Avec votre premier long métrage de fiction, vous abordez la question de la réinsertion des détenus à leur sortie de prison. Qu’est-ce qui vous a attiré dans ce sujet ?
Sarah Marx : Tout part d’un travail documentaire en maison d’arrêt. Avant de me lancer dans son écriture, j’ai suivi pendant 8 mois - à raison de 5 jours par semaine et de 5 heures par jour - un groupe de 8 détenus qui suivaient un atelier de stand-up en vue d’un spectacle hors les murs de leur prison. C’est là qu’est née chez moi cette idée d’une fiction sur la réinsertion qui allait aussi me permettre de parler de la France déclassée, dont est issu mon personnage central. Ce jeune homme de 25 ans qui, en sortant de prison, doit retrouver sa place dans la vie active tout en prenant en charge sa mère malade.
L’envie de mettre en scène une fiction est vraiment née pendant ce documentaire ou vous l’aviez en tête depuis un petit moment ?
Cette envie est le prolongement de mon parcours. J’ai fait des études de géopolitique. Puis j’ai été journaliste spécialisée dans la pop-culture en tournant des sujets sur le vif dans la rue caméra au poing, en immersion, pour inviter le spectateur à se mettre à la place de ceux que je filmais. En documentaire, je n’écris rien au préalable, je ne scénarise jamais. J’ai évidemment une batterie de questions en tête, mais je me laisse guider par ce qui se passe. La logique est restée la même quand je suis passée à la fiction. Celle-ci permet juste de pousser les curseurs un peu plus loin. Dans mon documentaire sur la prison par exemple, il y a énormément de choses que j’avais vues, mais que je n’ai pas eu envie d’exploiter car elles auraient pu être problématiques pour le futur de ceux que je filmais. La fiction me permet de traiter de la réalité de manière documentaire et de prendre quelques libertés pour renforcer mon questionnement intellectuel, sans évidemment tomber dans la manipulation.
Aller sur le terrain de la fiction, c’est aussi se confronter aux acteurs. C’est un exercice que vous redoutiez ?
C’est assez anxiogène au départ, car, pour moi, un film c’est avant tout une caméra et des acteurs. Ces derniers constituent la matière première. Et encore plus avec K Contraire qui devait se raconter au ras des hommes. Ma ligne de conduite avec eux était simple : l’artificiel devait rester à la porte. Voilà pourquoi on a fait très peu de lectures en amont du tournage pour ne pas perdre en spontanéité. J’ai aussi choisi de mêler acteurs professionnels et amateurs. Le professionnel apporte la maîtrise, l’amateur, la spontanéité, et leur synergie conduit à cette authenticité que je recherchais. Authenticité qui se retrouve dans mon choix qu’il n’y ait aucun directeur de casting sur ce film.
Comment avez-vous alors trouvé vos comédiens ?
Par de simples rencontres, sans avoir besoin de faire passer des essais. À commencer par Sandor Funtek qui tient le rôle principal de K Contraire. Ce sont mes producteurs qui m’ont suggéré de le rencontrer, car il avait tenu un petit rôle dans Les Derniers Parisiens d’Hamé Bourokba et Ekoué Labitey qu’ils avaient coproduit. J’ai donc pris un café avec lui et, d’emblée, il y a eu une forme d’évidence. Sandor avait en lui cette énergie et cette lumière que je recherchais pour cette histoire. C’est la même chose pour Sandrine Bonnaire. J’ai eu très tôt envie de faire appel à elle, car je trouvais qu’il émanait d’elle quelque chose d’extrêmement sensible qui correspondait à ce personnage de mère dépressive que j’avais imaginé. Elle m’a répondu oui assez vite, car K Contraire traite de questions qui la touchent, à commencer par l’utilisation « criminelle » de la kétamine pour soigner la dépression de son personnage alors qu’elle ne fait que le détruire à petit feu. Ce sujet trouvait un écho en elle par rapport à Elle s’appelle Sabine, le documentaire qu’elle avait consacré à sa sœur, dont le même type de traitement avait aggravé l’autisme.
Quelles références vous ont guidée dans cette idée de fiction très documentée ?
Ma seule vraie influence, c’était la vie. Mon directeur de la photographie Yoan Cart vient du documentaire. Et si on avait une référence en tête, c’était sans doute… le documentaire animalier, avec cette idée de capter l’instant en étant prêt à filmer à tout moment. Voilà pourquoi il n’y avait aucune marque au sol pour les acteurs et pourquoi aussi on a tourné le maximum possible en plans-séquences. Pas dans l’idée d’une prouesse technique, mais pour laisser de la place aux accidents au milieu de dialogues très écrits. Dans l’idée de capter ce qui fonctionne dans la première prise puis de construire la scène en question au fil des suivantes. Avec un budget aussi serré (800 000 euros), je n’ai pu parvenir à mes fins que parce que mes comédiens ont adhéré à 100 % à ce projet.
K Contraire, qui sort ce mercredi 22 janvier 2020, a bénéficié de l’avance sur recettes après réalisation et de l’aide à la création de musique de film du CNC.