Le milieu du cinéma français vous connaît depuis des années comme attaché de presse de longs métrages, du palmé La Vie d’Adèle d’Abdellatif Kechiche au récent Emmanuelle d’Audrey Diwan. Portiez-vous en vous depuis longtemps l’idée de passer un jour à la réalisation ?
Hassan Guerrar : Croyez-le ou non, mais ça ne m’avait jamais traversé l’esprit. Ça n’avait en tout cas jamais été un but pour moi. Et puis, un soir, au début de la pandémie de Covid, je me retrouve à raconter à mon amie Audrey Diwan le bénévolat que j’ai entrepris dans une église du quartier de Barbès, les rencontres que j’ai pu y faire… Et le lendemain, elle m’appelle pour me dire qu’elle est certaine qu’il y a un film à en tirer. Je n’y crois pas une seconde. Je n’ai jamais été à l’école, je ne sais même pas écrire un mail, alors un scénario ! Mais Audrey trouve les mots pour me convaincre et je me lance avec elle. On arrive à un séquencier avant qu’elle parte tourner Emmanuelle. Je rencontre alors le romancier Rachid Benzine avec qui j’aboutis à une première version avant que lui aussi doive repartir pour finir le roman qu’il avait un temps laissé de côté. Mais je continue à avancer grâce à Peter Dourountzis, le réalisateur de Vaurien. Avec lui, j’ai quasiment tout repris à zéro en gardant le squelette et quelques idées de Rachid, mais en changeant tous les dialogues. Et c’est ainsi que Barbès Little Algérie est né.
Comment vivez-vous ces différentes phases d’écriture, alors que vous ne vous seriez jamais lancé seul dans cette aventure ?
Je me suis réellement pris au jeu quand je me suis rendu compte, en arrivant au bout du synopsis avec Audrey, que j’étais capable d’écrire une histoire. Mais, ensuite, j’ai vraiment mis du temps avant de croire que j’irais jusqu’au bout de l’écriture. Ça ne s’est produit qu’en travaillant avec Peter car, soudain, entre lui et moi, tout a fusé très vite tellement nous étions en phase. Mais rien n’aurait été possible sans les étapes précédentes. J’ai tout appris en faisant ce film, à commencer par l’écriture. Pour résumer, j’ai été stagiaire avec Audrey [Diwan], assistant avec Rachid [Benzine], puis réellement coscénariste avec Peter [Dourountzis].
Quand commencez-vous à comprendre que ce film va bel et bien voir le jour ?
Quand la Région Île-de-France accepte de participer à l’aventure. Ce sont les premiers à y avoir cru. Peu après, j’ai appelé une de mes amies, Sonia Aksil, pour qu’elle me donne son point de vue sur la fin du film dont je n’étais pas sûr. Sans me prévenir, elle a fait passer mon scénario en commission chez Netflix France, où elle occupe le poste de responsable des acquisitions. Et ils ont à leur tour fait part de leur intérêt. C’est aussi à cette période que j’ai passé le premier tour de l’Avance sur recettes à la suite duquel on m’a demandé une réécriture, en m’envoyant un résumé des avis des différents lecteurs. L’un de ces avis a joué un rôle décisif en me rappelant une chose basique mais essentielle : pendant la pandémie de Covid, on ne voyageait pas. On était un vendredi soir. J’ai passé le week-end à réécrire toute la fin du scénario, à l’aune de cette réflexion et pour gommer la liberté que je m’étais octroyée à tort, car on devait représenter le scénario le lundi. Et on a fini par obtenir l’Avance sur recettes. À partir de là, Barbès Little Algérie était certain de voir le jour.
Sofiane Zermani tient le rôle central de Barbès, Little Algérie, celui de Malek, un quadragénaire qui vient d’emménager à Paris dans un appartement où il accueille son cousin, tout juste arrivé d’Algérie. Pourquoi l’avoir choisi ?
J’étais parti au départ sur un comédien plus âgé. Mais il s’est trouvé trop vieux pour le rôle et il avait raison. Car avec lui, j’aurais été obligé d’évoquer d’une manière ou d’une autre la guerre d’Algérie dans le récit, ce qui ne m’intéressait pas du tout. Alors, j’ai commencé à chercher quelqu’un de plus jeune. Pour l’anecdote, mes producteurs de 24 25 Films m’avaient fait une liste. Il y avait tout le monde, sauf Sofiane ! (Rires.) Mais je me suis souvenu de sa composition dans la série Les Sauvages, que j’avais adorée. En faisant des recherches, j’ai découvert qu’il était aussi rappeur sous le nom de Fianso. Ce dont je n’avais jamais entendu parler ! En découvrant l’un de ses clips, un plan sur son regard m’a attiré. La fêlure que j’y ai perçue m’a emporté. Son charisme, sa modernité aussi. À partir de cet instant, Sofiane est devenu une évidence.
Ce qui frappe dans le film, c’est votre manière singulière de montrer Barbès, comme si on redécouvrait ce quartier populaire du nord de Paris. Comment avez-vous construit cette atmosphère visuelle avec votre directeur de la photographie Amine Berrada ?
J’ai rencontré Amine en travaillant comme attaché de presse sur Les Meutes de Kamal Lazraq dont il avait signé la lumière. Mais en voyant son travail sur Banel & Adama de Ramata-Toulaye Sy, c’est devenu une évidence. On lui a donc envoyé le scénario. Quand il est venu m’en parler une semaine plus tard, j’étais persuadé qu’il allait décliner ma proposition. J’ai alors passé une heure et demie à le convaincre.
Comment avez-vous fait ?
Je lui ai expliqué que j’allais raconter la misère mais que je voulais du beau, du scope. Ça l’a accroché. Il m’a répondu que je n’aurais pas de scope au vu de notre budget, mais qu’il existait du « faux scope ». En fait, avant même notre rendez-vous, il était partant pour l’aventure mais il voulait vérifier ce que j’avais dans le ventre. À partir de ce moment-là, il a été d’une générosité et d’une patience incroyables avec moi. Je peux le dire : Amine m’a tout appris.
De quelle manière ?
Il a su traduire en image ce que j’avais en tête mais en m’associant à chaque étape, en prenant le temps de me faire comprendre les choses. On a commencé à échanger sur des références de plans. J’imaginais un croisement entre l’énergie des Meutes et la beauté de Banel & Adama. Je voulais une lumière qui crame l’image comme si le récit se déroulait à Alger. Comme Michael Mann est mon Dieu de cinéma, je lui parle également d’un plan précis de Heat. Je lui cite aussi Shéhérazade de Jean-Bernard Marlin pour tout ce qui est des mouvements de caméra. Je lui dis que je déteste le champ/contrechamp et je lui cite comme références un plan d’Enquête sur un scandale d’État [de Thierry de Peretti] qui symbolise ce que j’ambitionne ainsi qu’un autre, très bressonien de Portrait de la jeune fille en feu [de Céline Sciamma] où la caméra suit Adèle Haenel qui pénètre dans une grotte. En fait, je voulais que, dans Barbès, Little Algérie, la caméra épouse tout à la fois l’énergie liée à la pandémie et le rythme de Malek, sans jamais le précéder. Qu’on soit toujours au plus près de lui car, pour moi, la peau parle autant que le regard. Au début, Amine ne comprenait pas vraiment ce que je disais et je ne comprenais pas mieux ce que lui disait. Mais au fond, on était sur la même longueur d’onde ! Devant mon inexpérience, Amine a écrit tout le découpage, ce que ne fait jamais un chef opérateur. Je peux dire qu’il m’a appris la mise en scène. À exprimer mes désirs pour les transmettre. Au-delà d’Amine, j’ai eu la chance de m’appuyer sur une équipe technique hors du commun, dont mon premier assistant, Olivier Bouffard, ma scripte Ludivine Doazan et le chef de l’équipe son Philippe Welsh.
Puisque tout dans ce film était une première pour vous, comment avez-vous vécu le tournage ? Avec un certain trac ?
Je n’étais pas du tout angoissé, y compris le premier jour. Sur le plateau, je me suis comporté de la même manière que durant la préparation. Dès que je ne savais pas quelque chose, je l’exprimais, et j’écoutais avec attention les explications. Je crois avoir la qualité d’apprendre vite. Et puis, j’ai eu un déclic assez tôt. Dès le deuxième jour où, à la fin de la journée, j’ai repéré un gros problème sur une des scènes. Alors, pour savoir si je ne me trompais pas, j’ai appelé Monica Coleman, ma monteuse, pour le lui dire, mais sans lui expliquer précisément de quoi il retournait. Quand, après avoir visionné les rushes, elle a pointé exactement du doigt ce que j’avais repéré, ça m’a désinhibé. J’ai compris que je savais précisément où j’allais et que je saurais garder le cap.
Ce cap a-t-il été facile à tenir jusqu’au montage ?
Oui parce que là aussi j’étais merveilleusement entouré. En plus d’être une brillante monteuse, Monica est avant tout mon amie. D’ailleurs, je ne pouvais pas envisager de faire le film sans elle et j’étais prêt à l’attendre un an s’il fallait. Monica m’a expliqué d’emblée qu’elle n’aurait pas le temps de s’occuper du montage de A à Z mais peu m’importait. Je voulais qu’elle en fixe le cap. Elle a donc commencé, ce qu’elle ne fait jamais, à monter dès le deuxième jour de tournage pour gagner le maximum de temps. Dès la semaine qui a suivi la fin du tournage, elle m’a montré non pas un premier bout à bout mais une vraie proposition. À cette projection, elle a fait venir son fils et moi, Armand Amar, le compositeur de la BO. Devant leurs réactions, leur émotion, j’ai compris qu’on avait un film. Que le pari était gagné. À partir de là, on a retravaillé avec Monica pendant quinze jours avant que Joseph Comar prenne le relais. C’est Monica qui a choisi Joseph, qu’elle a formé. Je me souviendrais toujours de sa phrase quand elle est partie pour monter Oxana de Charlène Favier : « Le film est là, vous n’avez plus qu’à vous amuser. » C’est exactement ce qu’on a fait. Chaque vendredi, on était dans l’obligation de lui envoyer le résultat de notre travail, et elle nous faisait des notes, à prendre ou à laisser. Monica a été d’une générosité inouïe tout en nous laissant une liberté totale. Elle a mis son savoir-faire au service des idées du néophyte que j’étais. À elle aussi, je dois tellement.
BARBÈS, LITTLE ALGÉRIE
Réalisation : Hassan Guerrar
Scénario : Hassan Guerrar, Audrey Diwan, Rachid Benzine, Peter Dourountzis
Photographie : Amine Berrada
Montage : Monica Coleman et Joseph Comar
Musique : Armand Amar
Production : East Films, 24 25 Films, Chelifilms
Distribution : Jour2fête
Ventes internationales : Goodfellas
Sortie le 16 octobre 2024
Soutiens du CNC : Avance sur recettes avant réalisation, Aide à la création de musiques originales, Aide sélective à la distribution (aide au programme 2024), Aide sélective à l'édition vidéo (aide au programme éditorial 2024)