Festival de Cannes. Jean-Michel Rey de Rezo Films, qui devait distribuer Bonne mère, m’a appelée pour le voir et a accepté de s’en occuper. Mais Cannes reste l’aboutissement d’une bataille menée avec le cœur et je ne remercierai jamais assez Charles Tesson et son équipe de nous avoir sélectionnés. J’ai moi-même découvert là-bas le film sur grand écran pour la première fois car les projections coûtent cher. J’ai été tellement heureuse des émotions qu’il a suscitées.
Bonne mère sera votre deuxième long ?
Oui, mon casting est réuni et Abdel Kechiche le produit. Attention, j’ai toujours envie de jouer, mais je vibre plus derrière la caméra. Et mon deuxième film est prioritaire sur tout le reste.