D’où vient votre envie de faire du cinéma ?
Jean-Bernard Marlin : Né à Marseille et issu d’un milieu modeste, je ne connaissais personne dans le milieu du cinéma. Mais j’ai été friand de films très jeune. Puis à 16 ans, je suis rentré dans une MJC de quartier où j’ai appris qu’il existait des écoles de cinéma. Ce fut un déclic. J’avais trouvé un but et me suis mis à travailler à l’école pour décrocher ces concours. Comme Louis Lumière recrutait à Bac+ 2, j’ai fait deux ans de fac où j’ai construit ma culture cinématographique et plus largement artistique. Et, dans la foulée, j’ai donc décroché le concours de Lumière où je suis resté 3 ans avant d’enchaîner avec un cursus en scénario à la FEMIS. Dans ces écoles, j’ai évidemment appris mon métier, fait des rencontres déterminantes mais surtout pu me familiariser avec les codes de ce milieu du cinéma.
C’est là que vous avez commencé à faire des courts métrages ?
Oui parce que rien ne m’intéressait plus que la réalisation. Je passais mon temps en salle de montage à faire mes films. J’étais alors branché cinéma expérimental et j’espère y revenir un jour.
Comment est née l’idée de Shéhérazade ?
En lisant un fait divers sur deux ados - un petit proxénète et une prostituée - qui vivaient une histoire d’amour dans le quartier de la gare marseillaise Saint-Charles. Sur ce point de départ, avec ma co- scénariste Catherine Paillé (Les ogres), on a construit notre propre histoire en nous appuyant à la fois sur ce que je connaissais de Marseille et sur ce que j’allais apprendre en allant à la rencontre des jeunes prostituées du quartier. Au fil du temps, ces jeunes filles m’ont raconté leurs vies. Et chaque élément du scénario de Shéhérazade respecte la réalité. Je voulais une ligne narrative qui ressemble à la vie, avec toutes ses ambiguïtés et toute sa complexité.
Le processus a été long ?
Deux ans et demi entre les premières prises de contact sur place et la fin de l’écriture. Mais comme l’action se déroule dans ma ville, cela m’a forcément facilité pas mal de choses. J’ai raconté cette histoire avec des souvenirs personnels tout en m’inspirant de la méthode de Scorsese pour Mean Streets qui, avec son scénariste, avait arpenté pendant des mois les rues de New York pour recueillir des histoires à partir desquelles ils ont construit leur récit. Je trouvais que cette démarche correspondait au film que j’avais envie de faire.
Quand avez-vous commencé à penser au casting ?
Tous les acteurs de mon film sont non professionnels. Un parti pris de départ et une exigence qui s’inscrivent dans cette logique de vérité que j’évoquais. J’ai commencé à penser casting dès l’écriture car je savais que pendant toute cette phase d’immersion et de documentation, j’allais rencontrer des personnes susceptibles de se retrouver par la suite dans le film. Ce qui est au final le cas pour plusieurs rôles secondaires très importants. Quant aux deux comédiens principaux, Dylan Robert et Kenza Fortas, ce fut le fruit de 8 mois de casting sauvage mené par Cendrine Lapuyade dans les rues de Marseille. Elle a rencontré Dylan deux mois après sa sortie de prison. On s’est tout de suite très bien entendu et il a progressé très vite au fil des essais. Quant à Kenza, c’était impressionnant de voir dès son premier essai à quel point elle avait le jeu dans la peau. Peu après, j’ai découvert que les deux jeunes se connaissaient depuis l’âge de 10 ans et ce lien invisible a forcément été un atout pour le film. Mais j’ai d’abord et avant tout trouvé chez eux la flamboyance que je cherchais. Celle dont on fait les héros. Or avec ce film, je voulais précisément raconter des héros issus d’un milieu qu’on ne voit pas souvent au cinéma. C’est en cela que Shéhérazade est politique et engagé. Le film montre leurs vies telles qu’elles sont vraiment, avec leurs hauts et leurs bas en évoluant en permanence dans une zone de gris. Et sur ce point, le cinéma d’Elia Kazan m’a beaucoup inspiré.
Cette flamboyance que vous évoquez se retrouve aussi dans la lumière signée par Jonathan Ricquebourg. Pourquoi avoir choisi de faire appel à celui à qui on doit notamment la sublime photographie de La mort de Louis XIV ?
Jonathan et moi avons fait la même école mais il avait surtout signé la lumière de Mange tes morts de Jean-Charles Hue. Or à mes yeux, Shéhérazade est un mélange de documentaire, de thriller, de film noir, de love story, de drame social et de romanesque. Même si on fait un cinéma différent, je me trouve là-dessus pas mal de points communs avec Jean-Charles Hue. A commencer par ce parti pris de refuser à l’image tout traitement naturaliste, qui aurait été la solution de facilité. L’idée de collaborer avec Jonathan est née de là.
Et de quelles références avez-vous parlé pour construire l’univers visuel de Shéhérazade ?
Du travail d’ombres et de lumières de Vittorio Storaro sur les films de Coppola. Avec par exemple dans Apocalypse Now, cette image volontairement un peu sale qui bave. On s’est en tout cas permis d’aller vers des surexpositions ou des sous- expositions, des moments un peu psychédéliques.
Avez-vous déjà un deuxième long métrage en tête ?
Oui et j’ai envie de me frotter à d’autre genres. A commencer par le fantastique. Un cinéma que je dévorais plus jeune, de Hellraiser à Carrie en passant par le cinéma de John Carpenter.
Shéhérazade sort en salles mercredi 5 septembre. Le film a reçu plusieurs aides du CNC :
Avance sur recettes avant réalisation, Aide à la production du Fonds Images de la diversité et Aides sélectives à la distribution (aide au programme)