Fils d’un SDF et chef d’une bande de voleurs de rue, Raphaël doit veiller à conserver son autorité tout en vivant en parallèle une histoire d’amour avec une jeune femme étrangère à son milieu... Le résumé de Jeunesse sauvage cerne bien les enjeux de ce premier film de Frédéric Carpentier, une tragédie urbaine hyperréaliste. Le réalisateur nous explique ici comment ce drame a été conçu.
Quel est votre parcours ?
Je n’ai pas fait d’école de cinéma mais je me suis orienté assez tôt vers l’écriture. J’ai travaillé comme scénariste pour Erick Zonca par exemple. Je me suis investi en parallèle dans les quartiers dits “difficiles” où j’ai animé plus de cinquante ateliers de pratique artistique au cours des années. Cela m’a mis en contact avec des jeunes, invisibles, qui mènent parfois des vies très rudes dans les cités.
Aviez-vous une vocation particulière ?
Des convictions profondes, plutôt, notamment antiracistes. Mes grands-parents étaient polonais et j’ai vécu à travers eux le rejet même si je n’en ai pas été personnellement victime. J’ai donc toujours eu ce désir, même en ayant grandi à la campagne, d’aller vers ces quartiers et ces jeunes en difficulté.
Comment le sujet de Jeunesse sauvage vous est-il venu ?
Quand vous allez vers ces jeunes avec une proposition forte, comme une expérience artistique, ils ont envie de vous donner des choses en retour en partageant ce qu’est leur vie. Cela peut être lié à la famille, aux amis, au quotidien mais aussi à des occupations semi-délinquantes. J’ai ainsi appris que le vol était une forme de nécessité pour eux. C’est une pratique qui procède d’un entraînement et de codes très forts. Bref, c’était éminemment cinématographique. Le sujet prenait corps devant mes yeux.
Vous avez écrit le scénario seul ?
La structure, très classique, de tragédie vient de moi. Mais je l’ai affinée et actualisée sans cesse au cours de mes rencontres.
Le film a-t-il été facile à monter ?
Quand j’ai décidé de le faire, c’était le début des ennuis ! (rires) Dans le milieu du cinéma, tout le monde m’a conseillé d’abandonner. Les producteurs mettaient en doute la véracité de ce que je racontais. J’ai mis huit ans à le monter... J’ai finalement été “aidé” par les règlements de compte qui ont commencé à se produire à Marseille dans les années 2010. Là, on a commencé à m’écouter. Il a fallu tout de même vaincre toutes les réticences qui émaillent la chaîne de financement. Obtenir l’Avance sur Recettes a été sur ce point décisif. Serge Toubiana, alors président, a été très bienveillant.
Comment avez-vous composé votre casting ?
Plus de 80% du casting est amateur, qu’il s’agisse des rôles de jeunes ou d’adultes. Outre un casting sauvage, j’ai collaboré avec le ministère de la Justice et la Police Judiciaire Jeunesse qui m’ont orienté vers des jeunes délinquants. Au contact de ces institutions, j’ai constaté que la deuxième chance correspond globalement au point de vue des juges. Il y a une forme de bienveillance de la justice en France, il faut le dire. J’ai ainsi casté quelqu’un qui a bénéficié d’un aménagement de peine, sa condamnation se transformant en jours passés sur mon tournage. Beaucoup des jeunes de mon film ont depuis arrêté la délinquance pour se tourner vers des formations.
D’où vient Pablo Cobo, l’acteur principal ?
Pablo est un rappeur, qui était déjà en agence artistique. Lui n’a pas de passé de délinquant mais fréquente des gens qui en ont. Il avait pour moi cette grâce féline des voleurs que je souhaitais pour le rôle. C’est très compliqué à trouver ; les voleurs sont comme des danseurs : leur corps incarne leur pratique. Ca se voit. Pablo manquait juste de carrure : il faisait 1m83 pour 58 kilos ! Ce n’était pas crédible pour interpréter un chef de bande. Il avait aussi besoin de travailler son jeu. Comme le film a été reporté, on a eu un an pour affiner tout cela. Je lui ai appris concrètement à jouer pendant des séances de quatre heures, trois fois par semaine. J’ai incorporé progressivement d’autres acteurs au processus. Jérôme Bidaux, qui est un ami, est venu amicalement lui donner la réplique. Ça a tellement bien marché entre eux que je lui ai finalement donné le rôle du père.
Quels étaient vos choix de mise en scène ?
Mon inspiration venait du Caravage, et de sa maîtrise du clair-obscur. Le contraste est une forme de violence, et ça collait parfaitement avec le sujet. Nous avons utilisé une caméra Red Dragon qui permet de capter le côté solaire tout en allant très loin dans les noirs.
Le film se déroule à Sète, où se tournent de plus en plus de fictions...
Sète est à l’origine un rocher, le Mont Saint-Clair, qui s’est ensablé. Il y a un côté presque insulaire. C’est une ville unique, qui s’est construite comme un mille feuilles avec des quartiers très différents. Dans certains films, je ne la reconnais même pas. J’ai pu y trouver 49 décors, c’est énorme ! Le maire, François Commeinhes, nous a ouvert sa ville, je l’en remercie au passage. L’un de ses adjoints joue d’ailleurs dans le film.
Comment vous assurer que vos jeunes acteurs, après le tournage ne reprendront pas le chemin de la délinquance ?
C’est une question que nous nous sommes posés. Ce n’est pas évident de changer de vie. Il peut y avoir des rechutes qu’il ne faut pas prendre comme définitives. Ces jeunes ont la capacité de rebondir. Pour répondre clairement à votre question, c’est ma responsabilité de les accompagner, de leur expliquer les aléas de ce métier qui est très dur. Je ne les materne pas pour autant, c’est à eux de m’appeler pour les conseiller. Je prends l’exemple de Darren Muselet, qui joue l’opposant de Pablo Cobo dans ma bande. Il m’a dit un jour qu’il sentait que ce métier était pour lui. Il me demandait mon aide. Dès la fin du tournage, je l’ai préparé et accompagné pour le casting de Mon frère de Julien Abraham qu’il a remporté haut la main. Il a depuis tourné d’autres films, notamment Hors Normes. Nous sommes devenus très proches. On a d’ailleurs le même agent.
Le film sort le 22 juin, date emblématique du retour des films en salles.
Oui, nous sommes les premiers à nous être positionnés, huit minutes après l’annonce d’Edouard Philippe ! Pour la petite histoire, j’ai eu le Covid début mars, sans développer la forme grave. C’est moi qui ai insisté pour que le film sorte à cette date car je sais ce que ça représente d’être de nouveau réunis dans une salle, de partager un moment de convivialité. On fait ce métier pour aller vers le public. Je tiens à souligner au passage le travail de mon distributeur, Fratel Films, qui fait tout pour que Jeunesse sauvage ait une présence forte en salles. Nous avons l’agrément Art et Essai mais nous serons aussi dans les multiplexes.
Jeunesse sauvage a été soutenu par le CNC - Avance sur recettes avant réalisation et Aide sélective à la distribution (aide au film par film). Une projection spéciale est organisée par le collectif I HAVE A DREAM le samedi 27 juin au cinéma Publicis Champs-Elysées en présence de l'ensemble de l'équipe du film (réalisateur et comédiens), et accueillera certains jeunes issus de centre éducatifs d'où viennent des comédiens du film.