On sait que le sport vous passionne. Voilà trois ans, vous avez signé L’Empire de la perfection, un documentaire sur le tennisman John McEnroe. Comment est née chez vous, cette fois-ci, l’idée de raconter l’histoire de cette équipe de volley-ball japonaise ?
Comme pour tous mes films, le point de départ a été la découverte d’une archive. Depuis une dizaine d’années, je m’occupe de la cinémathèque de l’INSEP (L’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance). Un jour, un ancien entraîneur de l’équipe de France féminine de volley, féru du Japon, m’a apporté deux films sur cette équipe. J’ai été surpris par l’intensité des entraînements, très loin des standards du sport féminin de l’époque, et aussi par la connexion immédiate avec Jeanne & Serge, la série animée diffusée en France en 1987. J’ai alors découvert qu’elle avait été inspirée par d’autres dessins animés, à commencer par Attack n° 1, qui mettait en scène, en 1969, cette équipe de volley féminine en 104 épisodes. Cela m’a immédiatement donné envie de travailler sur cette confusion entre fiction et réalité. Un documentaire avec un côté hybride s’imposait.
Par quoi avez-vous commencé ?
D’abord par me documenter grâce à des études universitaires britanniques et américaines, des articles parus dans Life et Sports Illustrated. De fil en aiguille, j’ai commencé à avoir une idée un peu plus claire de l’histoire de ces joueuses, et j’ai aussi ressenti plusieurs manques. J’ai été particulièrement agacé par le commentaire des journalistes de l’époque qui méconnaissaient sans doute le Japon et le sport de haut niveau. Ils auraient pu déplorer la dureté des entraînements, mais ils ont écrit qu’on n’avait pas le droit de faire subir ça à des femmes?! Ils renvoyaient ces joueuses à leur sexe et non plus à leur statut de sportives de haut niveau. C’est ce qui a fini par me convaincre de faire le film. Un film qui leur donnerait la parole, pour leur permettre de se réapproprier leur histoire.
Entrer en contact avec les joueuses a été complexe ?
Il a fallu retrouver leur trace. Et comme je partais de zéro, ça m’a pris presque un an. Je suis passé par la Fédération de volley et mon producteur William Jéhannin par l’Institut français au Japon. On a fini par entrer en contact avec une ancienne joueuse d’une génération plus récente, qui travaille sur les JO de Tokyo actuels. Elle nous a permis de contacter une des joueuses, puis de fil en aiguille, les autres. J’étais conscient des difficultés que cela présentait. D’abord parce que je ne parle pas du tout japonais. Ensuite parce que la plus jeune des joueuses a l’âge d’être ma maman. Je devais donc appréhender les usages et la culture des femmes japonaises des anciennes générations pour ne pas commettre d’impair.
Comment avez-vous fait ?
J’ai décidé de travailler avec l’interprète et traductrice Catherine Cadou que j’avais rencontrée lors d’un mon film sur Chris Marker, Regard neuf sur Olympia 52. Elle a 74 ans, l’âge de la plus jeune des joueuses de l’équipe, et elle a beaucoup vécu au Japon. Je lui ai demandé d’appeler les joueuses pour leur parler de mon désir de les rencontrer et leur expliquer ce que je souhaitais : qu’elles racontent leur aventure. Elle a su parfaitement s’y employer, créer des liens avec certaines et m’a permis de les rencontrer pour la première fois en juin 2019.
Quel souvenir gardez-vous de ces premiers rendez-vous ?
Je ne voulais pas débarquer comme une équipe de télévision. Je suis venu sans caméra, juste avec un ingénieur du son pour enregistrer leurs propos et ceux de Catherine. J’avais même posé le micro sur la table car le micro-cravate me semblait trop intrusif. Quatre d’entre elles ont accepté de nous recevoir chez elles. Ce qui était déjà énorme. Et j’ai demandé à chacune de raconter, dans la chronologie, leur histoire commune. Comme celle-ci est peu connue, je tenais à ce qu’on puisse en comprendre le cheminement jusqu’à la victoire finale.
Comment avez-vous choisi ces quatre volleyeuses ?
Dans l’équipe de 1964, deux joueuses sont décédées. Il restait donc quatre titulaires. L’une se déplace désormais en fauteuil roulant et ne souhaitait pas être filmée ainsi. Dans le film, on entend sa voix au téléphone. Sa présence était indispensable, sinon cela aurait été comme faire un film sur l’équipe de France de football 1998 sans Zidane. Parmi les trois autres titulaires, l’une n’a pas pu se libérer mais m’a demandé par la suite d’être présente dans le film. Et j’ai pu aussi parler à deux remplaçantes qui ont joué tous les matchs sauf la finale.
Qu’est-ce qui vous a frappé en les rencontrant ?
Par leur culture, elles sont dans la retenue et ont tendance à minimiser leurs exploits. Chez elles, tout passe souvent par leurs rires, que j’adore, plus que par les mots.
Qu’avez-vous fait de ces enregistrements ?
Je suis revenu en France. Catherine m’a tout traduit. J’ai sélectionné des extraits de manière équilibrée pour que les quatre joueuses soient représentées à parts égales. Puis je suis reparti au Japon tourner à la fois la scène où elles se retrouvent toutes autour d’une table, et chacune individuellement, dans un lieu qu’elles avaient choisi. L’une dans la salle de gym où elle se rend tous les jours, une autre dans la salle où elle continue à jouer et s’entraîner au volley… Avec évidemment l’idée d’une correspondance entre ces lieux et ce qu’elles raconteraient à l’écran.
Les droits d’Attack n° 1, qui accompagne le récit, ont-ils été compliqués à obtenir ?
Il a fallu s’adapter. Ma priorité, c’était Attack n° 1, plus riche à tous points de vue que Jeanne & Serge. William Jéhannin, de son côté, tenait à Jeanne & Serge, qui parle plus au public français. Mais notre coproducteur japonais nous a d’emblée expliqué que c’était impossible. Car son créateur est en procès depuis deux ans avec son producteur après avoir découvert, extrêmement tard, que Jeanne & Serge avait été diffusé en Europe sans qu’il en soit informé, ni ne perçoive de droits d’auteur. En attendant le verdict du procès, les images sont donc bloquées.
Pour Attack n° 1, les négociations se sont bien passées et le prix est entré dans le budget de notre film. Ils ont même accepté que je numérise les images. Je suis aux anges qu’on puisse voir sur grand écran ce dessin animé à l’ancienne, avec ces couleurs magnifiques.
Comment s’est construit le montage entre ces divers éléments – interviews, images d’archives, extraits d’Attack n° 1 – qui composent Les Sorcières de l’Orient ?
J’ai trouvé ma «?méthode?» au fil des films. Il faut d’abord préciser que, travaillant pour une cinémathèque, j’ai une grande liberté en termes de temps, ce qui m’offre un confort précieux. Si on me contraignait à terminer un film en m’enfermant un mois non-stop dans une salle de montage, j’en serais totalement incapable. Je commence à monter très tôt, dès les premiers éléments. Et j’ai besoin de temps. Car dès que je sens que je perds le rythme, je laisse le montage de côté pour y revenir deux semaines plus tard quand l’envie revient. Ce qui devient compliqué, c’est quand, au fur et à mesure que les éléments s’agrègent, on passe le cap des 90 minutes. Pour Les Sorcières de l’Orient, c’est à ce moment-là que je me suis concentré sur le rythme, entre temps forts et temps plus faibles tout en respectant l’essentiel : la parole de ces femmes qui ont accepté de se raconter. Il fallait que le récit soit intelligible pour un public qui ne connaît rien de cette histoire. Sans pour autant tout prémâcher. J’aime l’idée que les spectateurs soient parfois un peu perdus pour devenir actifs et s’approprier le film, chacun à leur façon.
LES SORCIÈRES DE L’ORIENT
Production : William Jéhannin
Direction photo : Yutaka Yamazaki
Musique : Jason Lytle
Distribution : UFO Distribution
En salles le 28 juillet