« La Mer au loin », entretien avec Saïd Hamich Benlarbi

« La Mer au loin », entretien avec Saïd Hamich Benlarbi

05 février 2025
Cinéma
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« La Mer au loin » réalisé par Saïd Hamich Benlarbi
« La Mer au loin » réalisé par Saïd Hamich Benlarbi Barney Production - Tarantula - Mont Fleuri Production

Sept ans après Retour à Bollène, son premier long métrage, le cinéaste franco-marocain explore à nouveau les chemins de l’exil et du déracinement à travers un récit ample dans le Marseille des années 1990. Un film présenté hors compétition à Cannes en 2024. Entretien.


Comment avez-vous abordé le scénario de La Mer au loin ?

Saïd Hamich Benlarbi : Dans mon travail, je suis toujours guidé par les personnages. J’essaie d’être avec eux, de les écouter, de les suivre. Je mets l’intime au service de l’histoire, voire des questions politiques. Jamais l’inverse. La Mer au loin se déroule sur une décennie car la notion d’exil qui me préoccupe s’inscrit généralement dans le temps long. Dix ans était le temps le plus court pour raconter un déracinement. Et puis, l’exil est quelque chose d’assez impalpable et indéfinissable. Dès lors, comment le montrer s’il ne se raconte pas ? J’ai donc décidé de suivre mes personnages sur dix années et ainsi essayer de ressentir les émotions qui les traversent.

Nour, le héros de La Mer au loin n’est pas une projection de vous-même puisqu’il est issu d’une autre génération que la vôtre. Vous êtes arrivé en France en 1997, lui, vers la fin des années 1980. Pourquoi ce décalage ?

L’objectif n’était pas de mettre mon expérience à distance mais d’utiliser la fiction pour rendre le récit le plus significatif possible. L’autobiographie en tant que telle ne m’intéresse pas. Quand je suis arrivé en France, j’ai senti la fin d’une époque, celle décrite dans le film. Ensuite, les attentats du 11 septembre 2001 nous ont fait basculer dans une nouvelle ère. Pour autant, j’étais en prise plus ou moins directe avec la génération de Nour. Lorsque mes grands frères retournaient au Maroc l’été, ils apportaient la musique qu’ils écoutaient mais aussi des récits, des joies, des peines…

Je mets l’intime au service de l’histoire. Jamais l’inverse.

En quoi les années 1990 vous intéressaient-elles particulièrement ?

La musique m’a énormément guidé pour ce film. Dans les années 1990, le raï a explosé à Marseille. Pour les Maghrébins, cette musique traduisait une certaine mélancolie de l’existence. C’est à travers elle que mes personnages peuvent en partie s’exprimer. C’est également une décennie marquée en France par des crimes racistes même si ce contexte historique n’est pas le sujet du film. D’ailleurs, j’assume pleinement que mes personnages soient en retrait à ce niveau-là. Nour est balloté, il n’influe pas directement sur les évènements. En cela, L’Éducation sentimentale, qui est un modèle du roman d’apprentissage, m’a beaucoup influencé pour ce film. J’aime la façon dont Flaubert manie l’art de l’ellipse.

Comment avez-vous retranscrit cette époque à l’écran ?

Un film n’est pas un manège dans lequel les spectateurs prendraient place pour être propulsés dans les années 1990. Je note souvent d’ailleurs un excès d’époque dans le film d’époque. Ici je voulais surtout laisser la place aux personnages. Comment vivent Serge et Noémie, le couple formé à l’écran par Grégoire Colin et Anna Mouglalis qui recueille Nour ? Ont-ils le temps de prendre soin de leur intérieur ? Je ne crois pas. Leur appartement est encore décoré à la « mode des années 1980 », avec une dominante de tons rouges. Rien de tape-à-l’œil. D’ailleurs, tout a été tourné dans de véritables lieux même si nous en avons maquillé certains. Nous avons filmé à Marseille. Cette ville vivante, bordélique, est aussi très mélancolique, emprisonnée entre la mer et les montagnes.

 

Nour, votre personnage principal semble spectateur de ce qui lui arrive… Pourquoi ?

J’aime ce personnage de Candide, qui finalement, mène assez bien sa barque. L’air de rien, il fait des choix, il les assume… Dans sa candeur, il est très héroïque, à l’écoute de ses sentiments. C’est en cherchant son interprète que j’ai affiné son profil. J’ai demandé à Ayoub Gretaa qui incarne Nour d’être davantage dans la réaction que dans l’action. Ce n’était pas évident et demandait beaucoup de générosité, de concentration… Nour existe à travers les personnes qu’il côtoie. Il était donc primordial que je définisse très tôt les personnages secondaires, ceux qui vont lui renvoyer la lumière. C’est par eux que le récit va s’articuler.

Comment avez-vous imaginé le couple formé par Grégoire Colin et Anna Mouglalis dont le pouvoir sur le récit et la destinée de Nour est important ?

L’un et l’autre sont la matière première de la vie de Nour. Ils sont constitutifs de ce qu’il est. Dans l’exil, les personnes que vous côtoyez deviennent une projection de ce que vous cherchez à atteindre. Ils incarnent votre terre d’accueil. Quand je suis arrivé à 18 ans en France, beaucoup de personnes m’ont ouvert l’horizon. Des gens dont je ne pouvais pas imaginer le profil et qui ont fini par bouleverser ma vie. Un exilé fait face à une double absence : ce qu’il a quitté, et ce chez soi qui lui fait souvent défaut dans son nouveau pays. Je tenais à ce que Nour sorte grandi de cette aventure mais surtout qu’il ne se construise pas par la norme. Il vient de la marge et doit pouvoir accepter d’autres marges. Je trouve beau que Nour accepte ce couple qui n’a rien de traditionnel.

Je note souvent un excès d’époque dans le film d’époque. Ici je voulais surtout laisser la place aux personnages.

Et de fait, vous semblez travailler en permanence une certaine ambivalence des personnages…

C’est ce qui rend le récit plus riche et complexe. Prenez Serge, dans les premiers temps, sa position de policier indique une direction prévisible du récit avec entre autres la façon dont des migrants vont devoir se cacher des autorités. Or en s’intéressant de près à son personnage, nous allons saisir toute sa profondeur, ses doutes, notamment sur sa famille, sa sexualité. Par ailleurs, ses origines italiennes créent un pont avec l’immigration maghrébine. J’aime en effet croiser les parcours. Serge fait pivoter la dramaturgie, d’abord vers sa femme incarnée par Anna Mouglalis, puis vers la vie nocturne. Il permet au récit d’aller vers le mélodrame.

D’où vient le titre du film, La Mer au loin ?

Il est venu instinctivement. Je l’ai intellectualisé par la suite. La Mer au loin est une bonne définition de l’exil. L’exil, vous le portez en vous en permanence. Et comme je l’évoquais au début, il est impalpable. Il sous-tend une dichotomie entre l’écrasement et la fuite… Quand j’ai quitté le Maroc, l’image qui m’a le plus marqué est cette vision de la terre marocaine qui s’éloignait. L’horizon que vous avez toujours connu se dérobe, puis vous regardez ailleurs et cet horizon change de nature pour offrir de nouvelles perspectives. La peur et les promesses se mélangent. Ce titre fait aussi référence à deux mélodrames que j’affectionne particulièrement : Tout ce que le ciel permet de Douglas Sirk et Loin du paradis de Todd Haynes qui n’est autre qu’une relecture du film de Sirk. J’aimais cet héritage. Loin du paradis est à mon sens l’un des plus beaux titres qui existent.
 

La Mer au loin

Affiche de « La Mer au loin  »
La Mer au loin The Jokers

Ecriture et réalisation : Saïd Hamich Benlarbi
Production : Barney Production
Distribution : The Jokers Films
Distribution internationale : Indie Sales
Sortie le 5 février 2025

Soutiens sélectifs du CNC : Avance sur recettes avant réalisation, Aide à la conception, Aide sélective à la distribution (aide au programme 2024), Aide à la création de musiques originales, Fonds Images de la diversité : aides à l'écriture, à la production, et à la distribution