« La Pampa » : Antoine Chevrollier, itinéraire d’un autodidacte

« La Pampa » : Antoine Chevrollier, itinéraire d’un autodidacte

05 février 2025
Cinéma
« La Pampa »
« La Pampa » réalisé par Antoine Chevrollier AGAT FILMS

Alors que sort en salles son premier long métrage, La Pampa – découvert à la Semaine de la Critique l’an dernier et récompensé du prix du public au festival Premiers Plans d’Angers cette année –, retour sur le parcours d’un réalisateur qui s’est fait un nom dans l’univers des séries, du Bureau des légendes à Oussekine, qu’il a créée, en passant par Baron noir.


Un premier long métrage comme un retour aux sources. C’est en effet à Longué-Jumelles, où il a grandi, qu’Antoine Chevrollier a tourné La Pampa, découvert en mai 2024 à la Semaine de la Critique et récompensé du prix du public au festival Premiers Plans d’Angers en janvier dernier. Ce village du Maine-et-Loire, entre Angers et Saumur, où celui que rien ne prédestinait à devenir réalisateur a eu un jour le « déclic » : « Tout est parti d’une envie de raconter des histoires, se souvient-il. Un héritage familial, combiné à un choc : la découverte à la télévision, à 8 ans, de Fenêtre sur cour d’Alfred Hitchcock. Je me souviens encore aujourd’hui de sensations très précises. Le canapé où j’étais installé. Ma tante et ma mère en train de parler au même moment dans la cuisine. La gifle donnée par James Stewart. La silhouette d’Hitchcock… Il paraît que le lendemain matin, j’ai dit au petit-déjeuner que je voulais faire comme ce que j’avais vu la veille. C’est en tout cas ce que ma mère m’a toujours raconté. » Ce coup de foudre lui donne envie de découvrir le septième art. « Je vais l’explorer grâce aux vidéocassettes. Classique après classique. Full Metal Jacket, Apocalypse Now… ». Au collège et au lycée, quand vient le temps des premières questions sur son avenir et les études qui pourraient l’y conduire, Antoine Chevrollier peine pourtant à trouver un relais. « Quand j’essaie d’expliquer mon envie à des conseillers d’orientation, tout leur paraît hors sol. Et comme je ne suis pas très bon élève, on ne sait pas vraiment où me caser. Un jour, on me propose de tenter un CAP chaudronnerie, un autre de faire de la communication… » Tout ceci jusqu’au baccalauréat qu’il va réussir à décrocher. « Ça fait alors longtemps que j’ai pleinement conscience que mes parents ne sont pas en mesure de m’offrir une école de cinéma. Et que si je veux vraiment en faire mon métier, la seule solution est de me rendre à Paris et de voir comment je peux parvenir à pénétrer petit à petit dans ce milieu. Depuis plusieurs années, je travaillais pendant mes vacances, je faisais de la manutention à l’usine qu’on voit dans La Pampa pour en avoir les moyens. »

À l’instinct

Antoine Chevrollier met son programme à exécution. Une fois installé dans la capitale, tout en continuant à enchaîner les petits boulots, il prend très vite les choses en main. « Je me débrouille pour tourner un premier court métrage, en toute inconscience. Et pour le monter, j’achète un ordinateur grâce à un emprunt que je vais ensuite rembourser tous les mois. » Sa persévérance est récompensée. Son court est sélectionné en festival, récolte des prix. Tout en continuant à enchaîner les missions alimentaires pour subvenir à ses besoins, il va réussir à pénétrer le monde du cinéma. « Grâce à un ami, je me retrouve à postuler à un emploi de premier assistant alors que je n’ai aucune notion de ce que ce poste représente. Le film doit réunir Stomy Bugsy, Disiz la Peste, Richard Bohringer et Sophie Guillemin. » Quand il rencontre pour la première fois le réalisateur et que celui-ci lui propose de devenir son assistant, Antoine Chevrollier dit oui sans hésiter… et doit dès le lendemain élaborer un plan de travail. « Dès que je sors de ce rendez-vous, je me précipite dans une librairie acheter le seul livre consacré à la profession. Je vais passer la nuit à tenter d’appliquer au scénario que j’ai dans les mains tout ce qu’explique ce bouquin. »

Le premier jour de tournage arrive. « Je ne vais pas mentir, je n’avais aucune notion de quoi que ce soit. Les termes techniques – machino, électro, HMC (habillage/coiffure/maquillage) – me sont complètement étrangers. Mais j’essaie tant bien que mal de faire semblant et ça marche ! » Faute de moyens, l’aventure s’arrête au bout de trois semaines en attendant de trouver l’argent pour continuer. « Je suis tellement investi dans le projet que je vais être à deux doigts de me retrouver à la rue. J’avais tellement peur de perdre mon emploi que j’avais même refusé la proposition de la directrice de production de m’adjoindre un second et un troisième assistant ! » La rencontre avec cette directrice de production se révèle décisive. Elle va lui permettre de décrocher son premier travail vraiment rémunéré comme assistant réalisateur sur le clip de Midi 20 de Grand Corps Malade. Dès lors, il va enchaîner et apprendre son métier sur le tas. Comme premier assistant sur d’autres clips comme celui de Putting Holes in Happiness (Marilyn Manson) que réalise Philippe Grandrieux qui, dans la foulée, lui propose d’occuper le même poste sur son long métrage, Un lac. Une nouvelle porte qui s’ouvre et lui vaudra dès lors d’enchaîner, toujours comme assistant réalisateur, sur Americano de Mathieu Demy (qui tient un petit rôle dans La Pampa), Héritage de Hiam Abbass, My Sweet Pepper Land de Hiner Saleem ou encore Party Girl du trio Marie Amachoukeli/Claire Burger/Samuel Theis, qui décroche la Caméra d’or au Festival de Cannes en 2014.

 

En quelques années, Antoine Chevrollier a réussi à gagner une partie de son pari : parvenir à gagner sa vie dans le cinéma. L’étape suivante sera la réalisation. « J’ai eu la chance de mettre en scène le clip de Texas Switch, du groupe Bagdad, qui a été remarqué. » C’est ainsi qu’il se retrouve en 2015 à collaborer sur la série, alors en train de naître, qui va définitivement faire basculer son destin : Le Bureau des légendes dont Éric Rochant est le showrunner. Il y travaillera pendant quatre saisons et en signera une quinzaine d’épisodes. « Dès le premier jour, je suis frappé par la précision de la vision d’Éric que je vais évidemment adopter. Je pense que si j’ai pu rester aussi longtemps à ses côtés, c’est évidemment parce que je suivais à la lettre ce qu’il me disait mais aussi parce que je faisais régulièrement un pas de côté. Car j’ai toujours fait confiance à mon instinct. »

Son travail tape dans l’œil de la production de la série Baron noir, qu’il rejoint pour sa deuxième saison et dont il réalisera neuf épisodes avant que Disney+ lui confie les rênes de la série Oussekine en 2022. « C’est un projet que j’avais en tête depuis le début des années 2010, quand j’avais commencé à me plonger dans l’histoire de Malik Oussekine. À ce moment-là, spontanément, je n’imaginais cette histoire qu’au cinéma car je n’étais pas sérivore. Et puis au fil de mes expériences, j’ai commencé à apprécier la narration sérielle et j’ai vite compris que quatre épisodes seraient le minimum pour pouvoir développer toute l’histoire et surtout creuser ce qu’avait traversé la famille Oussekine. »

Ne rien laisser au hasard

C’est ce même principe du temps long qui va le conduire à signer son premier long métrage pour le cinéma, La Pampa. « Tout est parti d’une discussion avec un ami, le réalisateur Cédric Ido, il y a cinq ans. On se met à parler moto et soudain, j’ai une réminiscence de moi enfant, derrière le grillage à observer des courses sur le terrain de moto-cross de la Pampa, situé tout à côté de l’ancienne maison de mes parents. Je me souviens de toutes les sensations que j’avais pu éprouver. À partir de là, je vais commencer à imaginer une histoire qui ne parlera pas tant de mécanique que de toute la testostérone de ces hommes, les uns face aux autres, et de la violence des rapports que peut engendrer cette masculinité toxique. » Un scénario qu’il va développer avec Bérénice Bocquillon et Faïza Guène, qui avait déjà travaillé sur Oussekine. « Je vois une cohérence entre les deux projets. Ils sont, au fond, faits du même bois politique et sociétal. Ils parlent tous les deux de la violence du collectif. Violence étatique pour Oussekine et violence des habitants du village dans La Pampa face à tout ce qui sort d’une prétendue norme. »

Dans La Pampa, il est question d’une grande histoire d’amitié entre deux ados, Jojo (Amaury Foucher) et Willy (Sayyid El Alami, le héros d’Oussekine, vu récemment dans Leurs enfants après eux), à quelques semaines de deux moments décisifs : une course de moto-cross pour le premier, l’obtention de son bac pour le second. Mais aussi d’une liaison homosexuelle secrète qu’entretient Jojo avec un des hommes du village, et plus largement du quotidien d’un coin de France sur lequel l’ennui plane, charriant son lot de dérives violentes. Pour cette première réalisation pour le cinéma, Antoine Chevrollier explique s’être largement inspiré de son expérience du Bureau des légendes. J’ai été à la bonne école et j’ai eu cette chance de travailler avec Éric Rochant que j’ai beaucoup observé. Pour mon film, j’ai adopté sa méthode. Ne rien laisser au hasard, absolument tout valider, faire en sorte de penser étalonnage, montage, musique dès l’écriture et que tous les départements se côtoient, se parlent. » Depuis sa première projection à Cannes, La Pampa collectionne les prix à travers les festivals. « J’ai très envie de repartir écrire, souligne Antoine Chevrollier.  J’ai un projet de série et un projet de cinéma mais je n’en suis encore qu’à leurs balbutiements. »
 

LA PAMPA

Affiche de « LA PAMPA  »
La Pampa Tandem

Réalisation : Antoine Chevrollier
Scénario : Antoine Chevrollier, Bérénice Bocquillon et Faïza Guène
Production : Agat Films & Cie
Distribution : Tandem
Ventes internationales : Pulsar Contact
Sortie le 5 février 2025

Soutien sélectif du CNC : Avance sur recettes avant réalisation