Quand avez-vous commencé à vous intéresser au cinéma fantastique ?
Je fais partie de cette génération qui, gamine, a eu la chance et le bonheur de découvrir La Quatrième Dimension, Shining, Dark Crystal, Alien… Au-delà du seul cinéma fantastique, je peux donc dire que j’ai été baignée très tôt dans le cinéma de genre. Au point d’ailleurs que le genre représentait alors à mes yeux presque le cinéma dans sa globalité. Je me souviens tout particulièrement de ma découverte émerveillée du deuxième long métrage de Kathryn Bigelow, un film de vampires, Aux frontières de l’aube qui annonçait la grande réalisatrice qu’elle allait devenir par son aisance à utiliser le genre pour raconter les junkies et l’addiction. Mais je pourrais aussi citer, des années plus tard, The Host de Bong Joon-ho, autre chef-d’œuvre qui mêle à merveille les monstres, le genre et le burlesque ou encore Shaun of the Dead d’Edgar Wright – dont l’idée de le croiser cette année à Gérardmer me ravit au plus haut point ! – pour sa manière de jouer avec l’univers des zombies à travers la comédie. Comme spectatrice, j’ai plus de mal avec les films trop premier degré qui ne cherchent rien d’autre qu’à faire peur. Mais le genre a toujours été au cœur du cinéma que j’aimais, pas à la périphérie. Il a fait mon éducation cinématographique. Je dévorais chaque numéro de Starfix comme je jouais à Donjons et Dragons et tout un tas d’autres jeux de rôles avec mes frères.
Le genre, vous l’avez aussi abordé en tant que productrice – associée avec Jean des Forêts de Petit Film – avec Grave, le premier long métrage de Julia Ducournau. Qu’est-ce qui vous avait incitée à vous embarquer dans ce projet ?
Julia ! Par-delà son scénario. J’avais adoré ses courts métrages et la manière dont elle utilise le genre pour exprimer des émotions. Julia ne s’enferme jamais dans les règles du genre mais les détourne. J’ai tout de suite eu la sensation qu’on parlait vraiment la même langue et que j’allais avoir l’opportunité de coproduire un film proche de ceux que j’adorais depuis des années comme spectatrice. Mais pour cela, il fallait impérativement réunir des moyens suffisants : cette histoire n’aurait pas supporté à l’écran une économie de bouts de ficelle. Sinon, le film n’aurait jamais pu se hisser à la hauteur du scénario. Pour moi, Grave est à la fois un film d’auteur et un film de genre. Ce qui a permis de s’appuyer sur deux types de financement. Alors j’avoue qu’à sa sortie, ça m’a un peu agacée qu’il soit catalogué par certains comme un pur film de genre après une projection au festival de Toronto où des spectateurs étaient tombés dans les pommes. Voilà pourquoi j’ai été aussi heureuse de voir Grave projeté à la Cinémathèque, dans la foulée de sa présentation à la Semaine de la critique cannoise. Comme j’aime l’idée que la sélection 2022 de Gérardmer aura aussi les honneurs de cette même Cinémathèque du 2 au 7 février. Ça montre que les choses ont évolué. Que le cinéma de genre n’est plus réservé aux seuls geeks ni vu comme une sous-culture. Tout cela s’est accéléré depuis six ans. Les carcans ont eu tendance à exploser de plus en plus.
Pour quelles raisons selon vous ?
Je crois que la série a vraiment permis de faire bouger les lignes. Elle s’est emparée avec succès du genre, ce qui a rendu les financiers plus enclins à investir. Et ce d’autant plus que l’évolution des technologies a pu rendre les effets spéciaux bien plus abordables financièrement. Quand j’ai commencé à produire, on me parlait souvent du public des films de genre comme d’un « mauvais » public, qui faisait peur aux salles. Mais comme le public amoureux du genre n’a cessé de grandir, ce type de réflexion a de moins en moins cours aujourd’hui.
Quand j’avais interviewé Julie Delpy au début des années 2010 pour Cinéast(e)s, mon documentaire sur la place des femmes dans le cinéma, elle m’avait confié que le premier film qu’elle avait écrit était un film de science-fiction. Et qu’elle avait mis sept ans à tenter de le financer sans y parvenir avant d’y renoncer car on n’arrêtait pas de lui demander pourquoi elle ne débutait pas plutôt par une comédie romantique, genre considéré comme plus approprié à son sexe. C’est ce qu’elle a fini par faire et brillamment. Mais après avoir vu La Comtesse, j’attends vraiment que Julie fasse son film de science-fiction. Je suis convaincue qu’aujourd’hui, on ne lui mettrait plus les mêmes bâtons dans les roues. Et une fois encore, je ne peux que me réjouir de cette évolution.